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— Demain, c’est la Saint-Jean, annonça-t-elle après avoir avalé ses harengs.

— Ah oui ? remarqua poliment Malko.

Lise pouffa espièglement.

— Comment, vous ne savez pas ce que c’est que la Saint-Jean dans notre pays ?

Malko dut avouer son ignorance. La jeune Danoise soupira avec nostalgie.

— C’est le jour le plus extraordinaire de l’année, dit-elle.

— Pourquoi donc ?

Il n’était pas fou de fêtes folkloriques.

— Dans chaque village danois, expliqua-t-elle avec simplicité, on fait un grand feu. Des équipes de volontaires l’entretiennent toute la nuit. Si vous survolez le Danemark ce jour-là, vous avez l’impression qu’il y a des milliers d’incendies dans tout le pays. Les communes les plus pauvres ont leur feu. Et la nuit de la Saint-Jean est la plus longue de l’année. L’obscurité n’est jamais totale, même à trois heures du matin. Ce soir-là, tous les jeunes sont dehors. Beaucoup ne se couchent pas ou du moins pas avant cinq ou six heures du matin…

— Mais qu’est-ce qu’ils font toute la nuit ? demanda Milton, intrigué.

Lise le fixa droit dans les yeux.

— Ils chantent, ils dansent autour des feux et, surtout, ils font l’amour.

Le hareng du gorille resta à mi-chemin de sa bouche. Il en bavait.

— L’amour ?

— Oui, l’amour, répliqua calmement Lise. Cette nuit-là tout est permis. D’ailleurs beaucoup de jeunes filles la choisissent pour commencer leur vie sexuelle. Il paraît que cela porte bonheur. On danse autour du feu avec le garçon choisi et, s’il vous veut, il doit sauter par-dessus les flammes et vous emmener ensuite dans ses bras. Heureusement, il pleut rarement le jour de la Saint-Jean. Car tout le monde fait l’amour dans les champs. C’est plus poétique que dans les voitures.

— Et vous avez fait ça, vous ?

Milton Brabeck était abasourdi.

Lise éclata de rire.

— Oh ! non, moi j’étais à Copenhague. J’ai fait l’amour dans un appartement, les gens entraient et sortaient, sans arrêt, c’était très désagréable.

Milton Brabeck avait de grosses gouttes de sueur au front. Il espérait que ces coutumes barbares ne viendraient pas aux oreilles de son épouse de Kansas City…

— Mais tout le monde fait l’amour ? demanda-t-il d’une voix étranglée.

— Ce n’est pas obligatoire, précisa Lise, mutine, mais c’est très triste de ne pas le faire. Cette nuit-là, vous pouvez avoir autant d’amants que vous le voulez avant que le jour se lève sans que cela ait beaucoup d’importance. Des amies à moi ont même fait des concours…

— Des concours !

Un ange passa, la face voilée.

— Vous savez, ici, tout le monde prend la pilule, expliqua paisiblement Lise.

— Il y aura un feu de la Saint-Jean à Skagen ? interrogea Malko.

Sous la table, la cuisse de Lise frôla la sienne sans qu’il sache si c’était volontaire. Un peu trop langoureusement, elle répondit :

— Bien sûr ! Je vous y emmènerai, si vous voulez, ajouta-t-elle devant le sourire amusé de Malko.

Ses yeux d’or ne souriaient pas pourtant. Étant donné les dispositions dans lesquelles se trouvait la belle Stéphanie et son physique, la nuit de la Sankt-Hans[17] à Skagen risquait de marquer dans les annales du pays…

Ça serait bien étonnant que Boris ne pensât pas à utiliser ce folklore un peu particulier.

