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Alors là, mes amis, un dilemme se pose à votre cher San-A. « Ou bien il interrompt l’exercice éblouissant auquel il se livre pour neutraliser une fois de plus Latume-Lakoupe avant qu’il ne soit trop tard. Ou bien il va jusqu’au bout de son propos et accepte les risques susceptibles d’en découler. Ai-je le droit de risquer la vie du Gros en même temps que la mienne ? Oui, puisque c’est cette truffe immonde qui vient de créer le danger en sollicitant les pures jeunes filles. Et il continue, cette espèce de bouc en train ! Imaginez qu’il s’enhardit à leur parler, aux ravissantes esclaves blondes. Il leur dit des « Ho, les mômes, soyez pas vaches avec moi ! On se connaît, non ! Vous savez bien qu’avez mécolle c’est pas le travail à la chaîne, mais le bon vieux artisanat de papa ». Et puis, comme il se souvient qu’elles ne pigent pas le français, il mobilise toutes ses connaissances linguistiques. « Hello, bitte, señoritas ! Come vouize me, fräuleins. Béru il gode for you ! ».

Les mômes pouffent.

Béru pousse son pif.

Et moi je ne m’en fais paf outre mesure.

En attendant, l’eunuque, lui, se réveille tout à fait.

Drôle de conjoncture ! Faut que je me hâte d’atterrir, les gars ! Que je balise la piste en vitesse. Que je me sorte le train. Que je me branche sur le radar. C’est le moment d’attacher sa ceinture et de mouler le pilotage automatique pour prendre les commandes.

Se souvenant du crochet de tout à l’heure, et sachant qu’en aucun cas il ne saurait être remboursé par la Sécurité Sociale, Latume-Lakoupe bondit hors de son fauteuil et sort. Une fois dans le couloir, il relourde et rameute la garde. C’est à ce moment que je conclus mes entretiens privés avec Vicky. Elle ne perd pas le nord, la môme, et elle a d’autant plus de mérite que nous nous trouvons à la hauteur du tropique du Capricorne (d’abondance).

— C’est foutu, lui dis-je, mais je te remercie pour la partie d’extase, ma poule, comme dernière cigarette on ne peut pas souhaiter mieux !

Elle me saisit le bras :

— Attends ! fait-elle, tout n’est pas perdu !

— Penses-tu, avec ces pièces sans fenêtre on est marron !

En guise de réponse, elle se met sur le dos (nous avions manœuvré sur le côté), et je la vois passer sa main entre les lames du sommier de bois assez rudimentaire.

— Eh, dis donc, don Juan, m’interpelle le Gros, faudrait peut-être se mettre en position de châtaigne, m’est avis qu’on va voir débouler les lanciers.

— Ne t’en prends à personne, hé, Goret nauséabond, c’est toi qui as réveillé l’eunuque en hélant ces jeunes vierges.

Je me tais, abasourdi par la stupeur. Vicky retire des entrailles de son matelas éventré une sorte de bouteille thermos dont elle dévisse prestement le bouchon. Elle renverse la bouteille. Un tube d’environ quatre centimètres de diamètre, long de quinze, pointu du bout et pourvu d’un bouton rouge sur le côté gauche (lequel ne demande qu’à devenir un côté droit pour peu qu’on fasse pivoter le tube) lui tombe dans la main.

Elle me le présente.

— Prends ! dit-elle.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un hypnovaporiso à bradabrant comprimé… Il y a là-dedans assez de gaz soporifique pour endormir tout le palais. Il suffit de braquer l’extrémité du tube sur les assaillants et de presser légèrement le bouchon.

— Et alors ?

— Tu verras…

— Comment se fait-il que tu possèdes un joujou de ce genre, Vicky ?

Elle sourit.

— Tu ne vas pas me reprocher de prendre des précautions lorsque je voyage !

Pas le temps de converser plus longtemps. La porte s’ouvre et les gardes se ruent dans la chambre. N’écoutant que le conseil de Vicky, je dirige la pointe du tube dans leur direction et j’appuie sur le bouton.

