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— Si elle était en or, elle serait plus lourde et ne détiendrait pas une valeur exceptionnelle. Etudiez-en la partie extérieure.

Le juge retourne la coquille. Comme sur beaucoup de moules un petit coquillage parasite, d’un blanc verdâtre, s’est fixé à la paroi.

— Ça ? demande mon interlocutrice.

Je sors mon canif de ma fouille.

— La lame de votre coupe-papier est trop épaisse, servez-vous de celle-ci pour détacher le petit coquillage.

Le père Roupille a largué ses feuilles à conneries pour s’approcher. Il souffle fort, par-dessus l’épaule d’Hélène, faisant frémir les délicats cheveux de la chère convoitée. Elle cigogne menu la base du coquillage, au bout du compte, il finit par se détacher de la maison mère et tombe sur le buvard. Il est farci de mastic.

— Evidez-le ! enjoins-je.

Elle.

Et bon, pas la peine de te faire tarter plus longuement, quand ma jugeuse a pétri le mastic, elle sort un diamant d’au moins trois carats de la coquille parasite.

— Mon Dieu ! s’exclame-t-elle, en superbe fille d’Eve qu’elle ne pourra jamais s’empêcher d’être, tout juge d’instruction qu’elle soit.

— Astucieux, non ? exulté-je. Les moules arrivent de Hollande par sacs de cinquante litres ; chaque sac contient dix moules truquées. Quel fonctionnaire des douanes, aussi zélé et astucieux soit-il, s’amuserait à gratter les quelques coquilles pourvues d’un petit parasite ? Ceux-ci subsistent jusque dans notre assiette, généralement, et nous sont familiers. D’ailleurs, dix moules sur une telle quantité représentent peu de chose !

« Seulement, à chaque envoi, il arrive une centaine de sacs, ce qui représente un millier de diamants par voyage. Lucratif, non ? »

— Allez écrire, Roupille ! dit sèchement Hélène à son vieux hareng saur qui a tendance à se vautrer sur son épaule pour mieux admirer la pierre.

La vieille chaude-pisse regagne sa place, l’oreille et la couille basses.

— Mais attendez, ce n’est pas tout, madame le juge. Je vous ai parlé d’un trafic astucieux, vous allez constater qu’il l’est sur toute la ligne. Dans une première phase, les moules arrivent de Hollande, lestées de diamants, fort bien. Or, une fois en France, elles sont décortiquées et accommodées en conserve. Les diamants restent ici. Depuis le changement de régime, ils constituent une valeur refuge idéale pour tous deux qui n’ont pas le courage de passer une frontière avec leur fric clandestin. Les moules qui quittent la France sont équipées d’autre chose. Béru, please !

Sa Majesté somnolente se dresse.

— C’t’ à propos d’quel sujet, m’sieur l’abbé ?

— Un bocal magique, et un !

— Où lavais-je la tête !

Il se lève, fouille son pantalon et ramène de sa poche droite, généreuse comme une hotte de Père Noël, un bocal de moules fabrication EMAFNIAL S.A.

— Tu es sûr que c’est un bon ?

— Authentificionné par l’vieux Lainfame, y a pas possibilité d’gourance : chaque bocaux contient deux moumoules magiques.

— Laquelle est la bonne ?

— Celles qu’ont les yeux bleus, plaisante le grand humoriste de la maison Poulman.

Devant mon manque absolu d’hilarité, et malgré sa déception consécutive, il déclare brièvement :

— Les « bonnes » sont pas d’la même race, è sont toutes petiotes, alors qu’toutes les autres ont le gabarit moule de choc. D’alieurs, mate à travers l’verre du bocaux : on les asperge.

« Tu les voyes, là, mignardes, très pâlichonnes comparétiv’ment à leurs grosses frangines ? »

Je déverrouille le couvercle et, toujours à l’aide de ce fameux coupe-papier, je parviens à extraire les deux mollusques incriminés.

— Vous aimez les moules, juge ?

— Oui, pourquoi ?

— Nous allons en manger chacun une, prenez celle que vous voudrez.

