Première voix : Il faut les contenir à tout prix, caporal. Je ne peux pas vous envoyer de renforts… nous sommes ici dans une situation critique. Terminé.
Le poste se tut, et avec lui le bruit de la bataille.
Moresby n’était pas sujet à la panique ; il n’était pas homme à agir avec précipitation, et il n’éprouvait guère de surprise. Il commença à s’équiper méthodiquement en vue d’aller sur l’objectif. Il s’attacha à la taille un pistolet automatique d’ordonnance avec son ceinturon contenant des munitions supplémentaires, fit choix d’un fusil à tir rapide après en avoir apprécié la fabrication et l’équilibre, puis vida plusieurs boîtes de cartouches dans les poches de sa vareuse. Il arracha de son uniforme tout ce qui trahissait sa qualité d’officier ; quant à l’uniforme lui-même, il fallait bien qu’il s’en accommode.
Le magasin n’avait à lui offrir ni casque ni doublure de casque. Moresby prit en bandoulière un bidon d’eau insipide et se mit sur le dos un sac de vivres. Il décida de ne pas emporter de magnétophone, instrument trop encombrant, mais il tendit la main pour prendre la radio tout en étudiant une carte de l’Illinois. Il eut soudain l’intuition que l’escarmouche devait se situer aux environs de Chicago ; l’Aviation s’inquiétait depuis longtemps de la défense de cette ville parce qu’elle constituait un important nœud ferroviaire et routier – et c’était un problème toujours menaçant que celui des navires étrangers traversant les Grands Lacs pour faire relâche à Chicago. Ces navires n’avaient jamais fait l’objet d’une surveillance adéquate.
Il allait débrancher l’antenne lorsque le poste se fit entendre.
Voix : Aigle Un ! Les bandits nous ont touchés… Coup au but à l’angle nord-ouest. J’en ai compté douze, disséminés sur la pente en dessous de l’enceinte. Ils en ont deux – bon Dieu ! – deux mortiers, et ils les remorquent avec eux. À vous.
La voix stridente et criarde était ponctuée du bruit sourd des mortiers.
Voix : Ont-ils franchi le grillage ? À vous, parlez.
Voix : Négatif, négatif. Le camion en flammes les arrête. Je crois qu’ils vont tenter autre chose – ouvrir une brèche à coups de mortier s’ils y arrivent. À vous.
Voix : Il faut tenir, tenir coûte que coûte, caporal. Ce n’est qu’une diversion ; c’est ici, contre nous, qu’ils ont lancé l’attaque principale. Terminé.
Une voix : Mais bon sang, mon lieutenant…
Silence. Moresby saisit le câble de l’antenne extérieure pour en libérer la radio, puis se ravisa. Il régla l’appareil sur une autre fréquence militaire, l’une des six figurant sur l’appareil, et appuya sur la touche émission.
— Moresby, Deuxième Bureau de l’Aviation, appelle Chicago ou le secteur de Chicago. Répondez, Chicago.
Le poste resta silencieux. Il répéta son message, fixa sa montre impatiemment jusqu’à ce que l’aiguille des secondes eût accompli un tour complet, puis renouvela sa tentative. Pas de réponse. Il choisit une autre fréquence militaire.
— Moresby, Deuxième Bureau de l’Aviation, appelle Chicago ou le secteur de Chicago. Répondez, Chicago.
La radio réagit par un crépitement de parasites ou de fusillade d’armes légères. Une voix frêle affaiblie par la distance ou par une alimentation défectueuse lui répondit :
— Ici Nash. Ici Nash, à l’ouest de Chicago. Soyez prudent. Parlez, Moresby ; à vous.
Il augmenta le gain.
— Commandant William Moresby, Deuxième Bureau de l’Aviation, en mission spéciale. Je m’efforce de gagner Joliet ou Chicago. Veuillez me renseigner sur la situation. À vous, parlez.
Voix : Sergent Nash, mon commandant, de l’état-major de la Cinquième Armée. Chicago exclu, je répète : exclu. À éviter absolument. Vous ne pouvez pas y entrer, mon commandant – le lac est chaud. À vous.
Moresby en fut tout saisi.
