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Au regard qu’il échangea avec Sargent, il comprit qu’il devait en penser tout autant. Aussi préféra-t-il le laisser se charger de la réponse. Ce qu’il fit d’une voix lénifiante. Encore que…

— Allons, capitaine ! Gardons-nous de porter un jugement téméraire que nous pourrions regretter par la suite. Les faits datent de cette nuit et, comme vous venez de le dire vous-même, l’enquête ne fait que commencer. Donnons-nous le temps de la réflexion ! Qu’en pensez-vous ?

— Sans doute, sans doute ! Et c’est bien ce que je fais, sinon j’aurais déjà procédé à une arrestation… J’espère seulement que ces Messieurs n’ont pas l’intention de quitter Assouan ?

— Pas tant que le… mystère ne sera pas élucidé ! fit Aldo sèchement en se levant pour partir. Puis-je cependant poser une dernière question ? ajouta-t-il, tandis que le colonel emmenait Adalbert.

— Posez-la toujours !

— Quelle raison M. Vidal-Pellicorne aurait-il pu avoir de tuer M. El-Kholti ?

Un sourire s’étala sur la face lunaire du policier. Un sourire qui se voulait finaud mais dans lequel Morosini décela une vague menace :

— La plus vieille qui soit, voyons ! La jalousie ! Je n’ignore pas que lui et Mlle Hayoun ont travaillé ensemble. Et elle est très belle…

TROISIÈME PARTIE

LE TOMBEAU

11

Le secret d’une femme

Sa lettre à peine partie, Mme de Sommières se demanda si, obéissant à une simple impulsion, elle avait eu raison d’écrire et si même on lui ferait l’honneur d’une réponse. Or, une heure après, celle-ci arrivait : un bateau l’attendrait à trois heures à l’embarcadère du Cataract.

Ce point acquis, restait la question Plan-Crépin. L’emmener ou pas ? Depuis qu’Aldo lui avait confié l’Anneau, celle-ci vivait dans une sorte d’état second, se retirant dans sa chambre dès que l’on n’avait pas besoin d’elle pour y méditer longuement, l’étrange bijou posé bien à plat entre ses deux mains et les yeux clos. Tellement concentrée que la vieille dame, entrée chez elle sans même qu’elle l’entende, avait retenu la comparaison avec un lama tibétain qui lui venait à l’esprit. D’autre part, si elle se rendait moins souvent sur la rive opposée pour y dessiner, elle tenait presque chaque soir un conciliabule avec le jeune Hakim. Finalement, la marquise se résolut à l’emmener. Il était normal qu’une dame de son âge et de sa qualité fût accompagnée d’une suivante, quitte à la laisser dans le jardin pendant l’entretien qu’on lui avait accordé : ses yeux fureteurs étaient capables de s’attacher à des détails invisibles. Et ce serait peut-être plus prudent.

Quand elle lui annonça, après le déjeuner, qu’elle eût à se tenir prête à l’accompagner au palais Assouari, Marie-Angéline retomba sur terre d’un seul coup :

— Nous voulons aller où ?

— Je viens de vous le dire : chez la princesse Shakiar. Secouez-vous, bon sang, Plan-Crépin ! J’ai sollicité un rendez-vous et elle a accepté aussitôt !

— Mais c’est de la folie ! Avons-nous demandé à Aldo…

— Quoi ? Sa permission ? Tenez-vous pour satisfaite que je vous emmène ! Uniquement pour éviter vos criailleries comme l’année dernière lorsque j’étais allée voir le dragon mexicain sans vous en faire part. Maintenant, si vous préférez m’attendre ici… Comme de toute façon vous ne bougerez pas du jardin…

Le « Oh non ! » retentissant trancha la question.

Il était à peu près trois heures et demie quand le grand majordome noir ouvrit devant la marquise les portes d’un petit salon donnant sur une galerie à colonnes au-delà de laquelle foisonnaient les buissons d’hibiscus blancs et rouges. Le canotier garni de marguerites de Plan-Crépin avait l’air de voguer dessus. Tante Amélie, dont le cœur battait un peu plus vite que d’habitude, admit en son for intérieur que c’était un spectacle plutôt rassurant.

