Выбрать главу

La résistance humaine a des limites. C’est lui qui fit glisser les collants noirs jusqu’au fond du lit. Ensuite, il oublia pour un moment l’infernal carrousel dans lequel il se trouvait plongé. Si seulement, cela pouvait lui donner un peu de poids auprès de l’Israélienne. Lorsque sa houle voluptueuse se calma, elle murmura d’une voix imperceptible :

— C’est la toute première fois…

Comme elle se rendormit aussitôt, il devait ignorer toute sa vie ce qu’elle avait voulu dire, étant donné qu’elle n’était plus vierge depuis longtemps.

Chapitre IX

Si l’odeur du poisson n’avait pas tué depuis longtemps toutes les mouches de Skagen, on les aurait entendu voler dans la salle à manger de l’hôtel Scandia.

Yona Liron mangeait au fond toute seule, l’air sombre et le visage encore tuméfié par sa bagarre. Elle avait quitté Malko sans un mot, comme si rien ne s’était passé entre eux. Il avait vaguement espéré ne pas la voir au déjeuner, sans trop y croire. Maintenant, il était sûr qu’elle n’avait pas renoncé.

À la table voisine, le Père Melnik et Otto Wiegand étaient plongés dans une conversation à voix basse, dont Malko ne percevait pas un mot. L’Allemand boitait ostensiblement et Malko était persuadé qu’il avait confié ses malheurs à son vieux camarade de combat. Rien qu’à voir les regards furibonds qu’adressait l’étrange prêtre à l’Israélienne. Il l’aurait bien exorcisée, moitié goupillon, moitié grenade…

Boris n’avait pas dit un mot à Stéphanie, plus belle que jamais. Sa robe de jersey s’arrêtait où commencent normalement les bas. Chaque fois que Malko levait la tête, il rencontrait ses yeux bleus qui lui souriaient en une invite muette. Et, automatiquement, Otto Wiegand interceptait le regard, ce qui déclenchait quelques bonnes idées de meurtre dans son crâne chauve.

Seul Krisantem échappait à la tension générale. Il avait découvert le hareng de la Baltique et en faisait une effroyable consommation, imité par Stéphanie. Si ces deux-là s’étaient aimés, ce n’aurait pas été mal. Mais le Turc attendait patiemment qu’on lui donnât quelqu’un à étrangler. Éventualité peu probable étant donné la présence des deux Lodens, bovins et satisfaits. Le soleil de juin était revenu, ce qui semblait les ravir. Étant donné que, pour quitter Skagen, il fallait d’abord parcourir cinquante kilomètres en voiture jusqu’à Aalborg, ils n’étaient pas sur les dents. Quant à Malko, Krisantem, Boris et Stéphanie, ils les ignoraient totalement. Ce n’était pas leur boulot. Neutralité, neutralité.

On était samedi matin. Donc rien ne viendrait avant le lundi. Malko en avait une boule au milieu de la gorge. Ils étaient cloués à Skagen. Qu’allait inventer Boris pour achever de rendre fou Otto ?

Le déjeuner tirait à sa fin. Malko jura de sa vie ne plus jamais manger de poisson.

Soudain, il crut être le jouet d’une hallucination. Deux hautes silhouettes venaient de s’encadrer dans l’entrée.

Chris Jones et Milton Brabeck.

Les deux barbouzes jumelles avec qui Malko avait déjà tant de fois travaillé, d’Istanbul aux Caraïbes[15]. Peu portées sur les mots croisés, mais redoutables dans toutes actions directes. À eux deux, cent quatre-vingts kilos environ, la puissance de feu d’un petit destroyer, et le cerveau d’un chimpanzé. Adorant les voyages, à condition de rester dans les pays civilisés, c’est-à-dire dans un rayon de cinq cents kilomètres autour de Kansas City.

Malko se leva et alla à leur rencontre. Chris lui serra la main en lui broyant plusieurs petits os et laissa tomber :

— Ils n’enterrent pas les cadavres dans ce patelin ou quoi ? On aurait dû apporter nos masques à gaz.

Plus prosaïque, Milton était en admiration devant le costume d’alpage bleu de Malko.

