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— Je vous remercie, dit Amadis. Je ne saurais qu’en faire. Vous trouverez sûrement quelqu’un à qui ça fera plaisir.

— Oh, bon ! dit Atha. Il était un peu vexé.

La dune descendait maintenant en pente raide, et une autre, aussi haute, masquait l’horizon ocre. Des dunes adventives, plus petites, formaient des replis, dessinant des cols et des passes à travers lequel Amadis se dirigeait sans la moindre hésitation.

— C’est assez loin de ma tente, dit Atha.

– Ça ne fait rien, dit Amadis. Vous suivrez nos empreintes pour revenir.

— Mais si on se trompe de chemin en y allant ?

— Eh bien, vous vous perdrez en revenant, voilà tout.

— C’est embêtant, dit Atha.

— N’ayez pas peur. Je sais sûrement où c’est. Tenez, regardez.

Derrière la grosse dune, Athanagore aperçut le restaurant italien : Joseph Barrizone, propriétaire. On l’appelait Pippo. Les stores de toile rouge se détachaient gaiement sur la peinture laquée des murs de bois. Laquée blanche. Pour préciser. Devant le soubassement de briques claires, des hépatrols sauvages fleurissaient sans répit dans des pots de terre vernissée. Il en poussait aussi aux fenêtres.

— On sera très bien là, dit Amadis. Ils doivent avoir des chambres. Je vais y faire transporter mon bureau.

— Vous allez rester là ? dit Atha.

— On va construire un chemin de fer, dit Amadis. J’ai écrit à ma maison pour ça. J’ai eu l’idée ce matin.

— Mais il n’y a pas de voyageurs, dit Athanagore.

— Vous trouvez que ça arrange les chemins de fer, vous, les voyageurs ?

— Non, dit Athanagore. Évidemment non.

— Donc, il ne s’usera pas, dit Amadis. Ainsi, dans le calcul des frais d’exploitation, on n’aura jamais à tenir compte de l’amortissement du matériel. Vous vous rendez compte ?

— Mais ce n’est qu’un poste du bilan, observa Athanagore.

— Qu’est-ce que vous y connaissez, en affaires, hein ? répliqua brutalement Amadis.

— Rien, dit Athanagore. Je suis juste archéologue.

— Alors venez déjeuner.

— J’ai déjà déjeuné.

– À votre âge, dit Amadis, vous devez pouvoir déjeuner deux fois.

Ils arrivaient à la porte vitrée. Tout le rez-de-chaussée était vitré sur la façade, et l’on voyait les rangées de petites tables propres et les chaises de cuir blanc.

Amadis poussa le battant et une sonnette s’agita fiévreusement. Derrière le grand comptoir à droite, Joseph Barrizone que l’on appelait Pippo, lisait du langage majuscule dans un journal. Il avait une belle veste blanche toute neuve et un pantalon noir, et un col ouvert, parce qu’il faisait tout de même relativement chaud.

— Faccé la barba à sept houres c’to matteigno ? demanda-t-il à Amadis.

— Si, répondit Amadis.

S’il en ignorait l’orthographe, il comprenait le patois de Nice.

— Bien ! répondit Pippo. C’est pour déjeuner ?

— Oui. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tout ce qu’on peut trouver dans ce restaurant terrestre et diplomatique, répondit Pippo avec un fameux accent italien.

— Du minestrone ?

— Aussi du minestrone et des spaghettis à la Bolognese.

— Avanti ! dit Athanagore pour rester dans le ton.

Pippo disparut vers la cuisine. Amadis choisit une table près de la fenêtre et s’assit.

— Je voudrais voir votre factotum, dit-il. Ou votre cuisinier. Comme vous voudrez.

— Vous avez le temps.

— Ce n’est pas sûr, dit Amadis. J’ai pas mal de travail. Vous savez, bientôt, il y aura beaucoup de monde par ici.

— Charmant, dit Athanagore. Ça va être la bonne vie. On fera des raouts ?

— Qu’est-ce que vous appelez un raout ?

— C’est une réunion mondaine, expliqua l’archéologue.

— Vous parlez ! dit Amadis. Comme on aura le temps de faire des raouts !

— Oh, zut ! dit Athanagore.