C’est de la magie, mes amis ! Vous m’esgourdez attentivement, hein ? De la magie ! Ces messieurs s’effondrent mollement et à qui mieux-mieux, ce qui n’est pas incompatible. À mesure qu’ils se pointent, voyez rez-de-chaussée ! Ils se retrouvent le nez sur le tapis. Et le plus formide, c’est que nous ne sommes pas incommodés le moins du monde.

J’en fais la remarque à Vicky. Elle me donne un cours de chimie gazandormante développé. Le gaz est projeté si fortement et il est si volatil, comme disait une poule qui disposait d’un e muet[26], qu’il n’a pas le temps de se disperser. Il paralyse le cerveau de ceux qui le respirent en une fraction de seconde et ce, pour une durée qui varie entre deux heures et six mois.

Nous sortons de sous nos plumards. Béru est interloqué bien que n’appartenant à aucun milieu interloque.

— Où que t’as piqué ça, San-A. ?

— Je l’ai trouvé dans une surprise de la catégorie « petite fille », Gros, expliqué-je en me redressant.

Je me rajuste, sans lâcher l’appareil.

— Il a beaucoup d’autonomie, ton extincteur à volonté, chérie ?

— Je t’ai dit que tu avais là-dedans de quoi endormir tout le palais !

— Je te jure que tu es la fée Marjolaine dans ton genre.

Et encore, entre nous, puisqu’on ne se cache rien, je peux vous avouer que la fée Marjolaine ne devait pas s’envoyer en l’air aussi bien que Vicky. Elle pouvait tricoter de la baguette magique, l’équivalent n’était pas réalisable, je m’en porte garant.

— Conservez-le, me dit Vicky. Et maintenant disparaissez !

Je refoule tout ce que j’ai à lui dire et surtout à lui demander. Un signe au Mastar, et nous enjambons (de Bayonne) cette nouvelle moisson d’allongés.

Comme nous gagnons le couloir, une nouvelle fournée d’alertés se pointe, en provenance de la salle du trône. Ils ont droit à la petite giclouille-maison et partent sans se faire prier pour le pays du L.S.D.

— En somme, remarque le Placide, c’est comme qui dirait l’arme absolue, mec. S’agit seulement de manœuvrer ton vaporisateur avant que l’ennemi défouraille sur toi. Heureusement que ces gardes n’ont que des armes blanches[27].

Il y a maintenant une bonne vingt-deuxaine de pèlerins étalés sur les dalles du couloir.

Je me dirige jusqu’à la lourde que j’écarte un tantinet pour filer un coup de robert sur les intérieurs de la salle.

La reine Kelbobaba est toujours en conversation animée avec les Anglais.

Le barbu, délivré, les a rejoints et vitupère comme un perdu. Il décrit des moulinets avec le sceptre royal, qui se met à ressembler au spectre solaire. Il est en train de prononcer un méchant anathème contre nous qu’il traite de pirates, de démons démoniaques et tout… Il conseille à sa souveraine de nous infliger une mort horrible. Il nous verrait assez avec des colonies de fourmis rouges dans le rectum, ou alors qu’on nous fasse de la grande acupuncture avec des aiguilles à tricoter frottées d’ail… La pauvre grosse reine paraît toute triste. Mais son conseiller insiste, il requiert le renchérissement des Rosbifs, et il l’obtient. Sir Dezange affirme qu’on devrait nous fusiller pour espionnage. Charmante attention, non ? Kelbobaba lui objecte que ses guerriers ne peuvent se servir de fusils, car ils ont peur des détonations. Le seul zig qu’on ait passé par les armes, Abba Lakalote, un farouche révolutionnaire, s’est vu introduire des balles dans le corps non pas à l’aide d’un fusil, mais par le truchement d’un vilebrequin.

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26

Ne cherchez pas à comprendre, celui-là je me le fais pour moi tout seul. C’est ma prime à la déconnanche. Mon éditeur m’en autorise une par livre, mais il la défalque de mon bordereau.

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27

L’arme blanche a la faveur des gens de couleur.