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— C’est cela, conclut Hippo. Herbier a fendu la tête du père.

— C’est sûrement cela, approuva Adamsberg. Tout se boucle et, surtout, tout s’achève.

— Pourquoi dites-vous que ma mère avait raison d’avoir peur ? demanda Antonin. Ce n’est pas nous qu’Émeri a tués.

— Mais c’est vous qu’il allait tuer. C’était son objectif final : assassiner Hippo et Lina, et faire retomber la responsabilité sur un habitant quelconque d’Ordebec, rendu fou de peur par les morts de l’Armée furieuse.

— Comme en 1777.

— Exactement. Mais la mort du vicomte l’a retardé. C’est Émeri aussi qui l’a fait basculer par la fenêtre. Mais c’est fini, dit-il en se tournant vers la mère, dont le visage semblait se redresser, comme si, ses actes ayant été énoncés et même défendus, elle pouvait sortir un peu de sa stupeur. Le temps de la peur est fini, insista-t-il. Finie aussi la malédiction sur le clan Vendermot. La tuerie aura eu au moins cet effet : on saura qu’aucun de vous n’en était l’auteur, mais que vous en étiez les victimes.

— Si bien qu’on n’impressionnera plus personne, dit Hippo, avec un sourire déçu.

— Dommage peut-être, dit Adamsberg. Tu deviens un homme à cinq doigts.

— Heureusement que maman a gardé les bouts, soupira Antonin.

Adamsberg s’attarda encore une heure avant de prendre congé, jetant un ultime regard à Lina. Avant de sortir, il prit la mère par les épaules et lui demanda de l’accompagner jusqu’au chemin. Intimidée, la petite femme posa les fleurs et attrapa une bassine, expliquant qu’elle en profiterait pour rentrer le linge.

Le long de la corde tendue entre les pommiers, Adamsberg aidait la mère à décrocher le linge et à le plier dans la bassine. Il ne voyait aucune manière délicate d’aborder la question.

— Herbier aurait tué votre mari, dit-il à voix basse. Qu’est-ce que vous en pensez ?

— C’est bien, chuchota la petite femme.

— Mais c’est faux. C’est vous qui l’avez tué.

La mère lâcha sa pince à linge et attrapa la corde des deux mains.

— Nous sommes les deux seuls à le savoir, madame Vendermot. Le crime est prescrit et personne n’en parlera jamais. Vous n’avez pas eu le choix. C’était vous ou eux deux. Je veux dire, les deux enfants de Valleray. Il allait les tuer. Vous les avez sauvés de la seule manière possible.

— Comment vous l’avez su ?

— Parce qu’en réalité nous sommes trois à le savoir. Vous, moi, et le comte. Si l’affaire a pu être étouffée, c’est parce qu’il est intervenu. Il me l’a confirmé ce matin.

— Vendermot voulait tuer les petits. Il savait.

— Par qui ?

— Personne. Il avait été livrer des pièces de charpente au château et Valleray l’aidait à décharger. Le comte s’est pris dans une des griffes de la pelleteuse et sa chemise s’est déchirée tout du long. Vendermot a vu son dos. Il a vu la marque.

— Mais quelqu’un d’autre le sait, à moitié seulement. La femme tourna un visage effrayé vers Adamsberg.

— C’est Lina, reprit-il. Elle vous a vu le tuer quand elle était petite. C’est pourquoi elle a essuyé le manche. Ensuite, elle a voulu tout effacer, tout enfoncer dans l’oubli. C’est pour cela qu’elle a eu cette première crise, aussitôt après.

— Quelle crise ?

— Sa première vision de l’Armée furieuse. Elle y a vu Vendermot, saisi. C’était donc le Seigneur Hellequin qui devenait responsable du crime, et non plus vous. Elle a continué à entretenir cette idée folle.

— Exprès ?

— Non, pour se protéger. Mais il faudrait la débarrasser du cauchemar.

— On peut pas. C’est des choses plus fortes que nous.

— Vous le pouvez peut-être en lui disant la vérité.

