— À cette heure-ci ! Mais il dort.
De plus en plus affolée, Lise.
— Nous allons le réveiller, répliqua Malko.
Tout en conduisant, il commença à expliquer son plan à la jeune femme. Il avait fini lorsqu’ils stoppèrent devant l’hôtel Royal. Elle le regarda, abasourdie.
— C’est incroyable ! Vous croyez que cela va marcher ?
Malko hocha la tête.
— Cela dépend en grande partie de vous. Allez dans la chambre et dites à Krisantem de descendre.
En attendant Lise, il chercha sur la carte la rue où demeurait le consul. Cinq minutes plus tard, Krisantem, sans cravate, montait dans la voiture. Malko démarra immédiatement. Lise était restée à l’hôtel, pour réveiller le consul par téléphone.
— Il y a un cadavre dans le coffre, annonça-t-il au Turc. Nous allons nous en débarrasser.
— Ah ! fit le Turc, pas enthousiaste.
Il avait horreur de creuser.
— On ne va pas l’enterrer, précisa Malko, simplement l’envelopper pour un long voyage.
— Ah ! bon, dit Krisantem, soulagé.
Du moment qu’on ne le forçait pas à creuser… Qu’on le découpe en petits morceaux ou qu’on le cuise dans l’acide…
Malko expliqua deux ou trois choses à son compagnon tandis qu’ils s’éloignaient du centre. Ils stoppèrent un quart d’heure plus tard devant une villa éteinte. Lise devait avoir téléphoné, car immédiatement après le coup de sonnette de Malko, la porte s’ouvrit sur un homme en pyjama, les cheveux dressés sur la tête, l’air totalement furieux : William Birch, le consul, auquel Malko avait déjà eu affaire, le jour de « l’abjuration » d’Otto Wiegand.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda-t-il, peu amène. Il est deux heures du matin.
— Je sais, répliqua Malko paisiblement, mais j’ai besoin de vous. Immédiatement.
— Bon, entrez, accepta l’autre de mauvaise grâce. Mais j’espère que la salade que vous avez à me vendre est bonne…
Malko le suivit, Krisantem sur ses talons. Il s’assirent tous les trois dans le salon.
— J’ai un cadavre dans le coffre de ma voiture, annonça Malko.
Le diplomate sauta de son fauteuil :
— Quoi ?
— Le problème n’est pas là, continua Malko. Ce cadavre est celui d’Otto Wiegand. Tout le monde ignore sa mort. Il est d’une importance primordiale qu’on le croit parti aux USA du moins pour deux ou trois jours…
William Birch vira au rouge prélat.
— C’est pour me raconter des conneries pareilles que vous venez me réveiller à cette heure-ci ! En quoi tout cela me concerne-t-il ?
— Cela vous concerne énormément, affirma Malko. Parce que vous allez vous charger dans les premières heures de la matinée de faire prendre l’avion à Otto Wiegand. Plus précisément, un appareil du MAC.[19]
— Moi ?
Il était au bord de l’apoplexie, le consul.
— Vous, répéta Malko. Ne me faites pas perdre de temps. J’ai besoin d’un diplomate pour escorter le corps et pour que personne ne pose de questions. Entre-temps, je vais prévenir Washington afin qu’on reçoive dignement Otto Wiegand…
» Quand vous l’aurez mis dans l’avion, vous convoquerez les journalistes danois pour leur expliquer qu’Otto Wiegand, transfuge de l’Est, a préféré partir en catimini par crainte des pressions exercées sur lui… Ensuite vous n’aurez plus qu’à garder le silence une bonne semaine et vous aurez rendu un fichu service à votre pays !…
William Birch, violet, avala sa salive.
— Je refuse, dit-il dignement. Je ne suis pas un, un… un homme de main…
Malko sourit imperceptiblement. Décidément les vrais diplomates n’étaient bons à rien…
— M. Elko Krisantem, ici présent, assura-t-il, se chargera des détails matériels de l’emballage. Quant à votre collaboration, je peux vous dire ceci : si cette opération rate à cause de vous, le Département d’État ne trouvera pas de poste assez minable pour vous y abandonner le restant de vos jours.
