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Enfin, j’avise Vicky, à trois mètres de là, pas tellement à son aise, elle non plus. C’est alors qu’un grand escogriffe s’interpose. Il m’a vu et reconnu ; il est tout à la fois surpris et courroucé. Il va pour, simultanément (car c’est un gars qui a une certaine ubiquité dans la pensée, l’expression et l’action) hurler et me sauter dessus. Mais San-Antonio, le petit intrépide, lui plonge confidentiellement sa rapière dans l’estomac. Vous devez bien penser, malgré votre inaptitude congénitale, que si j’ai chouravé un sabre, c’était pas pour m’en servir comme signet ! Du reste, de nos jours les bouquins sont massicotés, ce qui est la logique même. Car enfin, un livre ne peut servir que lorsqu’il est feuilletable, conclusion, il y a pas si longtemps, et même encore parfois, on est obligé de terminer soi-même la fabrication de ceux qu’on achète.

Pourquoi je vous parle de ça à un pareil moment, alors là, je suis bien incapable de vous l’expliquer. Simple enchaînement d’idées. Vous détraquez pas le grand zygomatique, je poursuis.

L’escogriffe pousse une grimace épouvantable et se plie en deux. Le gars bibi décide qu’il y a extrême urgence et, oubliant toute prudence, écarte les badauds à coups de coudes pour aller plus vite.

Je m’annonce enfin derrière Vicky. Elle a sa sacoche sous le bras, la sangle de celle-ci étant entortillée à son poignet.

Pas mèche de la lui arracher par surprise. Alors aux grands maux, les… etc… Je baisse le bras droit à fond afin de pouvoir tenir le sabre comme un coutelas. Puis j’abats la gauche sur la sacoche afin d’empêcher la gosse de l’ouvrir.

Elle sursaute, se détourne. Nous sommes visage à visage. Ses yeux s’agrandissent de stupeur, comme on le dit si joliment dans les bouquins d’action depuis bientôt un siècle.

Des cernes lui soulignent le regard.

— Lâche ta sacoche, môme, ou je t’étripe.

Et, joignant the geste to the parole, je lui pique le ventre avec mon instrument.

Elle s’est ressaisie, au lieu de devenir souple, son bras se crispe.

— Vite ! gronflé-je silencieusement, tu dois bien piger que l’époque des cadeaux est finie entre nous !

À cet instant, il y a une bousculade. Des cris. Je pige qu’on vient de s’apercevoir de ma fugue. Le remous me fait faire un faux mouvement et la lame bien affûtée s’enfonce dans le corps de la fille. J’ai beau essayer de contenir mon geste forcé, la pression de la foule m’en empêche et je sens pénétrer le sabre dans les chairs palpitantes. Les yeux de Vicky se révulsent.

À ce moment des paluches m’alpaguent. Je sens pleuvoir des coups dans mes reins, sur ma nuque. Le cadavre de Vicky m’entraîne. Je tombe. On m’assaisonne affreusement. La multitude se concentre. Tout le monde veut me piétiner.

Je n’ai qu’une idée. Ouvrir la sacoche, m’emparer du vaporisateur… Je suis étourdi. Endolori. En feu ! J’ai du sang dans la bouche. Je sais que je vais m’évanouir. Périr là, dévoré par ces jambes en furie comme par les dents d’un monstre. Je lutte, une main sur ma nuque, l’autre s’affolant sur le fermoir de la sacoche. Je ne vois même pas ce que je fais. J’ai des cloches plein la tronche. Je n’y vois plus clair. Il n’y a plus que ma main qui tâtonne. Elle est toute seule. Délivrée de moi, autonome ! Des mâchoires d’acier me coupent les chairs. Je perds conscience… Je retrouve conscience. J’entends des cris. Ça et là, un gnon plus douloureux m’est perceptible. Je me vide comme un tube de crème qu’on piétinerait. Je me réunis encore un coup. Un dernier. Je sens du froid, du lisse, du rond dans ma main.

