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– N'en doutez pas, madame, répondis-je, ce n'est pas dans la vue de corriger le crime que vous me proposez cette action, c'est dans le seul motif d'en commettre un vous-même: il ne peut donc y avoir qu'un très grand mal à faire ce que vous dites, et nulle apparence de légitimité. Il y a mieux: n'eussiez-vous même pour dessein que de venger l'humanité des horreurs de cet homme, vous feriez encore mal de l'entreprendre, ce soin ne vous regarde pas: les lois sont faites pour punir les coupables, laissons-les agir, ce n'est pas à nos faibles mains que l'Être suprême a confié leur glaive; nous ne nous en servirions pas sans les outrager elles-mêmes.

– Eh bien! tu mourras, indigne créature, reprit la Dubois en fureur, tu mourras: ne te flatte plus d'échapper à ton sort.

– Que m'importe, répondis-je avec tranquillité, je serai délivrée de tous mes maux, le trépas n'a rien qui m'effraie, c'est le dernier sommeil de la vie, c'est le repos du malheureux…

Et cette bête féroce s'élançant à ces mots sur moi, je crus qu'elle allait m'étrangler; elle me donna plusieurs coups dans le sein, mais me lâcha pourtant aussitôt que je criai, dans la crainte que le postillon ne m'entendît.

Cependant nous avancions fort vite; l'homme qui courait devant faisait préparer nos chevaux, et nous n'arrêtions à aucune poste. A l'instant des relais, la Dubois reprenait son arme et me la tenait contre le cœur… Qu'entreprendre?… En vérité, ma faiblesse et ma situation m'abattaient au point de préférer la mort aux peines de m'en garantir.

Nous étions prêtes d'entrer dans le Dauphiné, lorsque six hommes à cheval, galopant à toute bride derrière notre voiture, l'atteignirent et forcèrent, le sabre à la main, notre postillon à s'arrêter. Il y avait à trente pas du chemin une chaumière où ces cavaliers que nous reconnûmes bientôt pour être de la maréchaussée, ordonnent au postillon d'amener la voiture: quand elle y est, ils nous font descendre, et nous entrons tous chez le paysan. La Dubois, avec une effronterie inimaginable dans une femme couverte de crimes, et qui se trouve arrêtée, demanda avec hauteur à ces cavaliers si elle était connue d'eux, et de quel droit ils en usaient de cette manière avec une femme de son rang?

– Nous n'avons pas l'honneur de vous connaître, madame, dit l'exempt; mais nous sommes certains que vous avez dans votre voiture une malheureuse qui mit hier le feu à la principale auberge de Villefranche. Puis, me considérant: Voilà son signalement, madame, nous ne nous trompons pas; ayez la bonté de nous la remettre et de nous apprendre comment une personne aussi respectable que vous paraissez l'être a pu se charger d'une telle femme.

– Rien que de simple à cet événement, répondit la Dubois plus insolente encore, et je ne prétends ni vous la cacher, ni prendre le parti de cette fille, s'il est certain qu'elle soit coupable du crime affreux dont vous parlez. Je logeais comme elle hier à cette auberge de Villefranche, j'en partis au milieu de ce trouble, et comme je montais dans la voiture, cette fille s'élança vers moi en implorant ma compassion, en me disant qu'elle venait de tout perdre dans cet incendie, qu'elle me suppliait de la prendre avec moi jusqu'à Lyon où elle espérait de se placer. Écoutant bien moins ma raison que mon cœur, j'acquiesçai à ses demandes; une fois dans ma chaise, elle s'offrit à me servir; imprudemment encore, je consentis à tout, et je la menais en Dauphiné où sont mes biens et ma famille. Assurément c'est une leçon, je reconnais bien à présent tous les inconvénients de la pitié; je m'en corrigerai. La voilà, messieurs, la voilà; Dieu me garde de m'intéresser à un tel monstre! je l'abandonne à la sévérité des lois, et vous supplie de cacher avec soin le malheur que j'ai eu de la croire un instant.

Je voulus me défendre, je voulus dénoncer la vraie coupable; mes discours furent traités de récriminations calomniatrices dont la Dubois ne se défendait qu'avec un sourire méprisant. Ô funestes effets de la misère et de la prévention, de la richesse et de l'insolence! Était-il possible qu'une femme qui se faisait appeler madame la baronne de Fulconis, qui affichait le luxe, qui se donnait des terres, une famille, se pouvait-il qu'une telle femme pût se trouver coupable d'un crime où elle ne paraissait pas avoir le plus mince intérêt? Tout ne me condamnait-il pas, au contraire? J'étais sans protection, j'étais pauvre, il était bien certain que j'avais tort.

L'exempt me lut les plaintes de la Bertrand. C'était elle qui m'avait accusée; j'avais mis le feu dans l'auberge pour la voler plus à mon aise, elle l'avait été jusqu'au dernier sou; j'avais jeté son enfant dans le feu, pour que le désespoir où cet événement allait la plonger, en l'aveuglant sur le reste, ne lui permît pas de voir mes manœuvres: j'étais d'ailleurs, avait ajouté la Bertrand, une fille de mauvaise vie, échappée du gibet à Grenoble, et dont elle ne s'était sottement chargée que par excès de complaisance pour un jeune homme de son pays, mon amant sans doute. J'avais publiquement et en plein jour raccroché des moines à Lyon: en un mot, il n'était rien dont cette indigne créature n'eût profité pour me perdre, rien que la calomnie aigrie par le désespoir n'eût inventé pour m'avilir. A la sollicitation de cette femme, on avait fait un examen juridique sur les lieux mêmes. Le feu avait commencé dans un grenier à foin où plusieurs personnes avaient déposé que j'étais entrée le soir de ce jour funeste, et cela était vrai. Désirant un cabinet d'aisances mal indiqué par la servante à qui je m'adressai, j'étais entrée dans ce galetas, ne trouvant pas l'endroit cherché, et j'y étais restée assez de temps pour faire soupçonner ce dont on m'accusait, ou pour fournir au moins des probabilités; et on le sait, ce sont des preuves dans ce siècle-ci. J'eus donc beau me défendre, l'exempt ne me répondit qu'en m'apprêtant des fers.