— Mais où est-ce que vous trouvez des tailleurs comme ça ? soupira-t-il. Chaque fois que je paie trois cents dollars pour un costard, j’ai l’impression d’avoir acheté un sac de pommes de terre…

Lise, trempée dans le numéro cinq de Chanel, se glissa entre les trois hommes. Les yeux dorés la faisaient fondre.

— J’ai dû attendre l’arrivée de ces deux gentlemen, expliqua-t-elle. Ils sont arrivés ce matin seulement par le vol 912 des Scandinavian. Washington tenait absolument à ce qu’ils vous rejoignent.

Chris et Milton, que l’on qualifiait rarement de gentlemen, éprouvèrent immédiatement un gros amour pour le Danemark. Soudain, l’oeil de Chris devint fixe.

— Tu vois ce que je vois ? demanda-t-il à Milton.

Ce dernier se figea à son tour.

— Le Turc, fit-il. Ça alors !

Krisantem les avait aperçus en même temps. À tout hasard, sa main fila vers sa ceinture, où était niché bien au chaud son vieil Astra.

Chris Jones et Milton Brabeck s’étaient instinctivement écartés l’un de l’autre. Depuis Istanbul, les deux barbouzes et Krisantem ne se portaient pas un très grand amour. Malko n’eut que le temps d’intervenir.

— Messieurs, fit-il, je vous signale qu’Elko Krisantem est à mon service depuis quatre ans déjà et qu’il me donne toute satisfaction.

Il avait frôlé la catastrophe avec les deux Lodens en train de regarder curieusement les nouveaux arrivants.

— Ah ! fit Chris Jones, déçu.

Un de ses rêves avait toujours été de tenir la tête de Krisantem sous l’eau, le temps d’extraire la racine carrée de 185 976.

Quant à Milton Brabeck, il était sincèrement indigné :

— Vous faites confiance à ce type-là, remarqua-t-il. Vous ne vous souvenez pas qu’il a failli vous zigouiller à Istanbul avec son lacet, l’affreux ?

Parodiant le Père Melnik, Malko laissa tomber :

— Dieu recommande le pardon des offenses. Et nous ne sommes pas là pour régler les vieilles querelles. Venez, j’ai un certain nombre de choses à vous expliquer.

Laissant Krisantem veiller sur Otto Wiegand, ils prirent le chemin de l’annexe.

— Messieurs, dit Malko, une fois de plus, je vous demanderai de laisser vos gros pistolets au vestiaire. Il y a peut-être quelque chose de pourri au royaume du Danemark, mais ils n’aiment pas les coups de feu intempestifs.

Ce serait trop bête de se faire expulser du Danemark, en laissant Otto en tête à tête avec Boris et Stéphanie.

Les Danois ont horreur des complications et des cadavres. Depuis Hamlet, c’est connu.

Malko exposa sobrement la situation à Chris Jones et à Milton Brabeck. Les yeux gris-bleu des deux Américains devinrent tout tristes.

— Alors, on ne peut pas faire son affaire au pédé à cheveux blancs ? interrogea Chris.

Calomnie gratuite, Boris réunissant une assez belle gerbe de vices absolument étrangers à l’homosexualité.

— Qu’est-ce qu’on fait ? renchérit Milton.

— Pour le moment, rien, répliqua Malko. Vous vous promenez au bord de la mer et vous regardez les Danoises. On va bientôt pouvoir se baigner, les dernières glaces ont fondu.

Lorsqu’on leur avait annoncé leur départ pour le Danemark, ils étaient tout égrillards à la pensée des belles Scandinaves, ignorant que dès qu’une jolie Suédoise a un peu d’argent elle file droit sur Paris, Londres ou New York.

Mais il ne faut pas décourager les vocations. Ayant expédié les deux gorilles à leurs occupations bucoliques, Malko s’accouda à la fenêtre donnant sur la plage. Le mauvais temps avait complètement disparu et le soleil était presque chaud.

Il allait refermer la fenêtre lorsqu’il aperçut deux personnes marchant sur la plage. Yona et le Père Melnik.

Malko sourit. Décidément, le prêtre prenait des libertés de plus en plus grandes avec la hiérarchie…

вернуться

15

Voir : S.A.S. à Istanbul.