Выбрать главу

— Ossip, reprit-il. Tu ne me reconnais pas ? Ton ami Joseph Melnik.

Muets de saisissement, les Danois présents suivaient ces curieuses retrouvailles. Les avis oscillaient entre une fou et une opération publicitaire.

Pourtant, au nom de Melnik, un très léger sourire éclaira le visage d’Otto Wiegand. Sa main relâcha le couteau.

Comme pour lui-même, il murmura :

— Ach ! Joseph ! Je te croyais mort. Je pensais qu’ils t’avaient fusillé !

Le rire tonitruant du Père Joseph Melnik fit trembler les vitres.

— Fusiller, moi ! Après tous les services que j’ai rendus au Seigneur ! Il a étendu sa protection tutélaire sur moi.

Au mot de fusiller, ceux qui comprenaient l’allemand avaient sursauté. Au Danemark, on fusille rarement les prêtres… Mais Malko avait noté. Décidément, il n’était pas au bout de ses surprises… Otto Wiegand avait d’intéressantes relations.

— Tu ne me dis pas de m’asseoir ! reprocha le Père Melnik. À moi qui suis venu de si loin pour te voir !

Otto eut un geste vague qui pouvait dire n’importe quoi. Aussitôt, le prêtre empoigna une chaise qui plia presque sous son poids et s’assit à côté de Malko à qui il tendit une main poilue énorme et gélatineuse.

— Êtes-vous un ennemi de Dieu, monsieur ? demanda-t-il d’une voix musicale.

C’est une question que Malko ne s’était jamais vraiment posée. Poliment, il répondit :

— Je ne le pense pas.

L’autre lui écrasa les phalanges.

— Alors, qu’il vous bénisse !

Et il esquissa un rapide signe de croix. Effaré, Krisantem contemplait la scène sans comprendre. Ses « notions » religieuses s’arrêtaient aux derviches tourneurs.

Soudain le prêtre se pencha sur Otto Wiegand et commença à lui parler à l’oreille en une langue que Malko reconnut comme de l’ukrainien. Il ponctuait son discours de grands gestes, postillonnant dans tous les sens. Son interlocuteur le regarda d’abord avec effarement puis une lueur rusée passa dans son regard. Finalement, le Père Melnik asséna à l’Allemand une claque dans le dos à lui faire cracher ses dents et hurla en direction de la serveuse :

— Du vin, je veux du vin ! Qu’on apporte le meilleur vin pour célébrer le retour de mon ami.

Malko commençait à se demander s’il n’avait pas loué sa soutane. Un vent de réforme a beau souffler sur l’Église, le Père Melnik était nettement dans l’aile galopante du Concile… Comme s’il avait deviné les pensées de Malko le prêtre se souleva à demi et claironna :

— J’ai oublié de me présenter : Joseph Melnik, aumônier de l’Ukrainska Poustanska Armia, de 1942 à 1945, sous le commandement de mon chef bien-aimé, le poglovic Ante Pavelitch. Que Dieu ait son âme !

Fichu cadeau pour n’importe quel dieu. Malko connaissait les exploits des Ukrainiens ralliés aux Allemands, pendant la guerre.

— La guerre est finie, dit-il froidement. Et Ante Pavelitch est mort…

Un éclair moqueur passa dans les yeux du Père Melnik.

— Il n’y a pas de repos pour les justes, lança-t-il sentencieusement. Jusqu’à mon dernier soupir, je lutterai contre les ennemis de l’Église.

Par le plasticage de la légation yougoslave, l’assassinat des leaders d’un mouvement concurrent et quelques meurtres sans importance.

— Que voulez-vous à Otto Wiegand ? demanda Malko. Il est extrêmement fatigué par son évasion et doit se reposer.

— Otto Wiegand ? fit le prêtre feignant la surprise. Mais je ne vois ici que mon vieux et fidèle camarade de combat Ossip Werhun qui se distingua particulièrement dans la lutte contre les ennemis de Dieu.

De mieux en mieux.

