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— Votre présence est malvenue, colonel ! Vous m’avez prévenu, c’est entendu, mais votre rôle s’arrête là. À moins, ajouta-t-il finement, qu’on ne vous ait encore volé votre cheval !

L’Anglais haussa les épaules, tira un porte-cartes de sa poche intérieure, l’ouvrit et le lui présenta :

— Et si vous jetiez un coup d’œil à ça ? Ou préféreriez-vous que j’aille faire un tour chez le gouverneur ? Mahmud Pacha déteste les complications et plus encore ceux qui les lui valent. Il a la fâcheuse habitude de leur en tenir rigueur et, tôt ou tard, de saler la note.

L’œil rond du gros homme vira à l’ovale tandis qu’Adalbert se tordait le cou aussi discrètement que possible en louchant vers un document assez magique pour ramener Keitoun à une plus juste compréhension de la situation. Il crut apercevoir les armes d’Angleterre et s’en tint prudemment à ses suppositions. Cependant, le policier tiquait. Son discours initial s’en trouva quelque peu modifié, même si son visage n’était pas plus amène. Il laissa tomber :

— Bon ! Il se fait tard et demain la journée sera longue. (Et s’adressant à Aldo et Adalbert :) Messieurs, je vous attendrai donc à dix heures pour une déposition complète. Inutile de vous déranger de nouveau, colonel, car…

— Cela ne me dérange pas le moins du monde et j’avoue que j’aimerais assister à l’entrevue : on ne s’ennuie jamais avec vous !

— Comme vous voudrez. Cette maison va être fouillée de fond en comble et gardée. Si vous avez des affaires à récupérer puisque vous prétendez être l’invité de la victime, allez les chercher ! Un planton vous accompagnera ! On se dépêche ! Je ne veux pas passer la nuit ici !

— Je vais t’aider, annonça Aldo. Cela ira plus vite.

Escortés d’une reproduction en plus mince de Keitoun, ils gagnèrent la chambre d’Adalbert mais, quand ils voulurent parler, leur chien de garde s’interposa par un déluge de mots dont Adalbert traduisit l’essentiel :

— Il dit qu’on aura tout le temps de causer après et qu’on doit faire fissa !

— Jamais vu des flics aussi pressés d’aller se coucher ! À ce sujet je peux te rassurer : ta chambre t’attend au Cataract !

Quelques minutes plus tard, ils roulaient dans la voiture qui avait amené Sargent que, naturellement, on remercia en essayant de ne pas montrer la curiosité qui les dévorait l’un et l’autre touchant les pouvoirs singuliers qu’il semblait détenir. Il s’en expliqua d’ailleurs de lui-même avec bonne humeur :

— Ne me prenez surtout pas pour un émule de Lawrence d’Arabie ou un séide de mon auguste beau-frère ! Simplement, quand un vieux soldat comme moi a beaucoup roulé sa bosse – c’est l’expression qui convient, n’est-ce pas ? – à travers le Commonwealth, beaucoup vu, beaucoup entendu et, le plus important, beaucoup retenu, le Foreign Office utilise ses compétences et aussi ses habitudes en lui confiant de petites missions de… je dirai, de surveillance. Rien de plus ! Dans des pays peu stables comme l’Égypte, cela peut présenter quelque utilité ! acheva-t-il sur le mode désinvolte.

« Ben voyons ! pensa Aldo, pour avoir amené Keitoun à composition sur la seule présentation d’une carte, il faut que tu aies atteint un fichu degré dans la hiérarchie de la taupinière britannique ! »

Une fois rentrés à l’hôtel et tandis qu’il buvait un dernier verre dans la chambre d’Adalbert, Aldo développa son impression :

— Je me demande si ce n’est pas principalement à Warren qu’il rend de menus services. Par exemple pour s’attacher au parcours de la croix d’orichalque volée au British Museum ?

