Выбрать главу

— Oui. Sans nul doute, murmura Aldo revoyant la jeune fille prostrée de douleur, sa joue appuyée contre la main du mort, et rappelant sévèrement Keitoun au respect. Il faut constater qu’elle n’a rien fait pour attirer Adalbert à elle… et je commence à me demander si je n’ai pas commis une sottise en orientant sur elle la méfiance d’Henri Lassalle. J’ai joué les concierges et Adalbert pourrait avoir raison !

— C’est possible, mais ne tombe pas dans l’excès contraire. Ce que tu redoutes le plus, c’est de voir ton ami s’engager dans un amour sans espoir et cela au sein même d’un métier qu’il adore, et tu as fait ce que tu pouvais pour le protéger. Malheureusement, c’est raté… mais ça doit pouvoir s’arranger parce que bon gré mal gré vous ramez toujours dans la même galère. Les assassins d’Ibrahim Bey devaient être certains que vous lui aviez remis l’Anneau – au fait, il faudra que tu me le montres ! –, d’où, après le saccage de vos chambres et leurs recherches infructueuses, le meurtre odieux de ce vieil homme.

— Vous pensez à qui ? Shakiar et Ali Assouari ? J’y pensais aussi.

— Lui peut-être, je ne le connais pas. Elle, je suppose qu’il la manipule comme une marionnette. Ce qui est sûr, c’est que l’Anneau étant toujours en ta possession, vous pourriez être en danger tous les deux mais cette fois en ordre dispersé… puisque en principe vous êtes brouillés.

— Pas en principe : nous le sommes ! Et définitivement !

— Tu ne peux t’empêcher d’exagérer. Les passions d’Adalbert me font penser à des crises de croissance. Celle-là passera comme les autres…

— … mais en laissant peut-être des dégâts irréparables. Alors, maintenant que vous êtes au courant, que me conseillez-vous ?

— Qu’en penses-tu ?

— Si je n’étais pas coincé dans ce patelin par cet idiot de policier, je serais en route pour Venise. J’en ai par-dessus la tête de cette histoire ! Et dire que je rêvais d’aventure !

— Mais tu ne cesseras jamais d’en rêver. Je parie qu’à peine sur le bateau tu te précipiterais chez le commandant pour le supplier de faire demi-tour.

— Je ne crois pas…

— Allons donc ! Tu te vois, laissant ton vieux copain se débattre seul et abandonné dans cette vilaine histoire ?

— Oh, le moyen de le mettre à l’abri auquel j’ai réfléchi en quittant la maison des Palmes, c’est de lui remettre l’Anneau et de le laisser se débrouiller avec.

— Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?

— Parce que c’était de l’orgueil mal placé et que j’aurais trop eu l’air de lui demander pardon ! Cela dit, si Keitoun me restitue mon passeport et me rend ma liberté, c’est sans doute ce que je ferai avant de partir…

— On verra quand nous y serons ! En attendant, je te conseille une petite sieste. Ensuite, on prendra une felouque pour une promenade sur le Nil ! Cela nous fera du bien à tous les deux !

7

Un émule de Sherlock Holmes ?

Tante Amélie avait raison comme toujours : tirer des bords à l’heure où le soleil déclinant s’inscrit en transparence sur la toile de la blanche aile triangulaire d’une felouque était un moment de pur bonheur. Le Nil était plus bleu que jamais, crêté d’écume là où il se brisait sur les rochers, l’air d’une divine pureté, la végétation plus verte, plus dense que jamais, poussant les fleurs jusqu’au ras de l’eau. Les mariniers qui s’activaient sur le bateau fredonnaient un air à bouche fermée.

On avait décidé de faire le tour de l’île Éléphantine puis d’y aborder pour récupérer Plan-Crépin dans son temple en ruine.

— Comme elle y est depuis ce matin, elle aimera certainement mieux revenir avec nous que prendre le ferry.

— Elle y passe toutes ses journées ? Vous devez vous ennuyer ?

