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— Que veux-tu que nous fassions ?

— Fais préparer ton bagage, va chercher ta voiture. Nous passerons au château du Fleuve prendre ce dont j’ai besoin et ensuite…

— Ensuite…

Il l’embrassa de nouveau avec une ardeur qui bouleversa Adalbert et la déposa dans un fauteuil, puis donna ses ordres à Béchir et voulut rejoindre son hôte qui n’avait pas encore rallumé, mais il n’eut même pas le temps d’atteindre la porte : la maison parut exploser. Une dizaine de Nubiens vêtus de noir firent irruption au milieu des plantes qu’ils renversèrent. Et l’action se déroula à la vitesse de l’ouragan. Trois d’entre eux emportèrent la jeune femme, tandis que les autres brisaient la défense que Karim et son domestique tentaient d’opposer. Le métal des poignards étincela dans le clair-obscur et les deux hommes s’abattirent avec un cri qui parut n’en faire qu’un, puis la bande reflua comme une marée noire, emportant sa proie. Adalbert, pétrifié par la stupeur, n’avait pas eu le temps de quitter son poste d’observation pour prêter main forte. Qu’aurait-il pu faire d’ailleurs contre cette bande d’énergumènes, sinon écoper lui aussi d’un coup de couteau ? En revanche, c’était à lui de jouer à présent, et sans tarder.

Se penchant sur les deux corps étendus parmi les débris d’argile, de fleurs et de terre, il vit que, si les blessés étaient gravement atteints, ils respiraient encore. Le téléphone et son annuaire étaient à l’entrée du patio. Il chercha d’abord l’hôpital pour demander médecin et ambulance d’urgence, hésita à appeler la police avec laquelle il ne doutait pas qu’il faudrait palabrer avant qu’elle ne se remue et préféra appeler Aldo. En trois mots il lui expliqua la situation, ajoutant :

— Demande donc à ton cher colonel british s’il veut bien tenter d’arracher le gros Keitoun à ses pistaches ! Il fera sûrement ça plus facilement que moi…

— Vu ! répondit sobrement Morosini. J’arrive !

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées qu’Aldo se matérialisait, alors que le corps médical ne s’était pas encore manifesté. Il trouva Adalbert presque aussi pâle que les victimes, à genoux auprès de Karim. Il lui tenait la main après avoir tenté de le ranimer, véritable statue de la rage impuissante :

— Voilà plus d’une demi-heure que j’ai alerté l’hôpital et je l’attends toujours. Quel pays, bon Dieu ! Et toi, la police ?

— Elle ne va pas tarder, Sargent s’en est chargé…

Aldo regarda autour de lui, repéra une table supportant des bouteilles et des verres, choisit un whisky et en versa une dose solide qu’il apporta :

— Bois ! Tu en as visiblement le plus grand besoin. Et puis viens t’asseoir ! Je vais t’aider parce que j’ai l’impression que tu n’y arriveras jamais tout seul.

C’était vrai. En dépit d’une longue habitude à affronter les coups durs, Vidal-Pellicorne tremblait comme une feuille… Il était à peine installé dans un fauteuil que la cloche de l’ambulance se faisait entendre. Cette fois, des hommes en blanc envahirent la cour intérieure, menés par un petit homme aux cheveux gris, barbu comme une chèvre, qui après s’être annoncé en tant que Dr Maimonide ne s’attarda pas en salamalecs et entreprit d’examiner les blessés.

— Vous y avez mis le temps, dites donc ! reprocha Adalbert. Ça va faire trois quarts d’heure que je vous attends et l’hôpital n’est pas au diable !

Sans l’honorer d’un regard, le médecin haussa les épaules :

— Quand vous avez le nez dans un abdomen ouvert pour en extirper une balle, c’est un peu délicat de lui tourner le dos !… Quant à ces deux-là, il faut les emmener… et vite !

