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J’ai répété la vérité, à en devenir vraiment cinglée.

Mais personne ne m’écoute. Font-ils tous partie du complot ?

Je commence à me le demander, tu sais.

Les jours passent et se ressemblent depuis que je suis enfermée ici. Les minutes s’écoulent, lentes, inutiles et douloureuses.

Parfois, je rêve que tout cela est un cauchemar. Que je vais me réveiller et que tout va redevenir normal. Comme avant.

Mais je sais bien que ce n’est pas un cauchemar.

Ou plutôt si, c’en est un. Un de ceux dont on ne sort jamais.

Pourquoi moi ? Pourquoi toi ?

Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

Maintenant que je lui ai promis la liberté, Lisa doit m’attendre, chaque jour.

Combien de temps encore devra-t-elle souffrir ?…

Parfois, je te déteste.

Parce que tu n’es plus là. Parce que tu m’as laissée, abandonnée.

Parce que je suis seule, affreusement seule, au milieu de tous ces gens qui ne savent pas. Qui sont incapables de voir la vérité.

Je croupis dans cette infâme cellule. J’en fais le tour sans m’arrêter. Pendant des heures, pendant des jours. Je rase ces murs sales, contre lesquels je ne peux rien.

Contre lesquels, parfois, je me tape la tête.

Seule, affreusement seule.

Mais non, pas vraiment. Il y a la peur, avec moi. Qui ne me quitte jamais. Comme une seconde peau.

Je n’ai plus peur de l’Ombre, juste de l’avenir.

Les lumières sont éteintes, pourtant je continue mes allers-retours entre la fenêtre et la porte. Entre les barreaux et la serrure.

Je ne parviens même plus à former des cercles, à tourner en rond.

Sans doute parce que je suis désaxée.

Les lumières sont éteintes, pourtant je ne dors pas.

Comment le pourrais-je ? Alors que je ne sais pas ce qu’ils vont faire de moi…

Chapitre 62

Comment vais-je survivre à ça ?

La prison, c’était dur. Horrible. Des semaines à m’écorcher les nerfs sur des barreaux, des barbelés. Des semaines à m’épuiser dans neuf mètres carrés.

C’était dur, oui.

Mais ici, c’est l’enfer, le vrai.

C’est comme si on m’avait enterrée vivante. Comme si j’étais dans mon cercueil, les yeux grands ouverts pour assister à ma propre agonie.

Ma lente agonie.

Je suis arrivée ce matin. Après un voyage en fourgon, attachée comme une bête qu’on conduit à l’abattoir.

On ne m’a pas dit où j’allais. C’est quand j’ai vu le bâtiment que j’ai compris.

Compris que j’étais arrivée au bout du voyage. Dans ma dernière demeure.

D’abord, j’ai rencontré un médecin. Une fois encore, j’ai raconté mon histoire. Du début à la fin. J’ai eu du mal, c’est vrai. À force de répéter toujours les mêmes choses, je finis par m’embrouiller, me contredire. Je mélange les dates, je mélange les noms et les images.

Je suis si fatiguée, mon amour. Exténuée, même.

Le toubib, il avait l’air sympa. Il était souriant, gentil. Alors, là aussi, j’ai prié. Pour qu’enfin je voie briller dans les yeux de quelqu’un cet éclair de lucidité. D’humanité.

Pour qu’enfin j’entende dans la bouche de quelqu’un la délivrance. Des mots simples.

Mademoiselle Beauchamp, vous n’avez rien à faire ici ! On va vous libérer !

Mais je n’ai entendu que des mots compliqués, des mensonges. Des horreurs.

Crise paranoïaque… Neuroleptiques… Anxiolytiques… Psychothérapie… Non-lieu… Décision du préfet… Internement d’office

Alors, j’ai hurlé.

Jamais je n’avais hurlé si fort, je crois.

Ensuite, j’ai voulu m’enfuir. Comme le psychiatre refusait d’ouvrir la porte, je l’ai frappé. Je crois même avoir essayé de le tuer.

Je ne pouvais plus, tu comprends… ?

Des infirmiers sont arrivés aussitôt. Ils étaient trois.

Ici, les blouses blanches ont remplacé les uniformes bleus.

Comment voulais-tu que je me défende ? Comment lutter ?

Ils m’ont traînée de force jusqu’à une chambre, avec un lit scellé au sol, en plein milieu de la pièce vide. Et puis, ils m’ont attachée avec des sangles avant de me faire une piqûre.

J’ai eu l’impression que mon cerveau sortait de ma tête. Qu’il coulait par mes oreilles.

Doucement, ma colère s’est évanouie, remplacée par le désespoir.

Depuis, je chiale. Je pleure toutes les larmes de mon corps qui, bientôt, sera sec et flétri.

Ça fait des heures que je pleure. Seule, dans mon cercueil.

Où sont mes parents ? Où sont mes sœurs ? Mes amis ? Tous ces gens qui me connaissent, qui savent que je ne suis pas folle.

M’ont-ils oubliée, déjà ? Ou les empêche-t-on de m’approcher ?

Seule, dans mon cercueil. Condamnée à y rester jusqu’à la fin, j’ai bien compris.

Personne à qui parler, à part toi. Toi, ce fantôme.

Seule, dans mon cercueil.

Sous des mètres cubes d’indifférence.

Ils m’ont détachée. Mais la porte reste fermée à clef et il y a des grilles à la fenêtre.

Alors, je me suis réfugiée par terre. Dans un recoin de cette chambre mortuaire.

Je tremble, comme un animal. Ce n’est pas le froid puisqu’on étouffe ici. C’est autre chose.

Mangée par la peur, dévorée par le désespoir. Digérée, bientôt.

Ils m’ont forcée à avaler des médicaments. Buvez, sinon on vous rattache.

Salauds.

J’ai l’impression d’avoir reçu un coup de massue sur la tête. Mon cerveau est une boule de coton, mes souvenirs s’effilochent. Mes muscles ne m’obéissent plus vraiment. Mon énergie s’éteint doucement, comme la flamme d’une bougie en manque d’oxygène.

Je sais où je suis. Je sais qui je suis. Je ressens tout, je n’oublie rien.

Mais mes forces m’abandonnent, ma vue devient trouble.

Pourquoi me condamner alors que je n’ai fait que me défendre ?

Pourquoi m’enfermer chez les fous alors que je ne suis pas folle ?