— Tu pourrais avoir raison. Les « barbouzes » n’ont pas souvent l’air de ce qu’elles sont, approuva Adalbert auquel il arrivait parfois de rendre de discrets services à son pays, ce qui lui permettait d’arrondir encore plus confortablement les contours d’une bourse qui n’avait jamais connu la disette et qui n’en avait guère besoin. En tout cas, on lui doit une fière chandelle. Le gros Keitoun était prêt à nous envoyer finir la nuit sur la paille humide des cachots. Et maintenant, que décide-t-on ?

Aldo considéra sa montre :

— Que dirais-tu de dormir ? Ou de faire semblant ? On a eu notre content d’émotions pour la soirée et demain il va falloir répondre encore aux questions idiotes de ce sac de pistaches.

— Tu peux toujours essayer, moi je crois que je ne pourrai fermer l’œil. Pas après ce à quoi j’ai assisté ce soir. Cette horde de démons surgis de la nuit, ce pauvre type et son serviteur abattus pratiquement sous mes yeux sans que j’y puisse quoi que ce soit… sans compter Salima enlevée, et par qui ?

— Par qui ? Tu es devenu fichtrement naïf tout à coup ! Mais par Assouari, mon vieux ! Le tendre fiancé qu’elle voulait fuir. Ce que je voudrais savoir, c’est pourquoi elle ne s’est pas réveillée plus tôt ?

— Pour gagner du temps, je suppose. Elle accepté les fiançailles dans l’espoir de protéger celui qu’elle aime et aujourd’hui il s’est produit quelque chose qui a précipité sa décision. Elle s’est affolée… et voilà le résultat ! Quant à moi, je sais…

— Inutile de me faire un dessin : j’ai compris. On va s’arranger pour la sortir de ce guêpier !

— Pourquoi « on » ? Cette histoire ne te concerne pas : uniquement Salima et moi. Si je veux risquer ma vie pour elle, tu n’as aucune raison de m’imiter. Pense à ta femme et à tes enfants…

— Encore un mot du même style et tu prends mon poing dans la gueule ! coupa Aldo, furieux. Elle a commencé chez qui, cette histoire ? Chez moi, non ? À qui El-Kouari a-t-il confié l’Anneau ? À moi encore. Il était donc naturel que je m’en mêle et je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas ?

— Ne te fâche pas ! Ce n’est pas d’hier que je sais quel ami tu es mais, en l’occurrence, Assouari ignore sûrement le rôle que tu as joué le soir de sa fichue fête…

— Ah oui ? Alors dis-moi un peu pourquoi j’ai reçu, avant-hier matin, la veste de mon habit et mes chaussures avec quelques lignes disant que, étant donné la qualité de ces vêtements, il serait infiniment dommage de les perdre. On ajoutait même des vœux pour que je n’aie pas attrapé froid en allant prendre un bain de minuit dans le Nil. Ce qui veut dire que, non seulement il connaît mes faits et gestes par le menu, mais, en plus, il se fout de moi ! Je te laisse tirer tout seul la conclusion qui s’impose.

Il se dirigea vers la porte, suivi par le regard redevenu ironique d’Adalbert :

— Quo vadis, Domine(16) ?

Aldo haussa des épaules agacées :

— Ayant été nul en latin, je te répondrai en bon français : voir Tante Amélie ! Elle ignore ce qu’il vient de se passer parce qu’elle et Plan-Crépin ont été invitées à dîner chez la romancière anglaise. Il y a une chance qu’à cette heure-ci elles soient rentrées. Ça va sûrement les intéresser.

— Ou leur couper la digestion. Allons-y !

Les deux femmes venaient en effet de rentrer. Assises dans le petit salon qui séparait leurs chambres, elles commentaient la soirée et s’apprêtaient à boire le verre de champagne qui avait manqué au menu quand Aldo, après avoir frappé, passa la tête dans l’entrebâillement de la porte :

— On peut vous déranger ? Je vous ramène un revenant, dit-il en s’écartant pour laisser le passage à Adalbert.

Lequel fut accueilli, naturellement, avec le plaisir auquel il pouvait s’attendre. Marie-Angéline en eut les larmes aux yeux. Cependant, si elle embrassa l’arrivant, Mme de Sommières émit une certaine réserve :