On installait Karim et son serviteur sur des civières quand Abdul Aziz Keitoun, toujours armé de son chasse-mouches, effectua l’entrée majestueuse dont sa vaste personne était coutumière. Il commença par stopper les brancards en déclarant qu’il fallait laisser son personnel examiner les « cadavres ». Le petit toubib aboya aussitôt comme un fox-terrier en colère :

— Si je ne les emporte pas tout de suite, ils seront en effet des cadavres sous peu ! Pour l’instant, ils m’appartiennent ! Allez, vous autres !

Trop las sans doute pour discuter, Keitoun se laissa tomber dans un canapé de rotin qui gémit sous le poids et fit, de sa main grasse, le geste de débarrasser les lieux :

— Maintenant, dit-il en s’adressant à Aldo et Adalbert, j’attends vos dépositions ? Si j’ai bien compris, c’est vous qui les avez tués ? ajouta-t-il en pointant un doigt vers l’archéologue.

— Moi ? Mais j’étais l’invité de M. El-Kholti quand le drame s’est produit. Pourquoi voulez-vous que je les tue, lui et son serviteur ? Surtout en saccageant sa maison…

— L’invité ? C’est vite dit. Aux dernières nouvelles, vous n’aviez pas disparu ? On vous aurait kidnappé ?

— En effet ! Et ce jeune homme a été de ceux…

— On se tait quand je parle ! C’est clair pour moi : ce pauvre jeune homme vous avait enlevé et pour vous libérer vous les avez attaqués, lui et son domestique, afin de pouvoir vous évader ! La cause est entendue ! Vous serez jugé… et probablement pendu…

— Mais c’est de la folie ! Écoutez-moi au moins !

— Je ne crois pas que ce soit très intéressant, émit Keitoun en bâillant largement…

— Vous consentirez peut-être à m’écouter, intervint Aldo. Vous êtes dans l’erreur la plus complète. Ce carnage est l’œuvre d’une bande, dans l’intention d’enlever Mlle Hayoun qui venait d’arriver. Ils étaient approximativement une dizaine et vous pouvez voir les traces. Quant à mon ami ici présent, il a appelé l’hôpital puis, ne pouvant obtenir la police, il m’a téléphoné pour que je vous alerte par le truchement d’un ami anglais que vous connaissez : le colonel Sargent et…

— Où avez-vous pris que je le connais ? C’est un touriste anglais qui vient souvent à Assouan : rien d’autre. Et votre histoire montre surtout que vous avez une imagination débordante…

— Mais je vous répète que Mlle Hayoun a été enlevée et que…

— Comme c’est vraisemblable ! Cette jeune fille est fiancée au prince Assouari, alors voulez-vous m’expliquer le but de sa visite ? Pour moi, j’en sais assez ! Qu’on les embarque !

Il bâillait à s’en décrocher la mâchoire, visiblement pressé de retrouver son lit.

— Vous ne me croyez pas ? s’écria Aldo, indigné. Vous croirez peut-être l’ambassadeur de France que je vais alerter…

— Et qui n’y pourra rien ! Un crime est un crime et celui qui l’a commis doit payer. C’est comme ça chez nous !

— Chez nous aussi ! Mais à condition de trouver le coupable. Le véritable ou les véritables, en l’occurrence. Chez nous, une enquête est une affaire sérieuse où l’on ne se contente pas de tomber sur le premier pékin venu en lui mettant tout sur le dos !

Keitoun extirpa sa vaste masse du canapé et agita son chasse-mouches sous le nez d’Aldo :

— Je sais ce que je fais et je connais mon métier, figurez-vous ! Alors ne vous fatiguez pas, on vous boucle vous aussi et nous verrons qui aura le dernier mot ! Demain il fera jour !

— Et si vous m’écoutiez, moi ?

Toujours élégant dans son smoking blanc, le colonel Sargent venait de se glisser entre eux. Keitoun lui consentit un sourire condescendant :