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Il reprend souffle, tant mal que bien.

— Berthy, soupire-t-il, si tu voudras pas me préparer mon vin chaud, j’vas demander à Sana d’s’en occuper. Mais c’est malheureux tout d’même d’avoir une épouse légitimiste et d’crever sans soins, comme si dans le fond, t’espérais d’être veuve, j’me demande d’ailleurs, histoire d’avoir les couillées franches av’c Alfred, ce con. Mais fais-toi pas d’illuses, la Grosse. Même que je dessouderais, ton pommadin, tu peux te l’arrondir pour ce qu’est de te convioler. La bagatelle, il est partant, marida, c’t’une aut’paire de burnes !

Epuisé, il ferme ses chers yeux en phares de Bugatti 1929.

— Tu ne devrais pas t’agiter, Bébé Rose ! lui dis-je en caressant son énorme main, grosse et rugueuse comme une araignée de mer.

— Vous croyez-t-il que je dusse lui faire son vin chaud ? demande l’épouse.

Sa question redéclenche Prosper.

— Va falloir convoquer un conseil de famille pour un bol de vin chaud, maint’nant ! ricane le moribond, depuis le fond de sa couche enfiévrée. Chez nous autres, à la ferme, on soupait au vin chaud, l’vendredi, pour faire maigre. Chacun son pain dans son saladier de picrate !

— Bon, j’y vais, on verra bien ! se décide l’Ogresse.

Bérurier exhale un soupir qui est loin d’être son dernier, voire seulement son antépénultième.

— C’est pas la mauvaise femme, nous rassure-t-il, Berthe, ce qu’elle a, c’est qu’elle a pas l’sens du soignage. La bouffe, la baise, tu la trouves partante, mais l’service entretien, pièces et main-d’œuvre, fume ! C’est pas l’tout. Sana, tu veux bien fouiller dans la poche interne de ma veste, posée là-bas, sur l’dossier de cette chaise ? T’y trouveras mon portefeuille.

Je souscris à sa demande.

— Tu l’as ?

— Si c’est cette botte à sucre pliée et qui contient quelques pièces d’identité que tu qualifies de portefeuille, je l’ai.

— Dedans, y a une page de bloc dont j’ai écrit une adresse contre, tu trouves ?

— Ce feuillet graisseux et auréolé de vinasse ?

— Textuel. Garde-le, c’est pour toi.

— Merci pour ce fabuleux présent, Gros, mais ça consiste en quoi ?

— Hier soir, à la Grande Volière, j’ai pris une communication pour ta pomme, en ton absence au cours de laquelle t’étais pas là, mec. C’tait une dame…

— Et que me voulait-elle ?

— Te parler. Elle paraissait pressée et elle causait comme une qu’a trop couru ou trop limé. Elle m’a dite « Joignez d’urgence le commissaire San-Antonio, dites-lui que c’est de la part de son amie Maryse de La Baule. Qu’il se rende le plus vite possible à l’adresse que voici, question de vie ou de mort. »

« Elle m’a filé l’adresse à toute vibure, une seule fois et a raccroché comme si l’récepteur téléphonique lui brûlait les doigts, j’espère pas m’être gourancé, l’temps que je trouvasse de quoi noter. D’autant qu’je commençais à m’sentir pâlot du bulbe, av’c une fièvre de cannibale. »

Je m’approche de la fenêtre pour décrypter le document trouvé dans la luxueuse maroquinerie de mon malheureux compagnon. Difficile à lire. Déjà, il était, de son aveu même, la proie du mal quand il a pris note et les frites qui sont entrées en contact avec le feuillet rendent son texte mystérieux.

Après moult efforts oculaires et avec la participation évasive du Gravos, je finis par détecter les mots suivants : « Lapointe. Cap d’Antibes. »

Maigrichon.

