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L’ombre de Dupont parcourait la pièce à gestes coudés et rompus. Il attendait la fin du repas d’Athanagore et de Martin pour desservir.

Cependant Martin faisait à son maître le récit en forme de dialogue des événements de la matinée.

— Quoi de neuf ? dit Athanagore.

— Rien de nouveau quant à ce qui concerne le sarcophage, dit Martin. Il n’y en a pas.

— On continue à creuser ?

— On continue. Dans tous les sens.

— Nous réduirons à une seule direction quand nous pourrons.

— On a signalé un homme dans la région, dit Martin.

— Qu’est-ce qu’il fait ?

— Il est arrivé par le 975. Il s’appelle Amadis Dudu.

— Ah, soupira Athanagore, ils ont enfin ramassé un voyageur…

— Il est installé, dit Martin. Il a emprunté un bureau et il écrit des lettres.

– À qui a-t-il emprunté un bureau ?

— Je ne sais pas. Il a l’air de travailler dur.

— C’est curieux.

— Pour le sarcophage ? dit Martin.

– Écoutez, Martin, ne vous habituez pas à l’idée que nous allons trouver un sarcophage tous les jours.

— Mais nous n’en avons encore trouvé aucun ?…

— Ceci prouve bien qu’ils sont rares, conclut Athanagore.

Martin secoua la tête, écœuré.

— Ce coin ne vaut rien, dit-il.

— Nous venons à peine d’amorcer, observa Athanagore. Vous êtes trop pressé.

— Excusez-moi, maître, dit Martin.

– Ça n’a pas d’importance. Vous me ferez deux cents lignes pour ce soir.

— Quel genre, maître ?

— Traduisez-moi en grec une poésie lettriste d’Isidore Isou. Prenez-en une de la longueur.

Martin repoussa sa chaise et sortit. Il en avait pour jusqu’à sept heures du soir, au moins, et il faisait très chaud.

Athanagore termina son repas. Il reprit son marteau archéologique en sortant de la tente ; il tenait à finir de désincrustir son pot turcique. Mais il avait l’intention de se dépêcher ; la personne du dénommé Amadis Dudu commençait à l’intéresser.

Le pot, de grande taille, en porcelaine grossière, était peint, au fond, d’un œil que le calcaire et la silice obstruaient à moitié. À petits coups précis, Athanagore fit sauter les éclats pétrifiés, dégageant l’iris et la pupille. Vu en entier, c’était un assez bel œil bleu, un peu dur, aux cils plaisamment recourbés. Athanagore regardait plutôt d’un autre côté pour se dérober à l’interrogation insistante qu’impliquait l’expression de ce vis-à-vis céramique. Lorsque le nettoyage fut chose faite, il remplit le pot de sable, pour ne plus voir l’œil, le retourna sens dessus dessous et le brisa de plusieurs coups de marteau, puis il ramassa les fragments épars. Ainsi, le pot tenait très peu de place et pourrait entrer dans une boîte du modèle standard, sans déparer la régularité des collections du maître, qui tira de sa poche le réceptacle en question.

Ceci fait, Athanagore se désaccroupit et partit en direction présumée d’Amadis Dudu. Si ce dernier montrait, pour l’archéologie, des dispositions, il méritait que l’on s’y intéressât. Le sens infaillible qui guidait l’archéologue dans ses démarches ne manqua point à le diriger vers la bonne place. Effectivement assis à un bureau, Amadis Dudu téléphonait. Sous son avant-bras gauche, Atha vit un sous-main dont le buvard portait déjà les marques d’un travail intense ; une pile de lettres devant lui, prêtes à l’expédition, et, dans une corbeille, le courrier déjà reçu.

— Savez-vous où l’on peut déjeuner par ici ? demanda Amadis, couvrant le récepteur de sa main, sitôt qu’il eut aperçu l’archéologue.

— Vous travaillez trop, répondit Athanagore. Le soleil va vous abrutir.

— C’est un pays charmant, assura Amadis. Et il y a beaucoup à faire.

— Où avez-vous trouvé ce bureau ?

— On trouve toujours un bureau. Je ne peux pas travailler sans bureau.

— Vous êtes venu par le 975 ?

Le correspondant d’Amadis devait s’impatienter, car le récepteur se tordait violemment dans sa main. Avec un mauvais sourire, Amadis saisit une épingle dans le plumier et la planta dans le petit trou noir. Le récepteur se roidit et il put le reposer sur l’appareil.

— Vous disiez ? s’enquit Amadis.

— Je disais : vous êtes arrivé par le 975 ?

— Oui. Il est assez commode. Je le prends tous les jours.

— Je ne vous ai jamais vu par ici.

— Je ne prends pas ce 975-là tous les jours. Comme je vous le disais, il y a beaucoup à faire ici. Accessoirement, pourriez-vous m’indiquer où l’on peut déjeuner ?

— Il doit être possible de trouver un restaurant, dit Athanagore. Je vous avoue que depuis mon arrivée ici je ne m’en suis pas préoccupé. J’avais amené des provisions, et puis on peut pêcher dans le Giglyon.

— Vous êtes ici depuis ?

— Depuis cinq ans, précisa Athanagore.

— Vous devez connaître le pays, alors.

— Pas trop mal. Je travaille plutôt en dessous. Il y a des plissements siluro-dévoniens, des merveilles. J’aime aussi certains coins de pléistocène où j’ai trouvé des traces de la ville de Glure.

— Connais pas, dit Amadis. Le dessus ?

– Ça, il faut demander à Martin de vous guider, dit Athanagore. C’est mon factotum.

— Il est pédéraste ? demanda Amadis.

— Oui, dit Athanagore. Il aime Dupont.

– Ça m’est égal, dit Amadis. Tant pis pour Dupont.

— Vous allez le peiner, dit Atha. Et il ne me fera pas la cuisine.

— Puisqu’il y a un restaurant…

— Vous êtes sûr ?

— Venez avec moi, dit Amadis. Je vous y mène. Il se leva, remit sa chaise en place. Dans le sable jaune, il était facile de la faire tenir droite.

— C’est propre, ce sable, dit Amadis. J’aime bien cet endroit. Il n’y a jamais de vent ?

— Jamais, assura Athanagore.

— Si nous descendons le long de cette dune-là, nous allons trouver le restaurant.

De longues herbes vertes, raides et cirées, tachaient le sol d’ombres filiformes. Les pieds des deux marcheurs ne faisaient aucun bruit et creusaient des empreintes coniques aux contours doucement arrondis.

— Je me sens un autre homme, ici, dit Amadis. L’air est très sain.

— Cela simplifie tout. Avant de venir ici, j’ai eu des moments de timidité.

– Ça paraît vous avoir passé, dit Athanagore. Quel âge avez-vous ?

— Je ne peux pas vous donner de chiffre, dit Amadis. Je ne me rappelle pas le début. Tout ce que je pourrais faire, c’est répéter quelque chose que l’on m’a dit et dont je ne suis pas sûr. J’aime mieux pas. En tout état de cause, je suis encore jeune.

— Je vous donnerais vingt-huit ans, dit Athanagore.