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Il se pencha sur le prêtre. Il avait piteuse allure. Son visage était tout gris, éclaboussé de vomissures et quand Malko voulu le faire lever, il hurla de douleur. Malko rabattit la soutane sur ses jambes poilues et s’agenouilla près de lui. L’autre ouvrit des yeux glauques et les referma aussitôt. Malko le secoua :

— Ne faites pas semblant d’être évanoui, sinon, je vais droit à la police raconter ce que j’ai vu.

— On ne vous croira pas, murmura le prêtre. Je suis un homme de Dieu. Cette fille est une traînée.

— Pourquoi avez-vous tenté de la tuer ?

— C’est un être malfaisant, elle a tenté d’assassiner mon ami sans défense la nuit dernière. J’ai voulu le venger…

Tant de générosité sonnait faux. Malheureusement, Malko n’avait guère le choix. Avant tout, maintenir les autorités danoises hors de ce micmac…

Si Otto Wiegand restait en tête à tête avec sa douce épouse et Boris, huit jours plus tard on le retrouverait de l’autre côté du rideau de fer, même s’il avait droit à une ultime partie de jambes en l’air avant de disparaître dans les oubliettes… Malko aurait donné cher pour savoir la raison pour laquelle le prêtre tenait comme la prunelle de ses yeux à Otto Wiegand.

Dès qu’il vit que le prêtre allait mieux, il se brossa.

— Mais ne recommencez pas, avertit-il, sinon, sécurité ou pas, vous y passez.

Le Père Melnik ne répondit pas. Lorsque Malko s’éloigna, il brossait sa soutane avec un regard de haine.

Malko alla droit à la chambre de Chris Jones. Il trouva le gorille plongé dans la lecture du dernier Playboy.

— Chris, j’ai une mission pour vous, dit Malko.

Soigneusement, le gorille replia la playmate, plein de nostalgie. Où étaient les pulpeuses Danoises ?

— Vous avez vu la jeune femme aux cheveux acajou dans la salle à manger ? Eh bien, à partir de maintenant, vous ne la quittez plus d’une semelle. Au besoin, dormez devant sa porte.

Chris se rembrunit sérieusement.

— Ça ne serait pas plus sûr, dans son lit ?

Il avait sérieusement évolué depuis leur première mission, le bon Chris.

— Si elle ne s’y oppose pas, fit Malko imperturbable, votre mission en sera facilitée. Sinon c’est le paillasson. Et si vous voyez le gros prêtre s’approcher d’elle, je vous autorise à lui donner autant de coups de pied dans le ventre qu’il y a de mois en r dans l’année.

— Au révérend ?

Chris était suffoqué. Membre dévot de l’Église épiscopale, il avait un respect aveugle pour tout ce qui portait une soutane ou une cornette.

— Enlevez-lui sa soutane avant, si cela vous gêne, suggéra Malko.

Lorsqu’il referma la porte, Chris Jones était plongé dans une méditation intense.

* * *

Lise Kistrup attendait Malko dans sa chambre. Vêtue d’un pantalon de cuir et d’une blouse en soie, avec de courtes bottes marron, elle ressemblait plus à une starlette qu’à une attachée d’ambassade. Le visage de la jeune Danoise était grave.

— J’ai un message pour vous, depuis ce matin, annonça-t-elle. Il a été transmis directement par David Wise, au téléphone. Il préférait qu’il n’en reste pas de trace écrite.

— De quoi s’agit-il ? demanda Malko, qui connaissait déjà la réponse.

— C’est au sujet de la jeune femme, euh, Stéphanie.

Brusquement, elle rougit. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de choses. Malko lui tendit la perche avec un sourire triste.

— Notre ami pense qu’une élimination discrète nous éviterait bien des soucis, n’est-ce pas ? Débarrassé de la femme qu’il aime, Otto Wiegand n’aurait plus aucune raison de retourner à l’Est.

Lise ouvrit de grands yeux.