– Mais, monsieur, dis-je encore avant que de me laisser enchaîner, si j'avais volé ma compagne de route à Villefranche, l'argent devrait se trouver sur moi: qu'on me fouille.

Cette défense ingénue n'excita que des rires; on m'assura que je n'étais pas seule, qu'on était sûr que j'avais des complices auxquels j'avais remis les sommes volées, en me sauvant. Alors la méchante Dubois, qui connaissait la flétrissure que j'avais eu le malheur de recevoir autrefois chez Rodin, contrefit un instant la commisération.

– Monsieur, dit-elle à l'exempt, on commet chaque jour tant d'erreurs sur toutes ces choses-ci, que vous me pardonnerez l'idée qui me vient: si cette fille est coupable de l'action dont on l'accuse, assurément ce n'est pas son premier forfait; on ne parvient pas en un jour à des délits de cette nature: visitez cette fille, monsieur, je vous en prie… si par hasard vous trouviez sur son malheureux corps… mais si rien ne l'accuse, permettez-moi de la défendre et de la protéger.

L'exempt consentit à la vérification… elle allait se faire…

– Un moment, monsieur, dis-je en m'y opposant, cette recherche est inutile; Madame sait bien que j'ai cette affreuse marque; elle sait bien aussi quel malheur en est la cause: ce subterfuge de sa part est un surcroît d'horreurs qui se dévoileront, ainsi que le reste, au temple même de Thémis. Conduisez-y-moi, messieurs: voilà mes mains, couvrez-les de chaînes; le crime seul rougit de les porter, la vertu malheureusement en gémit, et ne s'en effraie pas.

– En vérité, je n'aurais pas cru, dit la Dubois, que mon idée eût un tel succès; mais comme cette créature me récompense de mes bontés pour elle par d'insidieuses inculpations, j'offre de retourner avec elle, s'il le faut.

– Cette démarche est parfaitement inutile, madame la baronne, dit l'exempt, nos recherches n'ont que cette fille pour objet: ses aveux, la marque dont elle est flétrie, tout la condamne; nous n'avons besoin que d'elle, et nous vous demandons mille excuses de vous avoir dérangée si longtemps.

Je fus aussitôt enchaînée, jetée en croupe derrière un de ces cavaliers, et la Dubois partit en achevant de m'insulter par le don de quelques écus laissés par commisération à mes gardes pour aider à ma situation dans le triste séjour que j'allais habiter en attendant mon logement.

Ô vertu! m'écriai-je, quand je me vis dans cette affreuse humiliation, pouvais-tu recevoir un plus sensible outrage! Était-il possible que le crime osât t'affronter et te vaincre avec autant d'insolence et d'impunité!

Nous fûmes bientôt à Lyon; on me précipita dès en arrivant dans le cachot des criminels, et j'y fus écrouée comme incendiaire, fille de mauvaise vie, meurtrière d'enfant et voleuse.

Il y avait eu sept personnes de brûlées dans l'auberge; j'avais pensé l'être moi-même; j'avais voulu sauver un enfant; j'allais périr, mais celle qui était cause de cette horreur échappait à la vigilance des lois, à la justice du Cieclass="underline" elle triomphait, elle retournait à de nouveaux crimes, tandis qu'innocente et malheureuse, je n'avais pour perspective que le déshonneur, que la flétrissure et la mort.

Accoutumée depuis si longtemps à la calomnie, à l'injustice et au malheur, faite depuis mon enfance à ne me livrer à un sentiment de vertu qu'assurée d'y trouver des épines, ma douleur fut plus stupide que déchirante, et je pleurai moins que je ne l'aurais cru. Cependant, comme il est naturel à la créature souffrante de chercher tous les moyens possibles de se tirer de l'abîme où son infortune l'a plongée, le père Antonin me vint à l'esprit; quelque médiocre secours que j'en espérasse, je ne me refusais point à l'envie de le voir: je le demandai, il parut. On ne lui avait pas dit par quelle personne il était désiré; il affecta de ne pas me reconnaître; alors je dis au concierge qu'il était effectivement possible qu'il ne se ressouvint pas de moi, n'ayant dirigé ma conscience que fort jeune, mais qu'à ce titre je demandais un entretien secret avec lui. On y consentit de part et d'autre. Dès que je fus seule avec ce religieux, je me précipitai à ses genoux, je les arrosai de mes larmes, en le conjurant de me sauver de la cruelle position où j'étais; je lui prouvai mon innocence; je ne lui cachai pas que les mauvais propos qu'il m'avait tenus quelques jours auparavant avaient indisposé contre moi la personne à laquelle j'étais recommandée, et qui se trouvait maintenant mon accusatrice. Le moine m'écouta très attentivement.