Un seau de glaçons se déversa dans ma nuque.
Je revis la cellule qui hantait mon cauchemar. Cette fois, mon codétenu s’appelait Akim, Lotfi ou Mohammed. Il était brutal, libidineux et détestait les Européens. Quelques scènes de Midnight Express défilèrent dans ma tête. Je revis l’ignoble geôlier qui retirait sa ceinture.
Une vague de panique me submergea.
— Qu’est-ce que je dois faire, Raoul ?
— Sortez de l’aéroport au plus vite, trouvez une bagnole et tentez de passer la frontière.
— Vers quel pays ?
La pause qu’il fit ne fut pas pour me rassurer.
— Je ne vois que l’Algérie. Il y a bien la Mauritanie, au sud, mais ça vous ferait plusieurs milliers de kilomètres et un désert à traverser.
— En conclusion ?
— L’Algérie, je ne vois que ça. Ou un bateau à destination de l’Europe.
— Merci, je vais aviser.
— Je ne pourrai plus vous transmettre d’informations, mon contact ne veut plus prendre de risques. C’est le black-out pour moi.
— OK, Raoul, je vais me débrouiller.
Je raccrochai.
Christelle Beauchamp me dévisagea, l’air dépité.
— Mauvaises nouvelles ?
Je lui expliquai la situation.
— Que comptez-vous faire ?
— Sortir d’ici au plus vite.
— Votre valise est enregistrée et partie dans l’avion.
— Si ce n’était que ça. Je me fiche de ma valise.
— Vous n’avez aucune chance.
L’émotion m’emporta.
Je me levai et me mis à hurler dans le hall.
— Je n’ai aucune chance ? Cette perspective a l’air de vous réjouir ! Le sort s’acharne sur moi. Je vais me retrouver sous peu dans une prison marocaine et y moisir jusqu’à la fin de mes jours pour avoir tenté de prouver mon innocence.
Elle ne se départit pas de son calme.
— J’ai une idée.
— Je vous écoute.
— Savent-ils que vous êtes accompagné ?
— Je ne pense pas. Ils ont localisé les appels téléphoniques de mon enquêteur, mais ils ne connaissent pas la teneur des échanges que j’ai eus avec lui.
— Seul, vous n’avez aucune chance. À deux, on peut y arriver. Un couple qui voyage au Maroc, c’est crédible. Surtout si la femme est journaliste. Vous serez mon photographe, nous faisons un reportage sur les villes impériales.
— Pourquoi feriez-vous ça ?
— Je n’ai pas dit que je le ferais.
— Arrêtez de jouer avec mes nerfs, que voulez-vous ?
— Conclure un marché avec vous.
— Je vous écoute.
— Je vous aide sur ce coup. En contrepartie, vous m’aidez à retrouver l’assassin de Nolwenn et à cerner le mobile de son meurtre.
Elle tendit la main.
— Marché conclu ?
Avais-je le choix ?
Je serrai sa main.
— Marché conclu.
27
UN TAXI POUR TOBROUK
Nous sortîmes en hâte de l’aéroport et nous rendîmes sur l’aire de stationnement des taxis.
Christelle Beauchamp s’éloigna d’une dizaine de mètres et passa quelques coups de téléphone tout en consultant son iPad. Elle me tournait le dos comme si elle craignait que j’écoute la conversation ou que je lise sur ses lèvres, ce qui décupla mon énervement.
Après une demi-heure qui me parut deux heures, elle revint vers moi, un sourire sarcastique aux lèvres.
— J’ai trouvé. Un camion qui transporte des moutons. J’irai dans la cabine, vous vous mettrez à l’arrière, c’est plus prudent.
Comment parvenait-elle à plaisanter dans de telles circonstances ?
— Vous êtes désopilante. Plus sérieusement ?
— Les frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc sont fermées depuis plus de dix ans, mais il existe de nombreux endroits où il y a moyen de se faufiler. Entre le trafic de drogue dans le sens Maroc Algérie, la contrebande d’essence dans l’autre et les hordes de travailleurs clandestins, la frontière est une véritable passoire. Les points de passage sont accessibles par de petits sentiers à travers les champs ou le long d’une rivière asséchée du côté d’Oujda. Quand nous serons là-bas, mon contact me donnera de nouvelles instructions. Essayons de dégoter un 4 × 4. Oujda se trouve à sept cents kilomètres, nous y serons avant la nuit si tout va bien, il y a une autoroute directe.
— Une autoroute marocaine.
Elle adopta une posture de défi.
— Une autoroute marocaine, oui. Et après ? On est au Maroc, non ? Vous voulez qu’on entame un débat sur l’état de vos autoroutes ?
— Les autoroutes belges sont dans un état lamentable, j’en conviens, mais il est rare qu’un âne ou un couple de chameaux traverse devant vous.
— Votre remarque est pleine de bon sens, louons un hélicoptère.
— Soit. Nous passons la frontière clandestinement, et ensuite ?
Elle ouvrit les bras.
— Et ensuite ? Je ne sais pas, moi, je ne suis pas GO, on avisera.
Je conservai mon sang-froid.
— Bien, nous aviserons.
Elle tendit la main d’un geste nerveux.
— Donnez-moi vos papiers, les faux. Je vais voir s’il y a moyen de louer une bagnole ici.
J’obtempérai.
Elle tourna les talons et reprit la direction de l’aéroport. Elle en ressortit une dizaine de minutes plus tard, accompagnée d’un homme à la mine patibulaire revêtu d’un cache-poussière jaune.
Elle leva un bras, agita quelques papiers et m’interpella joyeusement.
— Viens, mon chéri, ils nous ont trouvé un joli tout-terrain.
L’homme nous escorta jusqu’à un parking protégé par un grillage et une porte métallique. Il ouvrit le cadenas, nous pilota dans un labyrinthe de véhicules et nous présenta un Mitsubishi Pajero gris argenté.
Hormis un éclat dans le pare-brise et une épaisse couche de poussière, il semblait dans un état acceptable.
L’homme grimpa dans le véhicule, lança le moteur et manœuvra pour le placer dans l’allée. Il descendit et me fit signer les documents sur le capot. Avant de nous quitter, il regarda par-dessus mon épaule et fronça les sourcils.
— Où sont vos bagages ?
Christelle Beauchamp intervint.
— C’est vrai ça, mon chéri, où sont nos bagages ?
Elle mésestimait les capacités d’improvisation d’un avocat de ma trempe.
— Adil les a pris avec lui, nous les retrouverons à l’hôtel.
— Bien sûr, Adil.
Je pris le volant et nous regagnâmes le centre de Casablanca où nous achetâmes de nouveaux vêtements, des affaires de toilette et des valises pour y mettre le tout. Nous prîmes ensuite l’autoroute vers Rabat où nous arrivâmes vers dix-sept heures.
Je crus bon de manifester des doutes quant à notre arrivée à Oujda dans la soirée.
— Ne ferions-nous pas mieux de loger ici pour repartir demain matin vers Oujda ? Nous risquons d’arriver au milieu de la nuit.
Elle pivota sur son siège.
— Je vais vous dire quelque chose, monsieur Tonnon. J’ai un tas de choses bien plus intéressantes à faire que de visiter le Maroc en votre compagnie. J’ai un ami journaliste qui se décarcasse pour nous trouver un filon pour passer en Algérie. Je lui ai dit que je serais à Oujda ce soir et nous serons à Oujda ce soir. De là, nous gagnerons Alger et prendrons un vol pour Paris. Le plus vite sera le mieux.
— Un vol pour Paris ? Sans visa ?