Tout d’un coup, il se sentait déçu. Il retira ses lunettes et cracha dessus pour en nettoyer les vitres.

II. RÉUNION

À cette liste on peut également ajouter le sulfate d’ammoniaque, le sang desséché et les gadoues.

(Yves Henry « Plantes et fibres », Colin, 1924.)

1)

L’huissier arriva, comme d’habitude, le premier. La réunion du Conseil d’Administration était prévue pour dix heures et demie. Il avait à ouvrir la salle, disposer des cendriers devant chaque sous-main et des images obscènes à la portée des Conseillers, vaporiser par endroits du désinfectant car plusieurs de ces messieurs souffraient de maladies contagieuses dépouillantes, et aligner les dossiers des chaises sur des parallèles idéales aux côtés de la table ovale. Il faisait à peine jour, car l’huissier boitait et devait calculer largement son temps. Il était vêtu d’un vieux complet rupinant en serge moisée de couleur vert sombre, et portait une chaîne dorée au cou avec une plaque gravée où l’on pouvait lire son nom si l’on voulait. Il se déplaçait par saccades, et son membre perclus battait l’air en spirales à chacune de ses progressions fragmentaires.

Il saisit la clé contournée du placard à accessoires et gagna du terrain vers l’angle de la pièce contiguë au lieu de réunion, où l’on rangeait toutes ces choses très indispensables. Il se hâtait à grands ahans. Le panneau démasqua les étagères, coquettement garnies de papier rose festonné, peint par Léonard de Vinci à une époque reculée. Les cendriers s’étageaient dans un ordre discret, suggéré plutôt qu’imposé, mais rigoureux quant à l’esprit. Les cartes obscènes de divers modèles, certaines en plusieurs couleurs, étaient classées dans des pochettes assorties. L’huissier connaissait plus ou moins les préférences des messieurs du Conseil. Il sourit du coin de l’œil en voyant, à l’écart, un petit paquet innocent dans lequel il avait rassemblé toutes celles qui lui plaisaient personnellement, et il esquissa le geste de déboutonner sa braguette, mais le contact de son engin désolé fit se rembrunir sa figure ridée. Il se rappela la date et se souvint qu’il n’y trouverait rien de sérieux avant deux jours. À son âge, ce n’était pas si mal, mais il lui revenait à la mémoire un moment où il pouvait le faire jusqu’à deux fois par semaine. Cette réminiscence lui rendit un peu de gaieté et les coins sales de sa bouche en sphincter de galline dessinèrent l’amorce d’un sourire, tandis qu’une vilaine lumière clignotait dans ses yeux ternis.

Il prit les six cendriers nécessaires et les posa sur le plateau japonais à fond de verre dont il se servait généralement pour ces sortes de transports. Puis, se référant à l’index punaisé au dos de la porte, il choisit les cartes, une par une, quatre pour chacun. Il se souvint, sans avoir besoin de vérifier, que le président préférait les groupes cycliques à doubles liaisons, c’était une conséquence de ses études de chimie, et regarda la première carte avec admiration, ça représentait vraiment une performance acrobatique. Sans s’attarder davantage, il secoua la tête avec complicité et termina rapidement son choix.

2)

Le baron Ursus de Janpolent roulait en voiture vers le lieu du Conseil.

3)

Ils arrivèrent en même temps, vers dix heures moins le quart, trois personnages que l’huissier salua respectueusement. Ils portaient de légères serviettes de cuir de porc à peine patiné, des complets à veston croisé et gilet fantaisie, quoique uni et de teinte assortie au tissu du complet, et des chapeaux du genre boléro. Ils parlaient très sérieusement, dans un langage parsemé d’inflexions nettes et décisives, en levant assez haut le menton, et en faisant des gestes avec la main droite qui ne tenait pas la serviette. On peut noter, sans préjuger de la suite des événements, que deux de ces serviettes s’ouvraient par une fermeture Éclair répartie sur trois de leurs côtés, le dernier jouant le rôle de charnière. La troisième, à poignée, était la honte de son propriétaire qui signalait, de trois minutes en trois minutes, l’acquisition projetée, dans l’après-midi, d’une identique aux deux autres, à laquelle condition les possesseurs des deux autres continuaient à échanger des inflexions définissantes avec lui.