— Comment, chaud ? Renseignez-moi, s’il vous plaît. À vous.
Voix : Donnez-moi votre numéro matricule, mon commandant.
Moresby débita rapidement ce numéro, puis répéta sa question.
Voix : Les ramjets ont fait lancer un Harry sur la ville. Nous en sommes à peu près certains, mais ce foutu projectile a été tiré trop court, et il est tombé dans le lac au large de Glencoe. On ne peut pas mettre le pied dans Chicago, mon commandant. La ville a été incendiée, et l’eau du lac a tout recouvert sur des kilomètres le long du rivage. Le coin est chaud, mon commandant. Nous recueillons les civils blessés qui sortent de là, mais sans pouvoir faire grand-chose pour eux. À vous.
Moresby : Avez-vous pu dégager vos troupes ? À vous.
Voix : Oui, mon commandant. Les troupes se sont repliées et se sont retranchées sur un nouveau périmètre. Je ne sais pas où. À vous.
Un flot de parasites fit crépiter le petit haut-parleur.
Moresby aurait donné cher pour obtenir des renseignements plus complets, mais il se garda bien de trahir son ignorance par des questions trop directes. En lui demandant son numéro matricule, la voix lointaine avait fait preuve de méfiance et s’il avait répondu avec la moindre hésitation le contact eût été coupé. Cela donnait à penser que ces fréquences étaient accessibles à l’ennemi.
Moresby : Êtes-vous sûr que ce sont ces bandits qui ont fait lancer le Harry sur Chicago ? À vous.
Voix : Oui, mon commandant, c’est à peu près certain. Les services de surveillance de la frontière ont découvert un poste relais à Nuevo Léon, à l’ouest de Laredo. Et ils croient en avoir repéré un autre en Basse Californie, une grande station émettrice capable de transmettre un message jusqu’en Extrême-Orient. La marine a localisé une base de lancement à Tienpei. À vous.
Moresby, bouillonnant de colère : Qu’ils aillent au diable ! Il faut s’attendre à recevoir d’autres projectiles du même acabit si la marine n’élimine pas cette base rapidement. Savez-vous quelle est la situation à Joliet ? À vous, parlez.
Voix : Mauvaise, mon commandant. Nous n’avons pas reçu de comptes rendus du secteur sud ces derniers temps. Quelle est votre position ? Prenez garde à ce que vous allez répondre. À vous.
Moresby, tenant compte de cette mise en garde : À une douzaine de kilomètres de Joliet. Je suis bien protégé pour le moment. J’ai entendu un tir de mortier, mais sans pouvoir le localiser. Je vais essayer de me diriger vers la ville, sergent. À vous.
Voix : Mon commandant, nous pensons avoir déterminé votre position et savoir où vous êtes. Vous êtes en effet très bien protégé. Vous avez un émetteur puissant. À vous.
Moresby : Je suis raccordé au secteur mais je serai sur batterie quand je quitterai mon abri. À vous.
Voix : Bien, mon commandant. Si Joliet vous est interdit, l’officier de service suggère que vous contourniez la ville par le nord-ouest pour arriver ici. L’état-major de la Cinquième Armée occupe une position nouvelle à l’ouest du Centre d’entraînement de la marine, mais vous traverserez nos lignes bien avant d’y parvenir. Repérez les sentinelles. Prenez vos précautions, mon commandant. Gardez-vous des ramjets entre votre position et la nôtre. Ils sont puissamment armés. À vous.
Moresby : Merci, sergent. Mon objectif sera déterminé par les circonstances. Terminé.
Moresby coupa la communication et débrancha le câble d’antenne. Cela fait, il arrêta le magnétophone et le laissa sur l’établi en vue de son retour.
Il étudia la carte une fois de plus, y suivant du doigt le tracé des deux routes menant à la grand-route, et l’itinéraire de remplacement conduisant dans Joliet. Il était vraisemblable que l’ennemi connaissait bien l’existence de ces routes, et celle aussi de la voie ferrée, et si sa zone d’opérations s’étendait aussi loin vers le sud, il devait y envoyer des patrouilles. Il serait imprudent d’y circuler en automobile, ce serait prendre un risque inutile que d’offrir une grande cible mouvante.