Выбрать главу

— Qu’est-ce qu’il y a ? dit Angel.

Il ne comprenait pas et se rendit compte qu’il était en train de regarder les cheveux de Rochelle depuis déjà longtemps.

— C’est la barbe ! maugréait Anne. Cette sale gosse !

— Un indicateur est cassé, expliqua Rochelle en se tournant vers Angel.

Anne descendit pour tenter de réparer le dommage et s’affaira autour de la fragile mécanique. Il essayait de faire une ligature au catgut.

Rochelle se retourna tout à fait en s’agenouillant sur le siège avant.

— Vous nous avez attendus longtemps ? dit-elle.

— Oh, ça ne fait rien… murmura Angel.

Il trouvait très difficile de la regarder en face. Elle brillait trop. Pourtant, ses yeux… il fallait voir la couleur…

— Si, dit-elle. Mais c’est ce grand serin d’Anne. Il est toujours en retard. Moi, j’étais prête. Et regardez, il recommence à faire des blagues, sitôt parti.

— Il aime bien s’amuser. Il a raison.

— Oui, dit Rochelle. Il est si gai.

Anne, pendant ce temps-là, jurait comme un charretier et sautait en l’air, chaque fois qu’une goutte d’électricité lui roulait sur la main.

— Où est-ce qu’on va ? demanda Angel.

— Il veut qu’on aille danser, dit Rochelle. Moi, je préfère le cinéma.

— Il aime bien voir ce qu’il fait, dit Angel.

— Oh ! dit Rochelle. Vous ne devez pas dire des choses comme ça !

— Excusez-moi.

Rochelle avait un peu rougi, et Angel regrettait ce commentaire perfide.

— C’est un brave type, ajouta-t-il. Mon meilleur copain.

— Vous le connaissez bien ? demanda Rochelle.

— Depuis cinq ans.

— Vous n’êtes pas du tout pareil.

— Non, mais on s’entend bien, assura Angel.

— Est-ce qu’il…

Elle s’arrêta et rougit encore.

— Pourquoi vous n’osez pas le dire ? C’est pas correct ?

— Si, dit Rochelle. Mais c’est idiot. Ça ne me regarde pas.

— C’est ça que vous voulez savoir ? dit Angel. Eh bien oui, il a toujours eu du succès avec les filles.

— Il est très beau garçon, murmura Rochelle.

Elle se tut et se retourna, parce qu’Anne faisait, en sens inverse, le tour de la voiture, pour venir se réinstaller au volant. Il ouvrit la portière.

— J’espère que ça tiendra, dit-il. Ça ne coule pas beaucoup, mais il y a une drôle de pression. Je venais de faire recharger les accus.

— C’est pas de chance, dit Angel.

— Pourquoi est-ce que cette imbécile de fille avait de telles oreilles !.. protesta Anne.

— Tu n’avais qu’à ne pas faire l’idiot avec ton indicateur, dit Angel.

— C’est vrai, approuva Rochelle.

Elle rit.

— C’était très drôle !..

Anne rit aussi. Il n’était pas en colère. La voiture repartit, mais ils s’arrêtèrent de nouveau très vite car la rue refusait de continuer plus loin. C’est là qu’ils allaient.

C’était un club de danse où les amateurs de vraie musique se retrouvaient entre purs pour pratiquer des dislocations. Anne dansait très mal. Angel souffrait toujours en voyant Anne se mettre à contretemps ; il ne l’avait jamais regardé danser avec Rochelle.

Cela se passait au sous-sol. Un petit escalier blanc y menait en se tortillant ; une grosse corde-lierre, dont on coupait les feuilles tous les mois, permettait de descendre sans se tuer. C’était aussi, par endroits, garni de cuivre rouge et de hublots.

Rochelle passa la première, puis Anne, et Angel fermait la marche, afin que les prochains arrivants puissent s’en servir à leur tour. Quelquefois, des insouciants la laissaient ouverte et le garçon se cassait la figure à chaque coup parce que son plateau l’empêchait de voir.

