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Il lui fit signe de s’approcher.

— Si tu tires dessus tous les matins, dit-il en baissant la voix, ça deviendra encore plus gros.

— Comment ? dit Olive.

Didiche n’aimait pas que le capitaine devienne rouge comme ça et que ses veines sortent sur son front. Il regarda ailleurs, l’air gêné.

— Comme ça… dit le capitaine.

Et puis Didiche entendit qu’Olive se mettait à pleurer qu’il la pinçait, et elle se débattit et il vit que le capitaine la tenait en lui faisant mal. Il prit le pavillon et en donna, de toutes ses forces, un coup sur la figure du capitaine qui lâcha Olive en jurant.

— Foutez-moi le camp, petits malheureux !.. brailla le capitaine.

On voyait une marque là où Didiche visait en le frappant. Des grosses larmes coulaient sur les joues d’Olive et elle se tenait la poitrine où le capitaine venait de la pincer. Elle descendit l’échelle en fer. Didiche la suivait, il était très en colère, furieux et vexé sans savoir pourquoi exactement, et il avait la sensation qu’on venait de le rouler. Le cormoran passa au-dessus de leurs têtes, projeté d’un coup de pied du capitaine et s’abattit devant eux. Olive se baissa et le ramassa. Elle pleurait toujours. Didiche passa un bras autour de son cou et avec son autre main, il écarta ses cheveux jaunes qui se collaient sur sa figure mouillée, et il l’embrassa aussi doucement qu’il put, sur la joue. Elle s’arrêta de pleurer, et elle regarda Didiche et baissa les yeux. Elle tenait le cormoran tout contre elle, et Didiche la serrait avec son bras.

VI

Angel arrivait sur le pont. Le bateau était maintenant en pleine mer et le vent du large le parcourait en long ; cela faisait une croix, phénomène normal, car le royaume du Pape rapprochait.

Anne et Rochelle venaient de s’enfermer dans une de leurs cabines, et Angel aimait mieux s’en aller ; c’était assez épuisant pourtant, de penser à autre chose. Anne restait toujours aussi gentil avec lui. Le plus terrible, c’est que Rochelle également. Mais tous deux dans une seule cabine, ils n’allaient pas parler d’Angel. Ils n’allaient pas parler. Ils n’allaient pas… Peut-être si… Peut-être ils allaient…

Le cœur d’Angel battait assez fort, parce qu’il pensait à Rochelle sans rien, comme elle était en bas, dans la cabine, avec Anne, ou, sans ça, ils n’auraient pas fermé la porte.

Elle regardait Anne d’une façon très désagréable pour Angel, depuis plusieurs jours, avec des yeux pareils à ceux d’Anne, quand il l’embrassait dans l’auto, des yeux un peu noyés, horribles, des yeux qui bavaient, avec des paupières comme des fleurs meurtries, aux pétales légèrement écrasés, spongieux et translucides.

Le vent chantait dans les ailes des mouettes et s’accrochait aux choses qui dépassent les ponts des bateaux, laissant des petites queues de vapeur à chaque aspérité, comme la plume de l’Everest. Le soleil s’envoyait dans l’œil en se reflétant sur la mer clignotante et blanche par places. Cela sentait très bon la blanquette de veau marin et les fruits de mer mûris à la chaleur. Les pistons de la machine pilaient avec consistance et la coque vibrait régulièrement. Une fumée bleue montait au-dessus du toit lamellé du lanterneau d’aération desservant la chambre des mécaniques, aussitôt dissipée par le vent. Angel voyait tout ça ; un tour en mer, ça vous console un peu, et puis le chuintement doux de l’eau, le frottis des écumes sur la coque, les cris et les claquements d’ailes des mouettes lui montaient à la tête, et son sang s’allégea, et, malgré Anne, en bas, avec Rochelle, se mit à pétiller comme du champagne dans ses veines.

