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L’inspecteur qui était chargé de l’affaire se nommait Martin Lemmer, il pourrait m’en dire plus. Il était en congé ce jour, mais on l’attendait vers 18 h 30 pour le service de nuit.

Neuman me proposa de l’attendre, ce que j’acceptai.

— J’ai prévu de rester jusqu’à lundi midi, je repasserai ce soir. En attendant, pouvez-vous me faire une copie papier du dossier pour que je prépare mes questions ?

— Bien entendu.

Il s’exécuta et partit chercher les copies au fond du paysager.

Lorsqu’il revint, je pris sa carte de visite, l’étudiai et fis mine de mémoriser son nom.

— Ali Neuman, Ali Neuman. En tout cas, je vous remercie, monsieur Neuman, vous m’avez fait gagner un temps précieux. Dites à monsieur Lemmer que je passerai le voir vers 19 heures.

Il me raccompagna jusqu’au pas de la porte.

Dès que je fus dans le taxi, j’appelai Sac à main.

— Raoul, c’est moi.

— Je sais. Vous êtes où ?

— À Johannesburg, mais plus pour longtemps, je serai grillé dans les heures qui viennent.

— Ils vous ont repéré à l’aéroport de Roissy, mais ils ont perdu votre trace. Ils pensent que c’est une ruse, que vous êtes ressorti de l’aéroport et que vous êtes toujours à Paris. Quelle est votre prochaine destination ?

— Je ne sais pas encore. En attendant, je vais t’envoyer le scan d’un rapport balistique concernant un meurtre qui a eu lieu ici. Essaie de te procurer celui de Nolwenn Blackwell et compare-les.

— OK, envoyez-le sur ma boîte Gmail. En attendant, j’ai des renseignements sur Christelle Beauchamp.

J’avais oublié son existence.

— Ah oui, la journaliste.

— Je n’ai pas trouvé grand-chose sur elle. Elle semble réglo. Trente-trois ans, célibataire, une fille de sept ans, journaliste freelance, a l’air compétente dans son domaine. Elle pond des articles de fond pour plusieurs magazines, essentiellement féminins. Elle a sorti un bouquin sur la condition des femmes dans le monde de l’entreprise. On la dit féministe avec un caractère de merde. Elle avait une relation privilégiée avec Blackwell, elle comptait écrire sa biographie et dénoncer les abus du métier à travers ce bouquin.

Des données conformes à ce qu’elle m’avait raconté et à l’impression qu’elle m’avait laissée.

— Merci, Raoul, rappelle-moi quand tu as du nouveau.

Je raccrochai.

Une idée me vint.

Lors de notre entrevue, Christelle Beauchamp s’était déclarée convaincue de mon innocence. En tout cas, de mon incapacité à commettre un meurtre. De plus, elle menait sa propre enquête sur le meurtre de Nolwenn et détenait vraisemblablement des éléments nouveaux.

Par chance, j’avais eu la présence d’esprit d’inscrire son numéro de téléphone dans ma liste.

Je composai son numéro.

— Christelle.

— Madame Beauchamp, c’est Hugues Tonnon.

Elle ne parut nullement étonnée de m’entendre.

— Bien. Vous avancez ?

— J’avance ?

— Votre enquête, j’entends. À présent que vous êtes réduit à l’état de fugitif, je présume que vous consacrez l’intégralité de votre temps et de votre énergie à dénicher celui qui vous a mis dans ce pétrin.

— J’ai trouvé quelques éléments intéressants.

— Les policiers qui m’ont entendue disent la même chose.

— Ils vous ont dit que j’étais l’assassin ?

— Ils m’ont dit que votre arrestation n’était qu’une question d’heures.

— Tiens donc. Et vous, vous avez du nouveau ?

Elle marqua une pause.

— J’avance.

— Qu’avez-vous ?

— Des choses, et vous ?

— Aussi.

J’observai un silence.

Comme prévu, elle le rompit.

— Rappelez-moi dans un jour ou deux, monsieur Tonnon, j’en saurai peut-être plus. Je suis rentrée de Bruxelles ce matin et je repars dans une heure.

— Où allez-vous ?

— Casablanca.

— Casablanca ?

— Oui, Casablanca. Rejoue-moi ça, Sam, de quelle nationalité êtes-vous, monsieur Blaine, ces choses-là.

— Bien, dans ce cas, bon voyage.

— À un de ces jours, peut-être, monsieur Tonnon.

J’attendis qu’elle raccroche.

DIMANCHE 28 AOÛT 2011

23

CASABLANCA

Christelle Beauchamp se pencha vers moi, plissa les yeux et prit des airs de conspiratrice.

— Dites-moi, monsieur Tonnon, puis-je vous poser une question ?

Comme je m’y attendais, elle n’avait pas raccroché.

Elle avait quelque peu tourné autour du pot avant de concéder qu’il serait utile pour l’avancée de nos enquêtes respectives de confronter sans attendre les informations en notre possession.

Je m’étais rendu à l’aéroport de Johannesburg où j’étais parvenu, non sans mal, à trouver un vol de nuit sur Qatar Airways. Après une escale à Doha et un arrêt technique à Tunis, j’étais arrivé à Casablanca en milieu d’après-midi.

À l’aéroport Mohamed-V, j’avais dû faire le pied de grue dans une queue interminable pour remplir les formalités d’entrée et recevoir un cachet sur mon faux passeport. En sortant de l’aéroport, j’avais pris un taxi dont l’état de délabrement était plus avancé encore que celui de Jim : une vieille Mercedes jaune qui affichait un demi-million de kilomètres au compteur.

Le moteur hoquetait, les sièges étaient rapiécés et le plafond était constellé d’agrafes censées maintenir la garniture de pavillon en place.

Par miracle, j’étais arrivé à bon port où le propriétaire de l’épave m’avait réclamé cinq cents dirhams. Par la suite, j’avais appris que c’était le double de ce que payaient les touristes allemands les plus naïfs.

L’hôtel que j’avais réservé, un quatre étoiles moderne sur le boulevard d’Anfa, disposait d’une chambre au dixième étage qui donnait sur la mer et la Grande Mosquée. Selon le réceptionniste, ces caractéristiques justifiaient le supplément de prix qu’il me réclama, m’assurant que je ne le regretterais pas.

La seule adresse que Christelle Beauchamp et moi connaissions à Casablanca était le Rick’s Café Américain, le lieu légendaire où nous nous fixâmes rendez-vous à vingt heures.

Fort de ma récente expérience, je choisis de m’y rendre à pied.

Dans une chaleur suffocante, j’arpentai les boulevards aux trottoirs défoncés, jonchés de détritus, ruisselants de liquides à la provenance douteuse, grouillants d’autochtones à la mine patibulaire qui vociféraient pour couvrir la fureur des klaxons, ce qui semblait être un sport national. Prudent, je faisais un écart dès que j’approchais d’un rassemblement de plus de deux personnes qui semblaient mijoter un mauvais coup dans l’encoignure d’un immeuble ou le porche d’un commerce.

J’arrivai le premier sur place.

L’endroit n’avait rien à voir avec le décor mythique du film. Perdu dans une zone de travaux, le restaurant était coincé entre un garage désaffecté et un grossiste en fruits de mer. Hormis quelques hommes d’affaires, la clientèle était constituée de touristes multicolores qui s’extasiaient sur la décoration.