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Elle acquiesce.

— Ça n’est pas moi personnellement, mais quelqu’un de ma section. Nous tenions à l’empêcher de s’engager au nom des Malotrus afin d’éviter des incidents diplomatiques par la suite.

— Et quand vous nous avez vus débarquer sur le bateau du Léman ?

— Nous avons compris, sachant — et pour cause — que votre ami n’était pas Tabobo-Hobibi et même ayant découvert qu’il n’était pas noir ; nous avons compris que vous étiez en train de pigeonner les Britanniques.

« La chose ne nous a pas déplu. Vous constituiez des auxiliaires possibles pour l’opération d’aujourd’hui…

Nouveau petit rire.

— Et la preuve en a été, mon bel idiot ! Lorsque le monde apprendra le coup d’Etat, notre rôle passera inaperçu. Officiellement, le peuple se sera soulevé contre l’ingérence des Occidentaux. Les errements de cette grosse reine grotesque, ballottée entre Londres et Paris, auront été fatals à la monarchie.

Le cortège s’arrête au pied des potences. Le bourreau (ce n’est pas le même que celui du torturorium), un gros ventru dont le nombril ressemble à une photographie aérienne de l’Etna s’avance, superbement et seulement vêtu d’un polo rouge et de bottes d’égoutier. Il s’empare du vieux barbu et le coltine sur ses épaules jusqu’au premier gibet.

— Comme à Mautfaucon, murmuré-je. Sacré Villon, va !

Vicky est encore près de moi.

— C’est maintenant qu’il faudrait utiliser votre merveilleux petit extincteur à consciences, lui dis-je.

— Mille regrets, riposte la jeune femme en tapotant la sacoche qui lui bat les flancs. Il a rempli sa mission. Je vous dis donc adieu, avec une pointe de nostalgie, car vous m’étiez plutôt sympathique…

— Charmé de vous l’entendre dire.

On nous dépose chacun verticalement contre nos potences respectives. Les gardes qui nous ont coltinés jusque-là nous encadrent, le visage ruisselant de sueur et le regard débordant d’allégresse car le spectacle les ravit.

Une puissante acclamation monte de la foule : le devin Nikola se balance au bout de sa ficelle, la langue pendante.

Le bourreau salue à la romaine. Il s’approche ensuite de l’infortuné William. Il exécute en rond, le bourreau. Après William, il y aura les deux : généraux, sir Dezange, Béru, moi et Sa Gracieuse ex-Majesté à qui on a tout de même laissé la vedette du spectacle. William reste imperturbable, magnifique de tranquillité.

— Sorry de passer devant vous, sirs, lance-t-il à ses compagnons tandis qu’on le cravetouze.

Son courage me file comme une sorte d’espèce de décharge dans toute la viande. Je me prends à part et je m’apostrophe ainsi : « Tu vas pas te laisser suspendre sans tirer ton baroud d’honneur, hé, San-A. C’est pas dans tes emplois, la passivité. »

Et je gamberge, mes gamins ! Et je me trémousse du cervelet ! Et je zyeute autour de moi, avec l’espoir d’une idée géniale !

L’ampleur de la scène est shakespearienne. Les néo-républicains sont transportés. C’est du délire collectif ! Un fade populaire monstre. Ils en suent d’enthousiasme.

Gling ! Bye-bye William ! À son tour de jouer les rosettes de Lyon[31] à quelques mètres de feu Nikola. Ballade des pendus ! Frères humains qui après nous vivez… Vanitas terminée, kaput ! Priez pour nous, pauvres bêcheurs !

L’orgasme du populo ressemble à un rugissement. Ça fait « vrraâoum ! » L’entrée d’Anquetil au Parc des Princes à l’issue de son triomphal Bordeaux-Paris.

Je tire sur mes ficelles, mais y’a rien de plus traître que le nylon. Plus vous faites d’effort, plus il vous cisaille l’habit d’Hoche. C’est alors que j’avise le sabre dabe hors d’âge d’un de mes gardes. Il l’a passé dans sa ceinture qui lui sert aussi d’uniforme et la lame rebique agressivement de mon côté. J’amorce un léger mouvement d’approche en pivotant sur mes talons. J’y vais molo, mais mes précautions sont superflues car il est trop fasciné par les prouesses de l’exécuteur des hautes œuvres.