Les deux hommes se mesurèrent du regard. Le diplomate connaissait le véritable métier de Malko et les grandes lignes de sa mission. Mais c’était tellement énorme…
— Alors ? demanda Malko.
L’autre craqua d’un coup. Affolé, il bredouilla :
— Mais enfin, comment vais-je faire ? Ce mort, c’est horrible, on va le voir.
— Je vous conseille la caisse convenablement aménagée, suggéra Malko. C’est très bien vu dans les pays arabes. La plupart des diplomates voyagent de cette façon…
William Birch était trop assommé pour relever le trait. Il se leva et dit piteusement :
— Je vais m’habiller.
— Voilà ce que j’attends de vous, expliqua Malko…
Pendant un quart d’heure, il mâcha le travail au diplomate. Lorsqu’il se tut, William Birch avait vieilli de dix ans.
— C’est absolument nécessaire ? balbutia-t-il.
— Absolument, fit Malko en se levant.
Lise attendait sagement dans la chambre, les yeux brillants. Dès que Malko entra, elle lui jeta :
— Il est dans sa chambre.
Malko hocha la tête. Cela ne l’étonnait pas. Les Russes adorent les paperasses. Il devait être en train de faire son rapport en douze exemplaires.
Pour une fois, Malko bénit la paperasserie soviétique. Elle lui offrait sa dernière chance.
— Vous êtes prête ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
— Allez-y !
Il se pencha sur sa main et la baisa.
— Merci, Lise.
Puis, il recula et la gifla à toute volée. Elle tomba assise sur le fauteuil, le souffle coupé, une énorme marque rouge sur le visage, les yeux pleins de larmes.
Malko se pencha et lui envoya un coup de poing dans l’oeil droit.
Malgré elle, elle poussa un hurlement. Presque instantanément, une marque noire apparut sous son oeil.
Relevant sa jupe, Malko griffa les cuisses de la Danoise et tordit à pleines mains la chair tendre. Lise se mordait les lèvres pour ne pas crier.
— La poitrine, souffla-t-elle.
Malko commença à lui pétrir les seins sans ménagement, comme s’il avait voulu y enfoncer ses doigts.
Puis, passant une main sous son chandail, il arracha le soutien-gorge, en prenant soin de griffer l’épaule. Ensuite il tira violemment sur le slip qui lui resta dans les mains, en deux morceaux.
— Sautez sur moi, maintenant, ordonna-t-il.
Elle obéit, donnant des coups de pieds, se débattant furieusement. Malko la prit par les cheveux, la jeta par terre, la reprit, la serra à la gorge, lui meurtrit les poignets. Ils luttèrent encore cinq bonnes minutes. Lise, dont la peau marquait facilement, était pleine de bleus, avait le visage écarlate et respirait avec peine. Sans le vouloir, Malko lui avait griffé la lèvre inférieure et elle saignait.
Il la considéra d’un oeil critique.
— Ça doit aller. En avant.
Elle parvint à sourire et se rapprocha de lui.
— Vous oubliez le principal. La police danoise est très consciencieuse… Surtout dans les histoires de viol.
Lise aussi était très consciencieuse. Et avait de la suite dans les idées. Depuis une semaine, elle avait envie de Malko. C’était une occasion inespérée. Les dix minutes suivantes contribuèrent largement à achever son essoufflement. Elle se démenait contre Malko comme si elle n’avait jamais fait l’amour de sa vie. Avec autant d’égoïsme qu’un homme. Puis elle poussa un feulement léger, et se dégagea avec un baiser.
— Je suis prête, annonça-t-elle.
Malko ouvrit la porte et inspecta le couloir. Désert. Il fit signe à Lise. Pour plus de sûreté, ils descendirent au dixième étage par l’escalier de secours, le couloir du dixième était également désert. La chambre de Boris Sevchenko était à quelques mètres. La jeune Danoise y courut et commença à tambouriner à la porte. Au bout de cinq minutes, la voix de Boris s’éleva de l’autre côté du panneau.