À mi-descente, ils se sentirent saisis par le battement cardiaque de la section rythmique. Un peu plus bas, on prenait en plein dans l’oreille les mélanges de sons de clarinette et de trompinette qui progressaient en s’appuyant l’un sur l’autre, acquérant, ainsi, en très peu de temps, une vitesse considérable. Et puis, au pied de l’escalier, ils perçurent le vague brouhaha de pieds remués, de torses pelotés, de rires confidentiels et d’autres moins discrets, de graves éructations et de conversations nerveuses parmi les clapotis de verres et d’eau gazéifiée qui composent l’atmosphère adéquate d’un bar de demi-luxe. Anne chercha des yeux une table libre et la désigna à Rochelle qui l’atteignit la première. Ils commandèrent des portos frisés.

La musique ne s’arrêtait guère à cause de la persistance des impressions oreilleuses. Anne profita d’un blues considérablement langoureux pour inviter Rochelle. Pas mal de danseurs venaient de se rasseoir, écœurés par la lenteur du morceau, et tous les tordus se levaient parce que ça leur rappelait le tango ; ils en profitaient pour intercaler des corte et des pas hésitation entre les déboîtaisons classiques des orthodoxes, au nombre desquels Anne croyait pouvoir se compter. Angel les regarda deux secondes puis détourna les yeux, prêt à vomir. Anne était déjà à contretemps. Et Rochelle suivait sans se troubler.

Ils revinrent s’asseoir. Angel invita Rochelle à son tour. Elle sourit, dit oui, et se leva. C’était encore un air lent.

— Où est-ce que vous avez rencontré Anne ? demanda Angel.

— Il n’y a pas longtemps, répondit-elle.

— Un mois ou deux, je crois ?

— Oui, dit Rochelle. Dans une surprise partie.

— Vous n’aimez peut-être pas que je vous parle de ça ? demanda Angel.

— J’aime bien parler de lui.

Angel la connaissait très peu, mais il eut de la peine. Il aurait été embarrassé d’expliquer pourquoi. Toutes les fois qu’il rencontrait une jolie fille, il éprouvait un désir de propriété. L’envie d’avoir des droits sur elle. Enfin, Anne était son ami.

— C’est un type remarquable, dit-il. Très doué.

– Ça se voit tout de suite, dit Rochelle. Il a des yeux épatants, et une belle voiture.

– À l’École, il réussissait sans difficulté aucune, là où d’autres mettaient des heures.

— Il est très costaud, dit Rochelle. Il fait beaucoup de sport.

— Je ne l’ai pas vu rater un seul examen en trois ans.

— Et puis, j’aime la façon dont il danse.

Angel essayait de la maîtriser, mais elle paraissait fermement décidée à danser à contretemps. Il fut obligé de la tenir un peu moins serré et la laissa se démener toute seule.

— Il n’a qu’un défaut, dit Angel.

— Oui, dit Rochelle, mais ce n’est pas important.

— Il pourra s’en corriger, assura Angel.

— Il a besoin qu’on s’occupe de lui, et il a besoin d’avoir toujours quelqu’un près de lui.

— Vous avez probablement raison. D’ailleurs, il a toujours quelqu’un près de lui.

— Je ne voudrais pas qu’il y ait non plus trop de gens, dit Rochelle pensivement. Seulement des amis sûrs. Vous par exemple.

— Je suis un ami sûr ?

— Vous êtes le type dont on à envie d’être la sœur. Exactement.

Angel baissa la tête. Elle ne lui laissait pas beaucoup d’illusions. Il ne savait pas sourire comme Anne. Voilà la raison. Rochelle continuait à danser à contretemps et prenait grand plaisir à la musique. Les autres danseurs aussi. Il faisait chaud et enfumé, et les notes se faufilaient parmi les volutes grises des mégots en train d’agoniser sur des cendriers-réclame de la maison Dupont, rue d’Haute-feuille, qui représentaient, à l’échelle réduite, des bassins de lit et du matériel pour malades.

— Qu’est-ce que je fais, comment ça ?

— Dans la vie ?