Le voici cul nu. Je le cornaque jusqu’à la porte des chiches.
— Prenez tout votre temps, conseillé-je avant de l’y boucler, je sens que nous allons rester ici un tel bout de moment qu’il sera superflu de vous reculotter, mon cher Martial. Plus la vie est simplifiée, plus elle est facile à vivre.
Ce disant, je ne fais qu’extérioriser un rêve jusqu’ici secret. J’eusse aimé passer quelques vacances à l’état sauvage, belle contrée s’il en est, où l’on vit nu, sans se raser ni beaucoup se laver, mangeant chichement des denrées faciles, baisant sans formalités préalables la femelle dont le cul vous tente, dormant sans tenir compte de cette ignominie qui s’appelle l’heure, pissant sous soi en cas de paresse extrême, déféquant de même, ne parlant que par nécessité absolue et n’écoutant personne, ça oui, surtout ! Bref, dérivant sur l’eau calme de son âge comme un esquif sans gouvernail entraîné par les souffles de l’air. Contemplant ce qui mérite de l’être. Pétant en toute relaxation organique, pleurant à plaisir, ne haïssant plus personne puisque oubliant tout le monde et soi-même. Le rêve, te dis-je. Et qui sait ? Peut-être l’approche extrême du bonheur ? Etre pour être, se laisser vivre et mourir. Aurais-je suffisamment navigué dans la mer des Délires ?
Réveille-toi, l’Antonio. Tu accumules trop. Ça laisse des traces. Tu laisseras des traces, comme l’escargot ou la limace, cette démunie. Il y aura des auréoles sur ton linceul, pas derrière ta tête : sous tes meules, l’ami, sous tes meules ! Et l’attente s’organise.
Courre Martial se résigne. Grâce aux poucettes de Pinuche, on enchaîne l’enchaîné au tuyau du chauffage central, ainsi qu’il sied dans un roman d’action dont l’auteur connaît les roueries de la profession.
Ce qui nous laisse libres.
La nuit descend, majestueusement sur le Cap d’Antibes. En cette intersaison, il possède un charme qu’il abandonne l’été, quand la horde déferle.
Mme Lainfame s’occupe de son époux. Elle le fait claper et le zone dans un canapé-lit facile à développer. Ensuite, elle nous régale d’une omelette aux œufs et d’une boîte de petits pois auxquels s’ajoutent un morceau de gruyère durci par l’âge, plus quelques biscuits au chocolat en cours de moisissance, car tu sais combien le littoral est humide. Le tout arrosé d’une bouteille d’un bordeaux mis en bouteilles dans le Roussillon.
Chaque fois que j’entends le bruit d’une voiture, je dresse l’oreille et remue la queue, mais après chaque alerte, l’auto poursuit sa rue.
J’essaie de questionner la mère Lainfame sur son rejeton. Un garçon doué, elle s’hâte d’affirmer. Crack en matière bancaire. Fondé de pouvoir d’une agence du Crédit Lyonnais à l’âge où d’autres remplissent encore les encriers. Nommé administrateur de la Kou Kou Clock Bank lors des derniers grands remaniements, destiné à diriger la Banque de France un jour, ça se profilait impec pour sa pomme, espère ! Elle le prévoyait ministre des Finances, maman Lainfame, son génial rejeton. Ça s’inscrivait dans la logique des choses.
— Et avec sa femme, comment cela marchait-il ?
Très bien, merveilleux, bleu azur ! Délices et orgues ! Mariage d’amour. Elle, fille d’un grand chirurgien, belle (je sais), intelligente (j’ai apprécié), bonne épouse (ça, j’avais pas remarqué). Le couple heureux, quoi ! Assistant parfaitement son époux dans sa vie mondaine. Si Michel a pris une maîtresse, c’est parce qu’il est porté sur la fesse, ce chéri. Le cul, c’est son violoncelle d’Ingres. Jadis, son père était pareil, c’est à force de brosser qu’il est devenu gâtoche, selon son estimation, à Mme sa dame. Il limait trop en force, le Jérôme, un peu n’importe qui : depuis des actrices en renom jusqu’aux soubrettes les plus espagnoles. Le jus de couilles, quand tu te contrôles pas, ça affecte le cerveau, à preuve !
