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— C’est vrai », dit l’apprenti. Il parlait avec douceur, si bien que Hank ne s’aperçut pas vraiment que le jeune garçon le dépassait de quatre pouces par la taille et de probablement davantage en allonge. L’apprenti Alvin n’était pas grand au point de passer pour un géant, mais il ne risquait pas de passer pour un nain non plus.

« C’est vrai ? C’est pas à toi d’juger si c’que ma baguette me dit est vrai ou faux !

— J’connais, m’sieur, j’aurais pas dû. »

Le forgeron revint avec une brouette, une pioche et deux solides leviers de fer. « Qu’esse qui s’passe ? demanda-t-il.

— C’est vot’ gars qui fait l’malin. » Hank savait en disant ça qu’il n’était pas très correct : le gamin lui avait déjà présenté ses excuses, non ?

Et voilà qu’enfin la main de Conciliant partit à la volée pour s’abattre, telle une patte d’ours, sur le côté de la tête de l’apprenti. Alvin chancela sous la calotte mais il ne tomba pas. « Pardon, m’sieur, fit-il.

— Il prétend qu’y a pas d’eau icitte, là où j’ai dit qu’il fallait creuser l’puits. » Hank ne pouvait plus s’arrêter. « J’ai respecté son talent, moi. Lui, il pourrait respecter l’mien.

— Talent ou pas, dit le forgeron, il va respecter mes clients, sinon il va apprendre que c’est long avant de d’venir compagnon, dame oui, ça, il va l’apprendre. »

Conciliant Smith serrait dans le poing l’un de ses lourds leviers de fer, comme s’il projetait d’en caresser le dos de son apprenti. Ce serait du meurtre pur et simple, et Hank n’avait pas le cœur à ça. Il avança la main et saisit l’extrémité du levier. « Non, Conciliant, attendez, tout va bien. Il s’est excusé.

— Et ça vous suffit ?

— Oui, et aussi de connaître que vous m’écouterez, moi et pas lui, dit Hank. J’suis pas encore assez vieux pour supporter qu’des gamins avec des talents pour les sabots me disent que j’peux plus faire le sourcier.

— Oh, le puits sera creusé icitte même, vous pouvez y aller. C’est l’drôle qui va l’creuser, tout seul, et il aura rien à manger tant qu’il aura pas trouvé l’eau. »

Hank sourit. « Bon, alors j’verrai avec plaisir que j’connais encore c’que j’fais ; il aura pas à creuser loin, pour sûr. »

Conciliant s’en prit au garçon, immobile à quelques yards de là, les bras ballants, le visage dénué de colère, de tout sentiment en fait. « Je m’en vais r’conduire monsieur Dowser à sa jument qu’on vient d’ferrer, Alvin. Et j’veux plus t’voir tant qu’tu m’amèneras pas un seau d’eau pure d’ce puits. Tu mangeras pas et t’auras pas une goutte d’eau avant d’boire celle d’icitte !

— Oh, écoutez, fit Hank, faut avoir un peu d’cœur. Vous connaissez que ça prend des fois un couple de jours pour qu’la terre s’redépose dans un nouveau puits.

— Amène-moi tout d’même un seau d’eau du nouveau puits, dit Conciliant. Quitte à c’que t’y travailles toute la nuit. »

Ils repartirent alors vers la forge, vers le corral où attendait Picklewing. Ils discutèrent un brin, passèrent un petit moment à seller la jument, puis Hank Dowser s’en fut sur sa rosse qui trottait plus souplement, plus facilement, heureuse comme tout. Tandis qu’il s’éloignait, il vit le jeune garçon à l’ouvrage. Il n’y avait pas de volées de terre désordonnées, seulement des pelletées méthodiques qui s’élevaient et basculaient, s’élevaient et basculaient. Le gamin ne semblait pas s’accorder de pause non plus. Hank n’entendit pas un seul temps d’arrêt dans le rythme de son travail. Le tchac de la pelle s’enfonçant dans le sol, puis le chiss-pouf de la terre glissant de l’outil pour tomber en tas.