L’air était jaune clair et bleu turquoise lavé. Les poissons continuaient à frapper la coque de temps à autre. Angel aurait aimé descendre et regarder s’ils ne bosselaient pas dangereusement les tôles déjà vieilles. Mais il chassa cette pensée et il n’avait déjà plus dans les yeux les images d’Anne et de Rochelle, parce que le goût du vent était merveilleux, et le goudron mat sur le pont portait des craquelures brillantes comme des nervures de feuilles capricieuses. Il alla vers l’avant du bateau et voulut s’accouder à la rambarde. Olive et Didiche, penchés par-dessus, regardaient les drôles de gerbes d’écume qui collaient des moustaches blanches au menton de l’étrave, curieux endroit pour des moustaches. Didiche tenait toujours Olive par le cou et le vent ébouriffait les cheveux des deux enfants en leur chantant sa musique dans l’oreille. Angel s’arrêta et s’accouda près d’eux. Ils s’aperçurent de sa présence et Didiche le regarda d’un air soupçonneux, qui s’adoucit à mesure ; sur les joues d’Olive, Angel vit les traces sèches des larmes, et elle reniflait encore un petit peu sur sa manche.

— Alors, dit Angel, vous êtes contents ?

— Non, dit Didiche. Le capitaine est un vieux veau.

— Qu’est-ce qu’il vous a fait ? demanda Angel. Il vous a chassé de sa passerelle ?

— Il a voulu faire mal à Olive, dit l’enfant. Il l’a pincée là.

Olive mit sa main à l’endroit désigné et elle renifla un bon coup.

– Ça me fait encore mal, dit-elle.

— C’est un vieux cochon, dit Angel. Il était furieux contre le capitaine.

— Je lui ai donné un coup d’entonnoir sur la gueule, observa le garçon.

— Oui, dit Olive, c’était drôle.

Elle se mit à rire tout doucement, et Angel et Didiche rirent aussi en pensant à la figure du capitaine.

— S’il recommence, dit Angel, venez me chercher. Je lui casserai la figure.

— Vous, au moins, remarqua Didiche, vous êtes un pote.

— Il voulait m’embrasser, dit Olive. Il sentait le vin rouge.

— Vous n’allez pas la pincer aussi ?… Didiche, soudain s’alarmait. Ne pas aller trop vite avec ces adultes.

— N’aie pas peur, dit Angel. Je ne la pincerai pas et je n’essaierai pas de l’embrasser.

— Oh, dit Olive, je veux bien que vous m’embrassiez, mais pas pincer, ça fait mal.

— Moi, observa Didiche, je ne tiens pas du tout, à ce que vous embrassiez Olive. Je peux très bien le faire…

— Tu es jaloux, hein ? dit Angel.

— Pas du tout.

Les joues de Didiche prirent une belle teinte pourpre et il regarda délibérément par-dessus la tête d’Angel. Ça lui faisait renverser le cou en arrière à un angle très incommode. Angel riait. Il attrapa Olive sous les aisselles, l’éleva à sa hauteur et l’embrassa sur les deux joues.

— Voilà, dit-il en la reposant, maintenant on est des potes. Serre-moi la pince, dit-il à Didiche.

Celui-ci tendit sa patte sale à contre-cœur, mais il se dérida en voyant la figure d’Angel.

— Vous en profitez parce que vous êtes plus vieux que moi, mais, après tout, je m’en fiche. Je l’ai embrassée avant vous.

— Je te félicite, dit Angel. Tu es un homme de goût. Elle est très agréable à embrasser.

— Vous venez en Exopotamie aussi ? demanda Olive.

Elle préférait qu’on parle d’autre chose.

— Oui, dit Angel. Je suis engagé comme ingénieur.

— Nos parents, dit Olive avec fierté, sont des agents d’exécution.

— C’est eux qui font tout le travail, compléta Didiche. Ils disent toujours que les ingénieurs tout seuls, ils ne pourraient rien faire.

— Ils ont raison, assura Angel.

— Et puis, il y a le contremaître Arland, conclut Olive.

— C’est un beau salaud, précisa Didiche.

— On verra ça, dit Angel.

— Vous êtes le seul ingénieur ? demanda Olive.

Alors Angel se rappela qu’Anne et Rochelle étaient ensemble dans la cabine, en bas, et le vent fraîchit. Le soleil se cachait et le bateau dansait plus fort. Les cris des mouettes se firent agressifs.