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— Alors quoi ? dit Mangemanche.

— Il faut trouver un désert.

— Je suis bien forcé de rester m’occuper des malades.

— Faites-vous nommer médecin colonial.

— C’est idiot. J’aurai à me balader sans arrêt d’un village à l’autre, et jamais le temps de m’occuper du Ping.

— Prenez des vacances.

– Ça ne se fait pas !..

— Alors, on ne peut pas !..

— Enfin, quoi !.. dit Mangemanche.

— Ben, oui !.. répondit Cruc.

— Oh, zut !.. Je vais à l’hôpital… Continuez vos calculs.

Il descendit l’escalier, traversa le vestibule cylindrique et sortit. Sa voiture l’attendait devant le trottoir à claire-voie. Depuis la mort d’une de ses clientes préférées, il ne recevait pratiquement plus et se bornait à exercer à l’hôpital.

Lorsqu’il entra dans la chambre de Cornélius, il trouva, assis sur le lit de la chaise, un grand gaillard costaud et blond. Celui-ci se leva en le voyant.

— Je m’appelle Anne, dit-il. Bonjour, monsieur.

— C’est pas l’heure des visites, observa l’interne qui entrait derrière le professeur.

— Il dort tout le temps, dit Anne. Je suis obligé de rester jusqu’à ce qu’il se réveille.

Mangemanche se retourna et regarda l’interne.

— Qu’est-ce que vous avez, vous ?

— Oh, ça va se passer.

Les mains de l’interne tremblaient comme des marteaux de sonnette et ses yeux étaient noirâtres jusqu’au milieu de la figure.

— Vous n’avez pas dormi ?

— Non… C’est la chaise…

— Ah ? Ça ne va pas ?

— Quelle garce !.. dit l’interne.

La chaise remua et craqua et cela recommença à sentir mauvais. L’interne, furieux, fit deux pas en avant, mais Mangemanche lui posa la main sur le bras.

— Calmez-vous, lui dit-il.

— Je ne peux plus !.. Elle se fout de moi !

— Vous lui avez passé le bassin ?

— Elle ne veut rien faire, se lamenta l’interne. Juste craquer, grincer, avoir la fièvre, et m’emmerder.

— Soyez correct, dit Mangemanche. On va s’occuper d’elle tout à l’heure. Alors, vous ? continua-t-il en s’adressant à Anne.

— Je voudrais parler à M. Onte. C’est au sujet de mon contrat.

— C’est pas la peine de me parler de ça… je ne suis pas au courant.

— M. Onte ne vous a pas fait des propositions ?

— M. Onte est tellement bavard que je le fais dormir d’un bout de la journée à l’autre.

— Pardon, dit l’interne. C’est moi.

– Ça va, dit Mangemanche. C’est vous… si vous voulez.

— J’ai connaissance de ces propositions, dit Anne. Je peux vous les dire.

Mangemanche regarda l’interne et lui fit un signe. L’interne fouilla dans sa poche. Il était derrière Anne.

— Oui ? C’est intéressant, dit Mangemanche. Allez-y !

L’interne tira de sa poche une grosse seringue et planta l’aiguille en plein dans le gras du biceps d’Anne. Celui-ci essaya de lutter, mais s’endormit presque aussitôt.

— Où je le mets ? dit l’interne, car Anne était lourd à tenir.

— Débrouillez-vous, dit Mangemanche. Je vais visiter les salles. D’ici là, Onte sera sans doute réveillé.

L’interne écarta les bras et Anne glissa par terre.

— Je peux le mettre à la place de cette chaise… suggéra-t-il.

La chaise riposta par une série d’éclatements ricaneurs.

— Laissez-la tranquille, dit Mangemanche. Si je vous prends à l’embêter…

— Bon, dit l’interne. Alors, je le laisse là.

— Comme vous voudrez.

Le professeur réajusta sa blouse blanche et sortit d’un pas souple et feutré. Il disparut dans le couloir laqué.

