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— Intuition féminine ! prétend Cloé avec un sourire désarmant.

Elle a toujours adoré s’amuser. Surtout avec des proies faciles. Quoique Martins ait plus d’un tour dans son sac. Elle a appris à s’en méfier.

Constamment se méfier, de tout et de tout le monde. C’est ainsi qu’on évite beaucoup d’échecs. Qu’on évite de se briser sur les écueils.

Elle se focalise à nouveau sur Martins qui continue à s’empêtrer dans des explications harassantes.

Les semaines à venir s’annoncent particulièrement divertissantes.

Lui faire croire que c’est lui. Le rassurer, le mettre en confiance. L’hypnotiser avec une jolie danse du ventre pour qu’il ne voie pas approcher le cyclone.

Et au moment tant attendu, lui porter le coup de grâce.

Bercée par la voix grave de Philip, Cloé a repris place dans la nacelle de sa montgolfière. Bien au-dessus de tout cela, elle vogue dans une lumière aveuglante, étincelante.

Plus une seule ombre au tableau.

— Vous avez regardé le match, hier soir ? demande le lieutenant Laval.

Gomez le toise avec un petit sourire.

— Non. J’ai fait des trucs beaucoup plus intéressants.

— Quoi ?

— Je peux pas te raconter.

— Pourquoi ? s’étonne Laval.

— Parce que t’es tout juste majeur et que certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes.

— Vous êtes con, parfois, dit Laval en haussant les épaules.

— Seulement parfois ? Ça me rassure. Merci, Gamin.

— En tout cas, le match était vraiment super ! C’est le PSG qui…

— Je sais qui a gagné, soupire Gomez. Je connais même le score. Difficile d’y échapper sauf en devenant sourd… Remarque, des fois, ça m’arrangerait ! Parce que je ne comprends pas comment on peut se passionner pour une bande de débiles mentaux qui jouent à la baballe.

— Vous êtes chiant, et ça c’est constamment !

Gomez rigole et pose une main sur l’épaule de son collègue.

— Tu m’as analysé en moins de deux, bravo ! Tu feras un excellent flic quand tu seras grand.

Ils sont dans une voiture banalisée, stationnée rue de la Fraternité à Créteil.

— Vous pourriez me dire ce qu’on fout là ? demande Laval.

— On planque.

— Ouais, ça j’ai vu. Mais on attend qui, exactement ?

— Tu verras quand il daignera sortir de chez lui ! Mais tu ne seras pas déçu, crois-moi.

— C’est vous le chef, après tout…

— Exact, Gamin. Alors ouvre bien les yeux et réveille-moi si un type brun avec des cheveux longs et une vraie sale gueule sort au niveau du 29.

Gomez bascule le dossier de son siège, croise les bras et ferme les yeux.

— Vous allez roupiller à cette heure-ci ?

Le commandant s’est déjà endormi, ou fait semblant ; son jeune collègue lève les yeux au ciel. Bosser avec Alexandre Gomez est une aventure chaque jour renouvelée. On ne sait jamais comment il va réagir, où il va entraîner ses équipiers. Dans quel merdier ou quel magnifique coup de filet.

Ce mec est une énigme et le restera sûrement jusqu’à sa mort. Qui risque fort de ne pas se produire au fond d’un lit, dans une affreuse et paisible petite maison de retraite.

Bien trop mystérieux pour qu’on le connaisse vraiment.

Bien trop odieux pour qu’on l’apprécie réellement.

Bien trop intelligent pour qu’on le haïsse entièrement.

Bien trop courageux pour qu’on ne l’admire pas secrètement.

Bien trop féroce pour qu’on ose l’affronter directement.

Il fait nuit, il fait froid. Il est tard.

Ils rient aux éclats.

Tandis que Bertrand l’enlace passionnément, Cloé cherche la clef de la maison dans son sac. Un peu éméchée, elle peine à coordonner ses mouvements.

— Bon, tu ouvres ? s’impatiente Bertrand. On ne va tout de même pas faire ça sur le perron… J’ai pas envie de me retrouver au poste pour atteinte aux bonnes mœurs !

Cloé est toujours hilare, grisée d’alcool, d’orgueil et de désir.

Il est beau, intelligent, drôle. Et il est à moi.

Elle trouve enfin le trousseau, s’escrime à faire entrer la clef dans la serrure. Bertrand prend sa main dans la sienne, la guide jusqu’à faire le bon geste. Ils entrent, se jettent l’un sur l’autre. Bertrand referme la porte avec le pied tandis que Cloé lui arrache sa veste.

— Doucement, chérie, j’ai payé cette veste cinq cents euros !

— Je t’en achèterai autant que tu voudras, répond-elle en s’attaquant à la chemise.

— Tu deviens dangereuse quand tu as trop bu !

— Je t’en achèterai des dizaines, des centaines si tu veux !

— Tu me prends pour un gigolo ou quoi ?

— Tu te ferais beaucoup d’argent ! s’amuse Cloé. Tu aurais un succès fou. Mais je ne suis pas partageuse… Si tu me trompes, je t’arrache les yeux !

Il la soulève du sol, elle s’accroche à son cou. Il l’emmène ainsi jusqu’au salon alors qu’elle rit toujours autant. Il la dépose sur le tapis, se met à son tour à la déshabiller. Mais lui, choisit la douceur.

Toujours la douceur.

Soudain, Cloé ne rit plus. Une ride se creuse au milieu de son front.

Comme elle fixe un point derrière son dos, Bertrand se retourne mais ne remarque rien de particulier. L’abandonnant au milieu du salon, elle se dirige vers la magnifique enfilade en noyer et observe les trois cadres accrochés juste au-dessus.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiète Bertrand. On dirait que tu vois ces photos pour la première fois !

— Ils ne sont pas à leur place. Celui de droite, là, il est normalement à gauche, et inversement. C’est Fabienne, la femme de ménage. Elle a dû les nettoyer et se tromper en les remettant en place.

Bertrand pose ses mains sur ses hanches, ses lèvres sur sa nuque.

— C’est passionnant ton histoire de cadres, mais on a des choses plus intéressantes à faire.

Il soupire tandis qu’elle lui échappe à nouveau. Elle se hisse sur la pointe des pieds, inverse les clichés.

— Tu vois, cette photo, c’est mon père et moi quand j’avais 12 ans. Je l’adore…

— Ton père ?

— Non. La photo.

Face à sa mine outragée, elle sourit. Puis se remet carrément à rire.

— Tu es imprévisible, avoue Bertrand.

Il caresse son visage, passe une main dans ses cheveux.

— Tu ne m’as jamais parlé de tes parents, ajoute-t-il.

Elle lui sourit tendrement.

— Tu veux tout savoir de moi ?

Bertrand acquiesce d’un mouvement de tête.

— Alors que moi, je ne sais rien de toi, murmure Cloé.

Absolument rien. D’où tu viens, où tu vas. Qui tu es vraiment. Ce que tu as vécu, ce que tu espères vivre. Je ne connais aucun de tes rêves ou de tes cauchemars.

Absolument rien, sinon que tu as les yeux les plus extraordinaires que j’aie jamais croisés. Que tu es en train de devenir la drogue la plus puissante que j’aie jamais testée.

— On pourrait peut-être laisser tomber, non ? espère Laval.

Gomez fixe la rue, immobile, imperturbable. Une statue inébranlable.

— Prends un tax et rentre chez toi, propose-t-il. Les mômes de ton âge ont besoin de se coucher tôt.

— Celui que vous attendez a dû se tirer aux Seychelles…