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— Qui serait ?

— On ne peut que faire des suppositions…

Béru fait entendre un vagissement.

— Pour moi ça sera un petit Brouilly-framboise, articule le Savonneux, ça décrasse.

Puis il refait surface et gronde :

— Mais qu’est-ce qu’on fout là !

— On se repose, Gros. Tous allongés à la même enseigne !

— Il s’est passé quoi t’est-ce ?

— Une révolution de palais, les demoiselles de petite vertu se sont rendues maîtresses de la situation après s’être servies de nous comme de détonateurs.

Il tète sa langue desséchée et grogne :

— T’es en plein délirium, mon pote, qu’est-ce que ces souris ont à fiche du château !

— C’est ce que j’aimerais savoir !

Voilà que la reine reprend conscience à son tour. Elle s’offusque drôlement, la mère Kelbobaba. Ligoter une souveraine, elle trouve qu’il faut un certain toupet. C’est faire montre d’une témérité forcenée. Les auteurs d’un pareil forfait seront châtiés.

Bérurier, philosophe, tente de la calmer :

— Ma petite reine, dites-vous que c’est rien comparé à ce qui est arrivé à Louis XVI. Ce pauv’ monarque, lui, il a éternué dans les sciures de souches…

Sur ces paroles évocatrices d’un sanglant passé, la porte s’ouvre violemment pour permettre à une horde d’investir la chambre royale. Ces goujats ne respectent rien : pas plus les belles jardinières constituées par des pneus peints en blanc que la coiffeuse en provenance de la galerie des glaces Lafayette.

Ils renversent les meubles (en malotrusien : li meubles), ouvrent les tiroirs, s’emparent de leur contenu, crachent sur le portrait du feu roi qui fut offert à celui-ci par Pierre Lazareff et, sur lequel, en reconnaissance, le défunt monarque a tracé d’une écriture ferme : « J’élis toujou François ».

— C’est une indignité ! Une forfaiture ! Une infamie ! annonce sévèrement Kelbobaba. Vous serez tous pendus par les pieds sur la place, jusqu’à ce que les mouches laissent vos carcasses aussi blanches que si on les avait lavées avec OMO.[30]

En guise de réponse, les révolutionnaires se déculottent, ce qui est une façon sommaire, mais efficace d’exprimer à une personne le peu de cas que l’on fait de ses paroles.

Après avoir tout mis à sac et à sec et labouré comme des socs pour récupérer le suc (sic) ces malotrus de Malotrusiens s’emparent de nos personnes de la façon la plus déplaisante qui soit : en les saisissant par les pieds, et ils les traînent dans la salle du trône où l’atmosphère a bien changé. On a brisé le monumental fauteuil de la reine à coups de masse et les éléphants-accoudoirs, complètement détrompés, absolument sans défense, ne ressemblent pas plus à des pachydermes que la Vénus de Milo à Bouddha. Sur le dossier, ou plus exactement, sur ce qu’il en subsiste, on a placé le pavillon révolutionnaire, lequel est entièrement rouge, avec, écrit en travers, cette farouche devise : « Vive la raie biblique » !

Une table rudimentaire : simple planche de sycomore placée sur deux tréteaux de palissandre, a été dressée au beau mitan de l’immense local. Une flopée de gus bien farouches, qui se sont mis des lunettes pour faire intellectuels, mais qui en ont ôté les verres afin que leur vue ne soit pas perturbée, siègent derrière cette redou-table table. Il y a là l’ancien ministre des P.T.T.T. (postes et tam-tam-téléphones), l’ex-garde des Sceaux (à ordures), le ci-devant chef de la saison militaire (y’a pas d’armée pendant la saison des pluies), le secrétaire général du syndicat des sorciers, l’érecteur de la Faculté des grigris et totems et, dirigeant l’aréopage, Anar Chizan, le leader révolutionnaire proscrit, lequel depuis son exil à Levallois-Perret, dirigeait le groupement malotrusien libéré.