La colère de Hank ne se calma que lorsqu’il n’entendit plus l’apprenti, voire lorsqu’il eut oublié les bruits de son terrassement. Quelle que soit la compétence de Hank en tant que sourcier, ce gamin était l’ennemi de son talent, ça, Hank le savait. Il avait d’abord cru sa rage irraisonnée, mais depuis que l’apprenti avait dit le fond de sa pensée, Hank savait qu’il avait eu raison dès le début. L’apprenti se prenait pour un maître de l’eau, peut-être pour un pénétrant, ce qui en faisait l’ennemi de Hank.

Jésus prêchait d’offrir son manteau à son ennemi, de lui tendre l’autre joue, mais dans le cas où votre ennemi a l’intention de vous déposséder de votre gagne-pain, hein, vous faites quoi ? Vous le laissez vous ruiner ? Je ne suis pas chrétien à ce point-là, songea Hank. Je lui ai donné une leçon, à ce gamin, et si celle-là n’a pas suffi, je lui en donnerai une autre un de ces jours.

VI

La mascarade

Peggy n’était pas la reine du bal du gouverneur, mais elle ne s’en plaignait pas. Madame Modesty lui avait depuis longtemps appris que c’était une erreur pour les femmes de rivaliser entre elles. « Il n’existe pas de prix gagné par une femme qui ne soit à la portée des autres. »

Personne n’avait l’air de le comprendre, pourtant. Les autres femmes s’observaient d’un œil jaloux, estimaient les coûts probables des toilettes, tâchaient de deviner le prix d’une amulette de beauté au cou de la rivale, surveillaient qui dansait avec qui, combien d’hommes s’arrangeaient pour être présentés.

Peu d’entre elles tournèrent un regard jaloux vers Peggy, du moins à son entrée dans la salle en milieu d’après-midi. Peggy savait quelle impression elle donnait. Au lieu d’une élégante coiffure, elle avait les cheveux brossés et brillants, remontés sur la tête dans un arrangement apparemment soigné mais propice à des échappées de mèches ici et là. Elle portait une robe simple, presque quelconque, mais c’était de propos délibéré. « Tu as le corps jeune et joli, ta robe ne doit pas faire oublier la souplesse naturelle de ta jeunesse. » En outre, la robe était extrêmement décente, elle dévoilait moins de peau nue que celles des autres femmes ; mais mieux que la plupart elle révélait les mouvements sans contrainte du corps qu’elle habillait.

Elle entendait presque la voix de madame Modesty lui dire : « Tant de jeunes filles se méprennent. Le corset n’est pas une fin en soi. Il est conçu pour permettre aux corps flasques et âgés d’imiter celui qu’une jeune femme en bonne santé possède naturellement. Sur toi, un corset ne doit pas être lacé serré, tu dois te sentir à l’aise et non entravée. Ton corps bougera alors en toute liberté et tu pourras respirer. Les autres s’émerveilleront devant ton courage d’apparaître en public sans tricher sur ta taille. Mais les hommes, eux, ne mesurent pas la coupe des vêtements féminins. Ils apprécient plutôt le naturel d’une dame qui se sent à l’aise, sûre d’elle, qui profite de la vie au moment présent, devant eux, en leur compagnie. »

Mais plus important : elle ne portait pas de bijoux. Les autres dames ne se montraient jamais en public sans charmes d’apparence. À moins de posséder un talent qui l’en aurait dispensée, une jeune femme se devait d’acheter – sinon elle, ses parents ou son mari – un charme gravé sur une bague ou une amulette. On préférait les amulettes car elles se portaient plus près du visage et n’avaient pas besoin d’être très puissantes – ni très chères, donc. Ces charmes d’apparence n’agissaient pas à distance, mais plus vous vous approchiez d’une femme ainsi pourvue, plus vous vous convainquiez de sa grande beauté. Aucun de ses traits ne s’était modifié ; vous voyiez toujours la même réalité. C’était votre jugement qui avait changé. Pareils charmes faisaient rire madame Modesty. « À quoi bon duper quelqu’un qui sait qu’on le dupe ? » Aussi Peggy n’en portait-elle pas.