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* * *

Un camion passa sur le freeway à six voies roulant vers l’Arabie Saoudite, faisant trembler les vitres de la Buick. La bouteille de scotch était presque vide. Il était une heure du matin. Le sheikh Abu Sharjah, la tête sur l’appui-tête, semblait dormir.

Ses hommes étaient partis depuis une dizaine de minutes. Malko demanda :

— Qu’allons-nous faire maintenant ?

Les dents d’or brillèrent dans la pénombre.

— Le faire parler.

— Mais comment ?…

Le sheikh n’eut pas le temps de répondre. Un des deux Yéménites traversait le freeway en courant, venant du palais du prince Saïd. Il se pencha à la vitre et dit quelque chose d’une voix haletante. Abu Sharjah, les traits brusquement durcis, ouvrit sa portière d’un coup d’épaule.

— Allons-y vite !

* * *

En partie dégrisé, Jafar tremblait nerveusement, maintenu par les deux Yéménites. L’un d’eux le frappa au bas-ventre, et le Palestinien poussa un couinement aigu. Effondrée dans un fauteuil, Marietta pleurait, serrant une serviette imbibée de sang contre son visage.

Totalement dégrisé en dépit de l’alcool qu’il avait ingurgité, le sheikh Abu Sharjah contemplait Jafar avec un dégoût visible.

— Ce chien déshonore la nation arabe ! dit-il.

Il venait d’expliquer à Malko ce que le Palestinien était en train d’accomplir quand ses Yéménites avaient surgi.

Jafar essaya de crâner.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Vous n’avez pas le droit d’entrer ici.

Abu Sharjah ne se donna même pas la peine de répondre. Sur un signe de lui, les Yéménites traînèrent Jafar dehors. Le sheikh s’approcha de Marietta, écarta la serviette doucement et examina la blessure, l’air soucieux.

— Il faut la faire emmener à l’Amiri Hospital tout de suite. Il y a de très bons chirurgiens.

Il aida l’Anglaise à se lever et à marcher. Malko avait essayé de lui parler mais elle était incapable de répondre. Choquée, l’air frais de la nuit la fit frissonner. Malko l’avait tant bien que mal enroulée dans une couverture. La Chevrolet était garée derrière la Buick. Ils surgirent au moment où les Yéménites achevaient de tasser Jafar dans le coffre de la Buick…

Le sheikh installa Marietta dans la Chevrolet, donna des instructions au chauffeur. La Chevrolet fit demi-tour. Les deux Yéménites montèrent à l’arrière de la Buick et le sheikh prit le volant.

La Buick démarra sur les chapeaux de roue, prit le freeway, droit vers le sud. Le sheikh ne souriait plus. Il mit une cassette de jazz. Les phares éclairaient un désert pierreux et plat ; on se serait cru dans l’Ouest américain. Malko se demanda où ils allaient. Ils tournaient le dos à Koweit.

Jafar, recroquevillé dans le coffre, cligna des yeux. La rangée de torchères, crachant ses flammes orange à vingt mètres de là, illuminait le désert presque comme en plein jour. Les longs pipe-lines amenant le pétrole à la station de pompage sinuaient dans le désert comme des serpents noirs.

La Buick rouge du sheikh s’était engagée sur cette piste, s’enfonçant dans le désert à droite du freeway, depuis dix bonnes minutes. Sauf le chuintement des torchères, le silence était absolu. Des dizaines de torchères similaires brûlaient sans arrêt le surplus de gaz, illuminant les vallonnements du désert de lueurs dansantes et rouges.

— Dehors, aboya un des Yéménites.

Jafar s’extirpa, fixa les lumières d’Ahmadi, la ville du pétrole, qui brillaient dans le lointain. Pas rassuré. Abu Sharjah avait allumé une cigarette et l’avait glissée dans un fume-cigarette en argent. Il s’approcha de Jafar et lui adressa une phrase en arabe. Le Palestinien répondit d’un ton grossier, puis cracha à ses pieds. Malko vit les yeux proéminents du sheikh devenir de pierre. Il jeta un ordre.