Derrière Anar, j’aperçois, se faisant toute petite, la môme Vicky.

Un mec qui se croit obligé de faire du foin, c’est le devin Nikola ! Il traite les révolutionnaires de félons et leur promet d’imminentes catastrophes. Une beigne dans la barbe l’oblige à stopper ses prédictions vengeresses. Alors, le calme s’étant rétabli, Anar Chizan sort sa pochette de soie pour s’en éventer d’un geste de dandy qui impressionne fortement ses compagnons.

Il regarde tous les « prévenus » avec une sombre obstination, achevant son examen par la reine. Puis il attaque d’une voix un peu snob :

— Dans sa première séance historique d’aujourd’hui, le Comité révolutionnaire malotrusien déclare par ma voix, ce qui suit :

Article premier, la monarchie est renversée.

« Article deux, la république est proclamée.

« Article trois, la ci-devant reine Kelbobaba, son âme damnée, le mage Nikola et tous les chiens d’étrangers qui l’aidaient à corrompre le pays seront exécutés sur la place du Peuple, ex-place du Parlement.

Les autres membres du Comité révolutionnaire se lèvent et applaudissent.

C’est impressionnant. Béru se tourne vers moi et murmure :

— Deux condamnations à mort dans la même journée, gars, tu trouves pas que ça commence à bien faire ?

Le mage Nikola éclate en sanglots, il demande pardon. Il veut participer à la révolution. Il connaît tous les petits secrets de la Cour, il ne demande qu’à en faire profiter les républicains. Il avait lu dans les astres, la chandelle fondue, la peau de banane, les chiures de mouche, les amulettes suédoises consumées, la poudre de capharnaüm, la diarrhée Moréno, la tignasse de chauve, la fiente de chauve-souris, la souris de jouvence, et dans Ici Paris la chute de la royauté. S’il rouscaillait, quelques minutes plus tôt, c’était uniquement pour s’assurer de la sincérité des insurgés. Il va les aider à établir une république de first quality.

Bref, il tient à sa vieille carcasse. Anar Chizan le fait taire d’un geste et annonce qu’il sera pendu le premier.

On nous coltine au-dehors.

La place est noire de monde (ce qui n’est pas une image !).

On a dressé huit potences en couronne (ultime rappel du régime renversé). La populace, contenue par un sévice d’ordre, est frénétique. Lorsque notre lamentable cortège paraît, elle qui, le matin même, criait : vive l’Angleterre, vive la bombe anatomique, vocifère, soit : vive la Republique, soit vive l’arrêt oblique, soit vive la raie biblique selon son degré d’instruction.

Des voix lancent même des : à mort la reine, ou des bourre la reine, selon leur degré de salacité. Le chahut est inouï.

Je cherche des yeux la môme Vicky. Je la trouve à mon côté, souriante. Elle m’escorte a l’échafaud fort discrètement.

Elle sait organiser les événements et les accompagner modestement. Elle se veut résolument rouage.

Je l’interpelle :

— Ohé, Vicky, alors, ma poule, ces explications ? C’est peut-être le moment de me les fournir.

Elle se rapproche de moi.

— La France et l’Angleterre n’étaient pas les seuls pays à avoir besoin des Malotrus comme champ d’expérience. La Chine a trouvé que l’archipel constituait une base idéale pour embêter l’Amérique.

— Et vous travaillez pour les rizmen, ma toute belle ?

— Exactement, mon cher ami. Tandis que vous vous faisiez une guerre secrète entre alliés, nous autres, tout bonnement, nous nous occupions à renverser le régime. C’était simple mais il fallait y penser.

— C’est vous qui avez liquidé le ministre des Affaires étrangères, à Orly ?

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30

Simple conscience professionnelle de la reine, laquelle avait signé avec la maison OMO un contrat par lequel elle s’engageait à faire graver au fronton de son palais le slogan suivant ; « Un jour, grâce à OMO, le peuple malotrusien sera blanc comme neige ».