La Saint-Jean au Danemark, c’est assez fabuleux. Pendant douze heures, une orgie sexuelle à l’échelon d’une nation. Pris d’une sorte de frénésie, tout ce qui a entre quinze et trente ans se livre joyeusement aux joies de la fornication bucolique avec comme seul critère le consentement réciproque des partenaires. Il paraît même que nombre de vieilles filles profitent du couvert de l’obscurité pour combler des rêves impossibles à réaliser autrement…

En pensant à cela, Malko en avait des sueurs froides. Stéphanie était de taille à tenir tête à tous les mâles de Skagen. La raison d’Otto Wiegand n’y résisterait pas. Et malheureusement, rien ne pouvait le protéger. Si sa femme avait envie de faire des folies de son corps, ce n’était pas l’affaire des Lodens. Ils trouveraient même cela plutôt bien.

Malko posa les yeux sur Allemand. En trois jours, il avait vieilli de dix ans. Des poches sous les yeux, le teint gris, les gestes mal assurés. Dès qu’il ne se savait pas observé, il regardait Stéphanie avec tantôt des yeux de chien battu, tantôt une expression si féroce qu’on s’attendait à ce qu’il lui sautât à la gorge. Pourtant, ce soir, elle portait une robe relativement modeste, dont le jersey collant dessinait quand même les formes de son corps admirable avec la précision d’un bleu d’architecte. Juste pour maintenir la pression…

Sans qu’il sache pourquoi, Malko était persuadé qu’il ne se passerait rien ce soir-là. D’abord Stéphanie avait des valises sous les yeux, suite de son intermède avec le Danois et devait prendre des forces pour le lendemain, l’hallali. Quant à Otto, il était trop touché pour prendre une initiative.

Il restait le Père Melnik et Yona. Malko faisait confiance à Chris Jones. Quant au Père, il risquait de se tenir tranquille un moment.

Si seulement, il n’y avait pas eu cette odeur de poisson ! Malko fut le premier à se lever de table. Très vite les autres se retirèrent dans leur chambre, laissant les deux Lodens jouer aux échecs dans un coin du bar.

C’était la trêve, le calme qui présage la tempête. Étendu sur son lit, Otto Wiegand rêva jusqu’à une heure avancée de la nuit à ce qu’il ferait à Stéphanie s’il se trouvait avec elle sur une île déserte.

Hélas ! l’étranglement ne venait qu’en toute dernière position, les joies de la chair définitivement épuisées.

Chapitre X

Sa dernière prière rapidement marmonnée, le Père Melnik sortit de sa chambre, illuminée par un soleil radieux. Il n’était guère plus de huit heures du matin et l’hôtel Scandia dormait encore. Une partie de la nuit, le prêtre avait considérablement réfléchi. Il craignait cette folle de Yona. On ne peut pas protéger un homme vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Quant à Stéphanie, elle semblait hors d’atteinte, sous la garde vigilante de Boris.

Il ne restait donc qu’une solution.

Par téléphone, il avait fait demander un taxi qui attendait devant l’hôtel. Il frappa un coup léger à la porte d’Otto Wiegand.

— Entrez.

Le prêtre glissa sa silhouette massive dans l’entrebâillement.

L’Allemand était étendu sur son lit. Il n’avait pas fermé l’oeil de la nuit. Dès qu’il s’endormait, il apercevait Stéphanie avec le Danois. Et la sarabande commençait. Stéphanie était là avec lui, il l’appelait, pleurait, étouffait des cris de rage.

Pas une seconde de repos.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-il d’une voix lasse.

Le Père Melnik prit l’air mystérieux.

— Je viens de voir le Russe partir seul pour le village et ta femme est dans la salle à manger. Ce serait peut-être le moment de lui parler…

Otto sourit sardoniquement.

— Lui parler. À cette salope. Après ce qu’elle a fait.

Avec les mots les plus crus qu’il put trouver, il parla de sa femme. Ça lui faisait du bien. Le Père Melnik hocha la tête, désolé.

— C’est une bonne occasion pour lui demander des comptes. Tu ne vas pas te laisser détruire sans rien faire, Ossip Werhun. Allez, viens.

L’Allemand hésita près d’une minute. Mais la tentation de parler à Stéphanie fut la plus forte. Il se leva et passa une veste. Le père s’effaça pour le laisser sortir et, au moment où il passait devant lui, lui asséna une manchette sur la nuque à assommer un boeuf.

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17

Saint-Jean en danois.