— Non. Seulement les après-midi en général mais, depuis que je me suis liée amitié avec les Sargent, elle part de temps en temps le matin en emportant son… casse-croûte… ? C’est le terme approprié, n’est-ce pas ?

— Absolument ! répondit Aldo en riant.

— En outre, dans ces pays chauds, j’aime faire une sieste après déjeuner alors qu’elle ne tient pas en place, tu le sais aussi bien que moi. Elle m’a confié un jour qu’elle voulait profiter de chaque minute de son existence…

— Le contraire m’aurait surpris. Et comment s’arrange-t-elle pour sa chère messe du matin ? Elle ne s’est pas convertie à l’islam, tout de même ?

Quand elle était à Paris, Marie-Angéline se rendait avec une régularité d’horloge à l’église Saint-Augustin entendre la messe de six heures. Elle s’y était taillé une sorte de centre de renseignements, alimenté par les vieilles demoiselles et les serviteurs de nombreuses grandes maisons, d’où elle tirait nombre d’informations qui, au fil des ans, s’étaient révélées plus qu’utiles dans les diverses aventures auxquelles Aldo et Adalbert l’avaient mêlée, à sa plus grande joie.

— Pas de problème, il y a un petit couvent à proximité de l’hôtel où elle peut se rendre facilement. Elle serait capable de dénicher une chapelle au pôle Nord.

Après quoi on fit silence pour ne rien perdre de la magie de la promenade. Elle avait le pouvoir d’alléger le poids des soucis d’Aldo. Une fois doublée la pointe nord de la grande île puis l’île-jardin Kitchener, on remonta le long de la rive gauche où l’on croisa le bac reliant au monastère Saint-Siméon. On approchait du passage entre les îles Essa et Éléphantine quand les jumelles qu’Aldo s’était gardé d’oublier se fixèrent soudain :

— Mais qu’est-ce qu’elle fait là ?

— Qui donc ?

— Votre Plan-Crépin, pardi ! Tenez, regardez là-bas, sur le chemin qui mène au ponton du bac, ajouta-t-il en tendant les jumelles. Si ce n’est pas elle, je mange mon chapeau !

À l’évidence, c’était elle. Au pas paisible d’un âne auprès duquel trottait le gamin que l’on avait vu précédemment en sa compagnie, Marie-Angéline descendait tranquillement vers le débarcadère reliant la rive à l’île Isis d’où un autre bateau la ramènerait à Assouan.

— Tu as raison et on est en droit de se poser la question : que peut-elle peindre par là ? C’est désertique à souhait ?

— Si vous voulez m’en croire, on rentre directement à l’hôtel sans nous occuper d’elle et nous attendrons de voir ce qu’elle nous racontera au dîner. Vous connaissez son goût du secret.

— Oh, oui !

— Et qui est ce jeune garçon ? C’est la seconde fois que je le vois avec elle.

— Le petit Hakim ? Il lui est dévoué depuis que, le jour même de notre arrivée, elle l’a tiré des griffes d’une grosse brute qui le poursuivait à coups de fouet en le traitant de mendiant. Elle n’était armée que de son ombrelle mais tu aurais dû assister à la scène : c’était épique ! Elle refaisait les croisades à elle toute seule dans le meilleur style de ses ancêtres dont elle nous rebat les oreilles. C’était grandiose ! De ce jour, le petit s’est mis en quelque sorte à son service. Au fait, lui dirons-nous que nous l’avons vue ?

— Pourquoi pas ? Elle est libre d’aller où elle veut.

— Sans doute. Pourtant, il lui arrive d’avoir des réactions inattendues.

Ce fut le cas ce soir-là. Quand on lui demanda d’où elle venait, Marie-Angéline devint rouge jusqu’à la racine de ses cheveux jaunes et s’efforça de prendre un air dégagé :

— Oh, ça… ? Dans ce pays on trouve partout des sujets intéressants. Hakim m’avait parlé d’une… statue… très ancienne et à demi ensablée.