— Mais vous ne m’avez pas dit…

— Bon Dieu, ayez confiance en moi au moins une toute petite fois ! Je viens de vous assurer gloire et promotion en déchiffrant cette énigme, non ? Mangez-en une, vous dis-je.

Elle prend l’une des moules sans enthousiasme, la flaire, la porte à ses lèvres. Moi je clape la seconde à coups de dents énergiques.

— Fameux, non ? Elle a un goût plus iodé que généralement.

Hélène se décide enfin. Elle mange la petite bête mais vraiment pour m’être agréable.

— Je lui trouve un étrange arrière-goût, remarque-t-elle.

— C’est l’extrait de cantharide qui fait ça, madame le juge.

— Hein, pardon ?

— Tous ces bocaux sont expédiés dans des pays du Moyen-Orient où les riches petrolmen consomment les petites moules auxquelles nos jolis messieurs ont injecté une dose de cantharide F G 813, la plus aphrodisiaque qui soit au monde… Ils paient cela une fortune, car vous n’ignorez pas que le Moyen-Oriental aime faire l’amour presque autant que moi ; bien que naturellement doué, il est ingavable et part du principe que la meilleure chose qui puisse arriver à un ivrogne, c’est d’avoir soif !

Mais le juge Favret ne m’écoute plus. Très pâle, il me fixe, la bouche entrouverte, le regard proéminent.

— Ça ne va pas ? demandé-je.

— Est-ce que c’est-il que la poud’ d’perlimpin y f’rait déjà de l’effet ? lance l’Amuseur public. Maâme la jugesse bich’rait-il déjà ses vapeurs dorées ? On dit qu’l’effet est rapidos, j’te vous prédis un’ de ces parties de jambons qui feront date dans la magistralture debout, mes amis !

Il se frotte les mains.

— Soye dit entr’ nous et la place Masséna, je m’ai mis deux trois bocals d’côté pour à la maison, moi et Berthe, les somptueuses retrouvailles… C’est mérité, non ?

— Vous avez osé ! finit par articuler Hélène. Il y a atteinte à…

Je l’interromps :

— Hé ! mollo, juge. Je vous ai seulement proposé de vérifier le bien-fondé de ce que j’avançais. Vous réclamez des preuves, non ? C’est votre boulot. Et d’ailleurs, je me suis livré également à l’expérience…

Entre ses dents, elle lance :

— Salaud !

Je ne bronche pas.

— Ecrivez, écrivez, m’sieur Roupille ! Insulte à officier de police, dites, vous jouez avec votre carrière, madame le juge !

Roupille fulmigène :

— Vous êtes un triste individu, commissaire. Vos manigances sont une honte pour la police.

— Je sais, fais-je, le ministre de l’Intérieur se gave de Librium 5 à cause de moi ; par contre, si je suis sa honte, je constitue également sa gloire, non ? A propos, que je vous termine l’histoire, petite juge adorée (vous voyez les premiers symptômes de la cantharide…).

« Donc, l’association de forbans. Papa Lainfame, depuis des années, afin d’avoir les coudées franches, curieusement, joue les paralytiques. Son unique hoir fait une carrière honorable. Mais Michel a un talon d’Achille : les femmes. Ça ne va plus du tout avec la sienne. Il décide de s’en débarrasser. Hélas, il a commis l’imprudence (par prudence d’ailleurs) de mettre l’affaire EMAFNIAL au nom de Maryse, un divorce foutrait l’organisation dans la… chose ; vous me suivez ? »

— Oui, fait-elle, et sa voix a des inflexions sucrées.

— D’ailleurs, il veut davantage qu’un divorce : son élimination pure et simple. Mais il n’a pas le courage de perpétrer un tel forfait. Alors une idée diabolique germe dans son esprit, comme l’écrivent joliment nombre de mes confrères qui possèdent un beau brin de plume dans l’anus. Il alerte ses complices, leur déclare que son épouse a tout découvert à propos de leur trafic mignon et qu’il convient de la neutraliser définitivement et très vite. Les copains en sont d’accord. Qui prend en charge l’exécution ? Ce sera à vous de démêler l’écheveau, jolie jument ; il faut bien que vous participiez un peu à l’instruction de cette affaire, n’est-ce pas ?