Je me dis : « C’est le tube lance-sommeil ». Et je me dis également : s’il a son couvercle je suis marron parce qu’il me sera impossible de le dévisser. Je coule ma main droite sous mon autre bras et j’appuie sur toute la surface du tube dans l’espoir de trouver le bouton. Illico, les coups cessent. Des poids pesants s’abattent mollement sur moi. Je pense : « Ça y est, ça fonctionne ». Je rassemble ce qui demeure en moi de récupérable. Je finis mes propres restes, en somme. Je m’arc-boute. Alentour c’est la panique. Je la décèle à travers un brouillard sanglant. Je vois une traînée de gus inanimés devant moi. D’autres qui fuient en se bousculant sauvagement. Et puis, plus loin, une autre traînée de gus out mais pour ces derniers c’est plus grave. Béru se fraie un passage en moulinant de deux sabres à la fois. Ah ! il fait le détail, pépère ! Tzouim ! Floc ! Ça taille, ça crève, ça perce, ça estoque comme à Bouvine. Il marche droit vers le gibet de sa chère reine, le vaillant bretteur. Quelques téméraires essaient bien de se le payer par-derrière, à la sournoise, façon roquet, mais on dirait qu’il a des yeux dans le dos, Béru. Peut-être que sa bonne vierge a fait un miracle, qu’elle a donné le don de la vue à son dargeot. Il a l’anus en œil de Caïn, le Gros. Ça lui permet de voltefacer opportunément.

Dopé par ce fabuleux spectacle, je me dresse, tout sanguinolent, mon fly-tox braqué. Une giclée à droite, une giclée à gauche. Bouvine, que je vous dis ! Les récalcitrants s’endorment. Les gardes déguerpissent. Ça se vide. On fait place (du Peuple) nette. Y reste plus que le bourreau, les suppliciés en attente et ce bon Anar Chizan, toujours debout sur son baril qui hurle en nous désignant à ses chers absents :

« Emparez-vous de ces hommes ! Je vous ordonne de vous emparer de ces hommes ! »

Je lui cloque un coup de reniflette pour le faire taire. Il choit de son piédestal. Un petit coup au bourreau, lequel passait déjà sa cravate de cérémonie à sir Dezange, et nous voici maîtres de la situation.

Je laisse au bon Bérurier l’honneur et l’ineffable plaisir de délivrer la reine Kelbobaba.

Elle a dû maigrir d’une vingtaine de kilogrammes, la brave souveraine, pendant ces dernières heures. Vu son embonpoint, ça ne se remarque pas, mais ça se lit à la langueur de son regard. Un sacré coup de sauna qu’elle vient de se torchonner, Poupette.

Elle s’abat en sanglotant sur la poitrine de son Bayard.

— Allons, allons, ma gosse, essaie de la calmer Béru, faut pas vous détraquer les glandes lacrymogènes. Vous deviez bien vous douter que tant que nous fussions vivants, mon camarade San-A. et moi, personne ne pourrait toucher à un seul poil de votre barbe !

CHAPITRE CINQ bis[32]

Pendant que les ivoiriers de la Cour retapent le trône, et tandis que la foule se rassemble sur la place du Parlement (ex-place du Peuple) que l’on a débarrassée de ses gibets (les à fruits et les pas mûrs) aux cris de : « Vive la reine, vive la monarchie » ; je discute le bout de gras avec sir Harry Dezange, le miraculé du nœud coulant.

Nous sommes assis chacun sur une borne-tabouret. La mienne indique « Marlow 4 miles » et la sienne « Ouinville 2 km », c’est vous dire si nous faisons assaut de politesse. Celle-ci ne se limite pas au choix de nos sièges, mais elle fait de notre conversation, un pur joyau du XVIIe siècle.

— Mon cher[33], déclare Dezange, je ne souhaite qu’une chose : toujours rencontrer sur mon route des adversaires de votre trempe. Je vous dois la vie, comment pourrais-je vous revaloir cela ?

— Vous m’abonnerez à Life, plaisanté-je non sans finesse.

Il me présente la main.

— Et sorry pour ma conduite de midi. J’aurais pu intercéder en votre faveur, après vous avoir confondu…

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32

La brièveté de ce dernier chapitre fait que j’ai des scrupules à l’intituler chapitre six, comme pourtant ce serait mon droit le plus absolu. J’ose espérer que mes lecteurs sauront apprécier cette nouvelle preuve de ma conscience professionnelle.

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33

Moi, je lui dis « my dear »