L’attente fut brève. Une ou deux minutes avant que Shakiar ne rejoigne sa visiteuse… qui plongea aussitôt dans une révérence de cour :

— Votre Majesté !

La surprise joua à plein :

— Mais… je ne suis plus reine !

— Vous l’étiez, Madame, quand j’ai eu l’honneur de vous rencontrer chez l’ambassadeur de France il y a… quelques années ! Et chez nous, le titre ne se perd pas, même quand la fonction a disparu !

— C’est agréable à entendre… mais tenez-vous-en à la princesse et oubliez la troisième personne, la conversation en sera facilitée… Prenez place, je vous en prie ! ajouta-t-elle en désignant l’un des lourds fauteuils garnis de brocart rouge.

Mme de Sommières remercia en s’efforçant de cacher son profond étonnement devant celle qui la recevait. Depuis qu’elle l’avait aperçue pour la dernière fois quand elle avait quitté l’hôtel, Shakiar semblait avoir vieilli de dix ans. En dépit de l’élégance de ses vêtements et de la perfection de sa coiffure, une tentative de maquillage n’arrivait pas à dissimuler la pâleur du teint, le cerne violet des yeux, les plis de lassitude de la bouche. La trace de larmes était encore visible, et il n’était pas difficile de deviner que de nouvelles n’étaient pas loin… Aussi, oubliant sa rancune envers cette femme pour la façon dont elle avait traité Aldo, Mme de Sommières éprouva-t-elle de la pitié. Elle avait devant elle une douleur réelle et ne s’y trompait pas… Cependant, la princesse reprenait :

— Vous avez souhaité me voir au sujet d’une affaire grave, Madame. Que puis-je pour vous ?

— En réalité, je n’en sais trop rien ! C’est sur une impulsion que j’ai écrit. Vous êtes une très grande dame, très puissante sans doute parmi les gens de ce pays, et c’est pour tenter de venir en aide à l’un de mes compatriotes qui m’est extrêmement cher, bien que nous ne soyons pas du même sang mais que je sais être le plus sincère et le meilleur homme de la terre.

— Qui est-il ? Je veux dire, comment s’appelle-t-il ?

— Adalbert Vidal-Pellicorne… de l’Institut. Un savant et certainement l’un de nos plus brillants archéologues. Or, il s’en faut de peu qu’il ne soit jeté en prison pour un crime abominable… simplement parce qu’il en a été le témoin horrifié et impuissant. J’ajoute qu’une jeune fille à laquelle vous accordez votre protection, et je pense votre amitié, en a été victime elle aussi quoique de façon différente, puisque au lieu de la faire passer de vie à trépas on s’est contenté de l’enlever…

L’attention d’abord flottante et de pure politesse de Shakiar se fixa aussitôt :

— Vous parlez de l’assassinat de Karim El-Kholti ?

— … et de son serviteur ? Oui, princesse !

— Que savez-vous à ce sujet ? fit-elle, soudain fébrile.

— Ce qu’en a dit l’intéressé. Séjournant depuis deux ou trois jours chez ce jeune homme, Adalbert venait de se mettre à table avec lui pour le dîner quand Mlle Hayoun est arrivée en coup de vent et a supplié M. El-Kholti, à qui semblait l’attacher… je dirai un grand amour, de fuir sur-le-champ avec elle. Il fallait, assurait-elle, profiter de l’absence d’Ali, votre frère, Madame, à qui elle avait dû se fiancer par contrainte, pour prendre le large. Oh, elle n’a pas eu à prier longtemps et M. El-Kholti n’a pas tergiversé, c’est alors que la maison a été envahie par une dizaine de Nubiens qui ont poignardé le jeune homme et son domestique avant d’emporter Salima en dépit d’une défense désespérée.