Un smorrebrod[14] coincé dans la bouche par la surprise, Lise tentait de suivre la conversation en allemand, sans y parvenir. Élevée dans une institution religieuse, elle n’arrivait pas à croire que l’homme assis en face d’elle fût vraiment un prêtre.

Malko commençait à s’énerver. Tout cela ne lui disait rien qui vaille ; l’OSS avait dû écumer les cellules de condamnés à mort pour trouver des agents doubles…

— Werhun ou Wiegand, coupa-t-il. Que lui voulez-vous ?

Le rire tonitruant de Melnik secoua la table une fois de plus. Caressant les pierres précieuses enrichissant son crucifix, il laissa tomber avec une expression rusée :

— Cela, mon cher, est un petit secret entre nous et le Seigneur. Je ne pense pas pouvoir vous le confier.

Malko chercha le regard de l’Allemand. Il détourna la tête, semblant surtout ennuyé. On aurait été tenté de rire de cet intermède, mais Malko sentait que le Père Melnik devait avoir une conception de la plaisanterie à base de fours crématoires et de barbelés.

Le prêtre avala d’un trait un énorme verre de vin et ses oreilles rosirent d’un seul coup comme si le liquide s’était déversé directement à l’intérieur. Otto Wiegand daigna enfin se mêler à la conversation.

— Mes relations avec Joseph Melnik ne regardent que moi, dit-il sèchement. J’aurais simplement un déplacement à effectuer après mon retour de Stockholm. Deux ou trois jours au maximum. C’est très important pour moi…

— Où ?

L’Allemand secoua la tête :

— Je ne peux pas vous le dire. Et il n’est pas question que vous veniez avec moi.

Tout cela n’était pas brillant. Malko commençait à se féliciter d’avoir emmené Krisantem. La soutane de soie ne l’arrêterait pas le cas échéant. Il était au-dessus de ces préjugés.

Une serveuse se pencha à l’oreille de Otto Wiegand et lui désigna le hall qui donnait directement sur la salle à manger.

L’Allemand tourna la tête dans la direction indiquée et le sang quitta son visage d’un seul coup. Comme s’il avait instantanément été saigné à blanc.

Malko se retourna.

Le hall semblait avoir encore rapetissé devant l’apparition d’une créature de rêve. Les yeux bleus immenses, à peine maquillés, la bouche opulente, le nez long, fin et busqué. Sa crinière blonde, lumineuse, éclatante, était savamment décoiffée. Elle était plus que belle et ses hautes bottes noires gainant ses jambes un peu fortes ajoutaient une note frémissante à l’ensemble. Et pourtant, il y avait comme un fond glacial à cette beauté. L’inconnue devait être dure comme l’acier au tungstène.

Un vent de damnation souffla sur la salle à manger du Scandia. Appuyée au bureau, d’un mouvement gracieux qui mettait en valeur la courbe de ses longues cuisses largement découvertes par la jupe du tailleur, l’inconnue examinait la salle, son visage immobile changeant constamment d’expression. Pour la première fois de sa vie, Malko se félicita de fréquenter parfois des hôtels de seconde catégorie. À côté d’elle se trouvait un homme d’une cinquantaine d’années, distingué, avec des cheveux d’un blanc éblouissant, une bouche mince et des traits presque trop fins pour un homme.

L’homme et la femme regardaient Otto Wiegand. L’Allemand s’était levé, tétanisé. Malko l’entendit murmurer :

— Stéphanie. Stéphanie et Boris…

Chapitre VI

Dans sa précipitation, Otto Wiegand renversa sa chaise, puis fonça à travers la salle à la vitesse d’une fusée Saturne. Lise en resta paralysée de saisissement, un deuxième smorrebrod coincé dans la gorge.

L’appétit coupé, Malko suivit l’Allemand, à un dixième de seconde, se levant de table pour la première fois de sa vie sans s’excuser.

Debout près d’Otto Wiegand, il écouta la conversation sans que les nouveaux venus semblent se soucier de sa présence. L’homme parla le premier en allemand, d’une voix très douce.

вернуться

14

Canapé en danois.