On s’occupe d’un général pour l’instant, ce qui est moins affligeant. Lorsque j’ai bien pivoté, je me mets à frotter mes liens sur le tranchant du sabre. Et vous pouvez croire que je m’en paie une tranche, que je me passe au fil de l’épais, comme dirait our président. Cette pomme de garde ne prend même pas garde à mon manège. Je lime à l’envers. Ça pète… Je continue de me désaucissonner. Maintenant, lorsque je tire sur mes bras je sens que ça vient.

Encore un petit effort. Pour comble de chance, avant de se laisser haler, le général fait une déclaration. Il bonnit comme quoi le supplice qu’on lui inflige est indigne de sa qualité d’officier supérieur, et que l’histoire jugera sévèrement un tel acte. Les gus ne comprenant pas l’anglais s’entre-questionnent.

— Qu’est-ce qu’il dit ? me demande mon gardien au sabre en trompette.

Je lui traduis obligeamment, et à l’oreille, ce qui me permet de cramponner la poignée de son arme de ma main droite libérée. Je tire doucement, doucement. Lorsque je m’écarte de l’homme, ça y est j’ai son coupe-cigare bien à moi.

La suspension du général crée la bonne diversion. Je pige pourquoi, au moyen âge, les tire-laines opéraient au pied des estrades de bateleurs. Un zig qui, en extérieur surtout, a son attention accaparée devient un mannequin pour les détrousseurs de tous poils.

Je tranche les liens paralysant mes jambes. Ce que c’est bon de récupérer, ne fût-ce que pour quelques instants, la totale liberté de ses mouvements.

Mes deux gardes sont penchés en avant pour mieux voir hisser le pauvre officier. Moi, futé comme belette, je me coule en arrière, contourne ma potence, et passe derrière Bérurier.

— Bouge pas, mec, chuchoté-je. Et attends que je déclenche le patacaisse avant de nous jouer le retour de King-Kong.

Aucune réaction. Il se laisse couper les liens sans broncher, et même une fois que les fils de nylon gisent à ses pieds, il conserve farouchement la même position.

— Prépare-toi à piquer le sabre d’un de tes guignols, tu piges ?

Là-dessus, je recule dans le sein de la foule toujours hypnotisée. Mon propos : dénicher la môme Vicky avant que ça berzingue. La dernière fois que je l’ai située, cette douce panthère, elle se tenait près de l’échafaud de la reine. Faut que je fasse fissa. Dès que le général aura cessé de gambader dans le néant, il y aura ce relâchement qui succède à chaque numéro dans les music-halls, et alors, aussi pommes à l’huile qu’ils fussent, mes sbires s’apercevront que je viens de choisir la liberté.

Le sabre collé le long de ma jambe (pas celle-ci, l’autre !) je me glisse à travers la foule. Un incident amuse beaucoup cette dernière, un petit gavroche malotrusien vient de grimper à la potence du général comme à un mât de cocagne et a ôté la casquette de l’officier pour s’en coiffer. De là-haut, il adresse des grands signes à la foule et virgule des coups de pompe au corps pour le faire se balancer. L’intermède a beaucoup de succès. D’autres gosses, ne voulant pas être en reste, escaladent les premiers gibets. Ça plaît énormément. Je vois Anar Chizan, dressé sur un baril de peaux de bananes traitées qui applaudit et hurle « Mort aux pas noirs ! », ce qui n’est pas gentil pour les Chinois qui ont organisé cette révolution, ni pour les belles Scandinaves qui lui ont permis de la réaliser.

Docile, la foule reprend, « mort aux pas noirs ». Quand une populace vous clame ça dans les portugaises, vous rêvez d’être le cousin germain de M. Humphouët Boigny. Je me ratatine, me recroqueville. Je noircis sûrement à force de bonne volonté.

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Que je préfère, pour ma part, à celles de la Légion d’Honneur.