Resté seul, l’interne s’approcha lentement de la chaise et la couvrit d’un regard dont suintait la méchanceté. Il était si fatigué que ses paupières retombaient à chaque instant. Une infirmière entra.

— Vous lui avez passé le bassin ? dit l’interne.

— Oui, dit l’infirmière.

— Alors ?

— Alors, elle a des oxyures de bois. Et puis, elle s’est levée toute seule, une fois. Elle va l’amble. C’est déplaisant à voir. J’étais terrorisée.

— Je vais l’ausculter, dit l’interne. Passez-moi un linge propre.

— Voilà, dit l’infirmière.

Il n’avait même pas la force de lui fourrer sa main entre les jambes, bien qu’elle eût ouvert sa blouse comme d’habitude. Dépitée, elle lui donna la serviette et s’en alla en remuant de la tôle émaillée. L’interne s’assit sur le lit et découvrit la chaise. Il s’efforçait de ne pas respirer, car elle craquait de plus belle.

8

Lorsque Mangemanche revint de sa visite des salles, l’interne dormait à son tour, en travers sur Anne, au pied du lit de Cornélius. Le professeur remarqua quelque chose d’insolite dans l’aspect du lit voisin et découvrit prestement la chaise Louis XV. Ses pieds s’étaient raidis. Elle avait vieilli de vingt ans. Elle était froide, inerte, et Louis XVI. Les courbes de son dossier, tendues et droites, disaient combien son agonie avait dû être pénible. Le professeur remarqua la teinte blanc-bleuâtre du bois, et donna, en se retournant, un bon coup de pied dans la tête de l’interne, mais celui-ci ne bougea pas. Il ronflait. Le professeur s’agenouilla près de lui et le secoua.

— Alors… quoi ? Vous dormez ?… Qu’est-ce que vous avez fait ?…

L’interne se mit à grouiller et ouvrit un œil filandreux.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? répéta Mangemanche.

— Me suis piqué… murmura l’interne. Évipan aussi. Trop sommeil.

Il referma l’œil avec un ronflement caverneux. Mangemanche le secoua plus fort.

— Et la chaise ?

L’interne ricana avec lenteur.

— Strychnine.

— Salaud !.. dit Mangemanche. Il n’y a plus qu’à la remettre sur ses pieds et la faire empailler.

Il se releva vexé. L’interne dormait comme un bienheureux. Anne aussi et Cornélius aussi. Mangemanche bâilla. Il souleva la chaise avec délicatesse et la posa au pied du lit. Elle émit un dernier craquement, doux et mort, et il s’assit dessus. Sa tête oscillait de droite à gauche, et, au moment où elle se fixait dans une position commode, on frappa à la porte. Le professeur n’entendit pas, et Angel frappa de nouveau et il entra.

Mangemanche tourna vers lui deux globes vitreux et dénués d’expression.

— Jamais il ne pourra voler, marmotta-t-il.

— Vous dites ? demanda poliment Angel.

Le professeur avait du mal à se sortir de son assoupissement. Il fit un gros effort de plusieurs kilos et réussit à dire quelque chose.

— Jamais un Ping 903 n’aura la place de voler dans ce pays. Foi de Mangemanche !.. Il y a trop d’arbres.

— Mais si vous venez avec nous ? dit Angel.

— Avec vous, qui ?

— Avec Anne et moi, et Rochelle.

— Où ça ?

— En Exopotamie.

Les voiles de Morphée s’entrouvrirent au-dessus du crâne de Mangemanche, et Morphée lui-même lâcha un caillou juste sur sa fontanelle. Il se réveilla tout à fait.

— Sacré nom ! Mais c’est un désert, ça !..

— Oui, dit Angel.

— C’est ce qu’il me faut.

— C’est d’accord, alors ?

— Mais quoi, bran ? dit le professeur qui ne comprenait plus.

— Enfin. M. Onte vous a fait des propositions ?

— M. Onte me casse les pieds, dit Mangemanche. Depuis huit jours, je le fais piquer à l’évipan pour être tranquille.