Nonobstant ma répugnance, je serre le document dans mon porte-cartes un peu plus must que celui d’Alexandre-Benoît. Ce qui me pétafine, c’est l’avertissement de la correspondante « de la part de son amie Maryse, de La Baule ». S’agissait-il de Mme Lainfame ? Oui, sans doute. Ce serait donc la preuve que son bonhomme nous berlure en continuant de prétendre qu’il l’a trucidée. Et pourquoi dois-je voir ce Lapointe, à Antibes ? Question de vie ou de mort…

Berthe revient, apportant le breuvage guérisseur. Sa Majesté trouve la force de s’asseoir.

Il souffle sur la fumée vineuse, goûte.

— Banco, la Grande, t’as pas paumé ton tour de main. C’est sucré impec, y a la pincée de cannelle qui faut, et t’as même poussé la délicatesse jusqu’à la belle tombée de marc qui donne du corps. Tu vas voir, c’te typhoïde, comment elle va se trouver à ma patte après ta potion magique, Berthy.

Il boit à petites gorgées renaissantes.

Il vit ! Saint Lazare, merci pour lui !

Je réveille Pinuche.

— Hé ! Baderne, on est arrivés !

La Vieillasse qui en moulait dans le fauteuil Louis-Beau-frère manque s’affaler en avant.

Elle se dresse en chancelant.

— Hein, quoi ?

— Viens, on se casse, on a école pendant que môssieur soigne ses langueurs.

Il prend congé des Bérurier, penaud comme s’il était le bacille d’Eberth en personne.

— Pas la peine de rouler les mécaniques, César, l’avertit la houri, vous pouvez plastronner, vous aurez votre tour, délabré comme je vous voye. Vous pensez bien que si mon homme qu’est fort comme un Turc s’est morflé la typhoïde, vous allez la choper aussi ; chez vous elle vient plus lentement à cause que vous êtes plus vieux ; mais quand t’est-ce qu’elle vous aura mis le grappin dessus, c’est pas avec du vin chaud que vous la guérirez !

Sur cette aimable prophétie, nous nous retirons.

Il fait un beau soleil de mai. Le printemps chante dans les slips et peint des ombres un peu partout.

— Tu as dit que nous avions du travail ? s’étonne le Flageolant.

— Oui, l’Ancêtre ; et ça urge.

Je lui désigne ma Maserati.

— Monte !

— Où allons-nous ?

— Cap d’Antibes.

— Comme ça, tout de suite ?

— T’aimes plus la bouillabaisse ?

— La rouille me donne des brûlures d’estomac.

— Tu suceras les arêtes.

— On se prend pas un petit bagage ?

— J’ai toujours un baise-en-province dans le coffiot de mon bolide.

— Toi, oui, mais moi ?

— Tu as changé de chemise la semaine dernière et tu t’es rasé avant-hier matin ?

— Oui, mais…

— Eh ben ! alors ! Tu ne vas pas te mettre à jouer les gandins à ton âge !

Et nous arrivâmes sept heures et dix minutes plus tard dans cette coquette cité d’Antibes où les femmes, contrairement à ce qu’on croit généralement, ne sont pas antibaises (ouf !) mais antiboises.

Je n’ai rien de plus pressé que de bondir au bureau de poste pour, fiévreusement, compulser l’annuaire afin d’y débusquer des Lapointe. J’en déniche deux, blottis entre un Laplanche, et un Lapoire. Je note leurs coordonnées et m’apprête à refermer le merveilleux bouquin des P.T.T., si fertile en périphéries, lorsque le hasard, toujours et encore lui, incite mon regard à remonter la colonne de quelques noms, mon subconscient ayant été probablement capté par la chose à mon insu. Mais l’insu, faut savoir lui passer outre de temps en temps.

Je lis : « Lainfame Jérôme, Villa de La Pointe, chemin des Arbousiers », plus le tubophone que je n’ai pas à te donner ici car tu t’empresserais de le composer et ça risquerait de me griller le coup.

Donc, La Pointe s’écrivait en deux mots. Il ne s’agissait pas d’un patronyme mais du nom donné à une propriété, très certainement située à la pointe du cap.

Lainfame. De la famille du meurtrier, je gage (et même le tueur à gages) ?