Un frénétique, le vieux Lainfame. Si elle me disait un jour, elle l’a surpris qui emplâtrait leur femme de ménage, à la campagne, une paysanne de soixante-dix balais (si je puis parler ainsi à propos d’une femme de ménage).
La sonnerie du téléphone retentit.
D’un hochement de tête, je fais signe à mon hôtesse d’aller décrocher.
— Que dois-je répondre :
— Votre pensionnaire n’est toujours pas de retour. Elle défourche, écoute.
— C’est pour vous ! dit-elle.
Mon guignolet danse une gigue frénétique. Ainsi, elle s’est décidée ! Elle consent à me téléphoner, ma belle Hélène (dont je suis la poire pour la soif).
Une voix mâle et corse tonitrue :
— Vous êtes le commissaire Santantonio ?
— Effectivement, réponds-je, éberlué.
— Heureux de vous entendre, collègue, ici le commissaire Quibezzoli, de la police judiciaire de Nice. Je vous téléphone à la demande du juge Favret de Paris qui me prie de vous entendre sur commission rogatoire à propos de certaines déclarations importantes que vous auriez à lui faire…
Mais elle veut donc me tuer, cette charogne de veuve ! Ah ! la rarissime salope ! Ah ! la verminerie magistrate ! Humilier un homme en transe pareillement, c’est inhumain ! Pourvu qu’il existe une autre vie et qu’elle aille se faire rôtir les fesses en enfer, la gueuse atroce ! A déguster des coups de fourche dans le pétard, fumière, va ! On ne joue pas avec les sentiments de San-Antonio ! De quel droit ! Si je veux lui filer un chibre dans le train, c’est mon droit, non ? En vertu de quoi refuserait-elle ? En vertu de sa vertu endeuillée ? Tiens, chope !
— Je crois qu’il est inutile que nous prenions un rendez-vous, mon chère confrère, articulé-je d’une voix plus froide que les fesses d’une apprentie patineuse, je remonte demain sur Paris, et le juge pourra enregistrer personnellement ma déposition.
Quibezzoli se racle la gargante.
— J’oublie de vous préciser, San-Antonio, que le juge Favret exige que je vous entende immédiatement ; j’ai des ordres précis, immédiatement, ça veut dire tout de suite, vous comprenez ?
Des chandelles de rage froide me dévalent la raie culière.
— Pour l’instant, je suis en planque, il m’est donc impossible…
— Nous allons vous relever. J’arrive avec deux gars de mon équipe.
— Mais je…
— Vous vous trouvez à la villa La Pointe, chemin des Arbousiers, au Cap d’Antibes, n’est-ce pas ?
— Comment diable êtes-vous au courant ?
Il éclate de rire :
— A Paris, vous qui êtes si malins, vous ne savez pas trouver une adresse en partant d’un numéro de téléphone ? Ne bougez pas, j’arrive !
Il raccroche.
Je crèverais de rage si je n’étais pas jeune et beau, avec un superbe avenir tendu de velours bleu roi devant moi !
Moins d’une demi-heure plus tard, Quibezzoli est là. Et attends, bouge pas ! il s’est radiné à bord d’une bagnole sur laquelle il est écrit police en caractères aussi gros que ceux qui annoncent Johnny Halliday au Palais des Congrès.
La discrétion même ! Si par hasard les complices de Martial Courre se pointaient aux renseignements, je n’aurais plus besoin de leur faire un dessein (j’écris bel et bien dessein). C’est vraiment me foutre la cabane par terre, non ? On devrait pouvoir fusiller les gens qui méritent de l’être, à tout le moins les gifler copieusement, jusqu’à ce que leurs joues soient en cuir de Cordoba. La faute en est à cette garce de juge ! Dedieu, qu’on me la donne une heure, cette péteuse ! Que dis-je une heure ! Soixante minutes me suffiraient. Alors oui, tu verrais du grand art, Suzette ! Je suis là, à la pêche aux indices pour ses beaux yeux, bricolant son enquête en ses lieux et place, et Mme veuve Moncul, son remerciement, c’est de me filer des bâtons (d’agent) dans les roues motrices. J’enrogne au point que je bégaie en saluant Quibezzoli. Un pas-sympa, l’artiste.