Aussitôt les deux Yéménites se ruèrent sur Jafar, le jetèrent par terre. L’un s’assit carrément sur lui, l’autre fouilla dans le coffre et en sortit une longue corde. Ils lui lièrent les poignets, puis se glissant sous la Buick fixèrent l’autre extrémité de la corde aux pare-chocs arrière. Malko sentit un goût de cendre lui monter à la bouche.

— Qu’allez-vous faire ? demanda-t-il.

Le sheikh fit comme s’il n’avait pas entendu.

Les mains liées derrière le dos, Jafar s’était relevé. La longueur de la corde le lui permettait tout juste. Il jeta une longue tirade en arabe à Abu Sharjah qui montra toutes ses dents d’or dans un sourire cruel.

— Il dit que je suis un traître à la cause arabe, commenta-t-il pour Malko.

Les Yéménites s’étaient déjà installés à l’arrière de la Buick. Le sheikh se glissa au volant et fit rugir le moteur. Malko hésita puis monta à son tour. Sinon, ils allaient le laisser au milieu du désert.

Jafar hurla. Les gaz de l’échappement lui chauffaient déjà les jambes. Le visage inexpressif, Abu Sharjah passa en « D » et démarra sans douceur. Jafar réussit à faire quelques pas en crabe, puis buta et s’étala en avant. Les mains tirées vers le haut, les épaules disloquées, les gaz d’échappement dans la figure, il essaya en vain de se remettre debout. Le sheikh le surveillait dans le rétroviseur.

Une à une, il perdit ses chaussures. Il criait sans discontinuer. Les aspérités de la piste arrachaient ses vêtements par morceaux. Abu Sharjah roula une centaine de mètres puis stoppa. Malko avait envie de vomir. Les quatre hommes descendirent. Accroché derrière la Buick, étendu sur le dos, Jafar ne bougeait plus. Il n’avait plus qu’un lambeau de chemise et un caleçon sale. Son corps n’était plus qu’une plaie. Son œil gauche était fermé, énorme. Le sheikh s’approcha du Palestinien et lui donna un coup de pied dans les côtes. Il ouvrit l’œil droit. Murmura quelque chose.

Malko crut que les yeux globuleux du sheikh allaient lui sortir de la tête. Il apostropha un des Yéménites qui se précipita au volant et démarra très lentement recommençant à traîner Jafar.

— Qu’a-t-il dit ? demanda Malko, écœuré, essayant de se convaincre qu’on était parfois obligé de se salir les mains.

— Je ne vous le répéterai pas, fit sombrement le sheikh.

Tout à coup, les cris de Jafar devinrent plus aigus. Le second Yéménite l’avait retourné sur le ventre, forçant son visage contre la piste. Le sheikh arrêta la voiture d’un aboiement une minute plus tard. Jafar n’avait plus figure humaine. Il bredouilla quelque chose quand Abu Sharjah se pencha sur lui.

Le sheikh se redressa, se tourna vers Malko.

— Il a dit ce que je voulais savoir.

Cela n’avait pas l’air de lui faire tellement plaisir… Malko n’en pouvait plus.

— Qu’a-t-il dit ?

— Le nom de celui qui a donné l’ordre de tuer le prince Saïd Al Fujailah.

— Relâchez-le maintenant, alors.

Abu Sharjah ne répondit pas. Malko le vit se pencher sur Jafar, entendit un cri atroce qui se termina en gargouillement. Le sheikh se redressa. La lueur des torchères lui donnait l’air d’un diable. Un jet de sang jaillissait de la gorge de Jafar, tranchée d’une oreille à l’autre. Malko aperçut alors le poignard dans la main du sheikh, une arme à la lame recourbée et courte.

Jafar avait été égorgé comme un mouton. Le sang se perdait dans la poussière du désert. Les yeux vitreux, il agonisait, secoué de soubresauts. Cela rappela à Malko les porcs que l’on égorgeait à la ferme du château de Liezen.

Il avisa le regard du sheikh. Celui-ci soutint son regard.

— Vous aviez dit « officieusement », dit le sheikh.