— Jamais, dit la petite femme en s’accrochant de nouveau au fil à linge.

— Dans un repli de sa tête, Lina s’en doute déjà. Et si Lina s’en doute, ses frères aussi. Ça les aiderait de savoir que vous l’avez fait, et pourquoi.

— Jamais.

— À vous de choisir, madame Vendermot. D’imaginer. L’argile d’Antonin se solidifiera, Martin cessera d’avaler des bestioles, Lina sera délivrée. Pensez-y, c’est vous la mère.

— C’est surtout cette argile qui est embêtante, dit-t-elle faiblement.

Si faiblement qu’Adamsberg ne doutait pas qu’en cet instant un souffle de vent la ferait s’éparpiller comme les parachutes duveteux des pissenlits. Une petite femme fragile et désemparée qui avait fendu son mari en deux coups de hache. Le pissenlit est une fleur humble et très résistante.

— Cependant deux choses resteront toujours, reprit Adamsberg. Hippo continuera de parler à l’envers, et l’Armée d’Hellequin continuera de traverser Ordebec.

— Mais c’est certain, dit la mère plus fermement, ça n’a rien à voir.

LV

Veyrenc et Danglard amenèrent Mo sans ménagement jusqu’au bureau d’Adamsberg, menottes aux poignets, et l’assirent de force sur la chaise. Adamsberg ressentit un vrai plaisir à le revoir, en réalité une satisfaction un peu orgueilleuse à l’idée qu’il avait réussi à l’arracher au bûcher.

Postés debout de part et d’autre de Mo, Veyrenc et Danglard jouaient parfaitement leur rôle, les visages durs et vigilants. Adamsberg adressa à Mo un insensible clignement d’yeux.

— Tu vois comment ça se termine, une cavale, Mo.

— Comment vous m’avez trouvé ? demanda le jeune homme sur un ton insuffisamment agressif.

— Tu serais tombé un jour ou l’autre. On avait ton carnet d’adresses.

— Je m’en fous, dit Mo. J’avais le droit de fuir, j’étais obligé de fuir. J’ai pas foutu le feu à cette bagnole.

— Je le sais, dit Adamsberg.

Mo prit une expression médiocrement étonnée.

— Les deux fils de Clermont-Brasseur s’en sont chargés. À l’heure où je te parle, ils sont inculpés d’homicide avec préméditation.

Avant de quitter Ordebec trois jours plus tôt, Adamsberg avait obtenu du comte sa promesse d’intervenir auprès du magistrat en charge. Promesse accordée sans difficulté, la sauvagerie des deux frères l’ayant violemment choqué. Il avait eu son compte d’atrocités à Ordebec et n’était pas disposé à l’indulgence, y compris vis-à-vis de lui-même.

— Ses fils ? s’indigna faussement Mo. Ses propres fils lui ont mis le feu ?

— En s’arrangeant pour te faire accuser. Tes baskets, ta méthode. Sauf que Christian Clermont ne savait pas nouer les lacets. Et que le souffle du brasier lui a brûlé quelques mèches.

— Ça le fait presque à chaque fois.

Mo tourna la tête de droite et de gauche, comme un type qui prend soudain conscience d’un état de choses nouveau.

— Mais je peux partir alors ?

— Tu crois ? dit durement Adamsberg. Tu ne te souviens pas de la manière dont t’es sorti d’ici ? Menace à main armée envers un officier de police, violences et délit d’évasion.

— Mais j’étais obligé, répéta Mo.

— Peut-être, mon gars, mais c’est la loi. Tu pars en détention provisoire, tu passeras en jugement dans environ un mois.

— Je ne vous ai même pas fait mal, protesta Mo. Juste un petit coup comme ça.

— Un petit coup qui t’amène devant le juge. Tu as l’habitude. Il décidera.

— Je risque combien ?

— Deux ans, estima Adamsberg, en raison des circonstances exceptionnelles et du préjudice subi. Tu pourrais sortir après huit mois pour bonne conduite.