— Comment savez-vous ? C’est exactement cela.

— C’est logique : ce que les communistes appelleraient la solution correcte. Et d’autant plus facile à ordonner quand on se trouve à quelques milliers de kilomètres de l’éventuelle victime. C’est pour des petites décisions de ce genre que les Services secrets ont du mal à recruter dans les Universités…

— Qu’allez-vous faire ?

— Que feriez-vous à ma place ?

La jeune fille rougit de plus belle.

— Je ne sais pas. Je ne croyais pas que ces choses-là existaient.

— Elles existent. Mais j’espère que vous ne les verrez pas en application ici.

Elle n’avait plus envie de flirter, Lise. Assise sur le lit, elle chercha dans les yeux dorés de Malko un réconfort, mais n’y vit que le reflet de ses pensées.

Des larmes perlèrent à ses yeux. Elle ne s’était pas imaginé leur tête-à-tête ainsi. Voyant son trouble, Malko vint vers elle et lui caressa les cheveux.

— Allez vous reposer, lui dit-il. Ça ira mieux ce soir. Moi aussi j’ai besoin de me détendre.

Elle sortit après avoir serré très fort la main de Malko.

Resté seul, celui-ci regarda avec envie la photo de son château.

Ce n’était pas au Danemark qu’il y avait quelque chose de pourri, mais un peu partout dans le monde.

L’ultimatum de David Wise le mettait dans une situation impossible.

Éliminer Stéphanie ne posait pas de problèmes insurmontables. Les gorilles, en plus de leur artillerie classique, possédaient une panoplie plus discrète valant largement les pistolets à cyanure des Russes. Mais il se sentait incapable de donner l’ordre, même si cela constituait une faute professionnelle caractérisée…

S’il passait outre et échouait, il risquait d’en supporter les conséquences. C’est-à-dire son élimination définitive du service, sous une forme peut-être désagréable. Car si la CIA transformait en ronds-de-cuir ses agents officiels brûlés, elle n’avait pas les mêmes bontés pour les agents noirs.

C’est toujours tentant d’expédier un agent dans un pays ennemi pour sonder un réseau déjà pourri. D’une pierre deux coups. On teste le réseau et on se débarrasse d’un poids mort sans avoir à payer de pension.

Au mieux, il ne finirait jamais son château de Liezen. Dans son métier, on pardonnait tout, absolument tout. Il pourrait mettre le feu au Vatican, griller le pape et une brochette d’évêques, si le succès s’ensuivait, David Wise ne lui infligerait qu’un blâme léger.

Mais l’échec, ça jamais. Ou alors, il fallait être au moins le directeur de l’Agence. Voir la baie des Cochons.[16]

* * *

L’ambiance ne s’améliorait pas, dans la salle à manger du Scandia. Chris Jones grignotait son poisson, tout seul à une table, un oeil sur Yona et l’autre sur le Père Melnik. À chaque occasion possible, il coulait à l’Israélienne un regard aussi langoureux que possible.

Au moins, il prenait son travail à coeur. Malheureusement la jeune Israélienne se montrait assez peu concernée. Elle n’avait d’yeux que pour Otto Wiegand. Et pas précisément les yeux de l’amour…

Milton Brabeck regardait Elko Krisantem avec un dégoût prononcé. Il admettait beaucoup de choses de Malko, y compris ses incursions sexuelles durant les heures de travail. Mais avoir pris à son service un ex-tueur à gages communiste, même pas syndiqué, c’était à douter de l’existence de Dieu.

Il faut dire que le Turc rendait bien son antipathie au gorille. Il mangeait le nez dans son assiette, sans dire un mot.

Ignorante de ces luttes intestines, Lise surveillait Malko du coin de l’oeil. Deux verres d’aquavit avaient chassé ses idées noires. Remaquillée et recoiffée, elle ne semblait plus souffrir de son séjour à Skagen.

Bien au contraire.

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16

L’invasion manquée de Cuba.