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— C’est tout ?

— Il en manque peut-être, dit № 2 avec gêne. Je crois qu’on vous a affecté de nouveaux locaux ?

— Oui. À ce propos…

— En êtes-vous satisfait ?

— Oui, dit Rameau.

Il fouillait dans sa poche. Il en ressortit une poignée de fils minces et quelques pastilles noires, cylindriques. La plus imposante présentait l’aspect d’une punaise, la plus bénigne la section d’une mine de crayon. Rameau les considéra d’un air pensif.

Puis il les déposa sur le vaste bureau de № 2.

— Eh bien, fit ce dernier en levant les bras.

— Oui, dit Rameau. Matériel assez moderne.

— Il arrive que les instructions soient mal interprétées, vous savez ? Notre métier exige le sens de la nuance et l’instinct de la mesure. Un simple malentendu, rassura № 2.

— Je n’en doute pas, affirma Rameau.

Il sortit une Gitane, la considéra sans haine. Il avait passé une mauvaise nuit sur le divan. Il faisait toujours aussi beau et frais.

— Avez-vous réfléchi ? demanda № 2 avec la plus exquise, la plus suffocante courtoisie en se penchant.

— Oui, dit Rameau.

Le bébé avait un peu pleuré dans la nuit, mais pas trop. Quand il avait quitté l’appartement, les filles dormaient en tas. Laurent dormait. On voyait ses pieds dépasser sous la table. Petit Facteur avait fait du café frais. Il était en train de trafiquer quelque chose dans le four.

— Oui, répéta Rameau. Il me faudrait une voiture.

— Pas de problème…

— … et un chauffeur.

— Pas de problème non plus, s’épanouit № 2.

— J’ai pensé à…

— Oh non, soupira № 2.

— Elle est très qualifiée, assura Rameau paisiblement.

— Elle conduit comme une savate, dit № 2. Elle conduit aussi mal qu’elle tape à la machine. Elle conduit comme… comme…

— Elle n’a jamais fait de terrain. Elle n’est pas détronchée.

— Elle ne va pas vouloir, prophétisa № 2. Elle ne peut pas vous…

— Essayez tout de même, suggéra Rameau en se levant.

Il pointa l’index sur le petit fatras, au bord du bureau.

— Vous ferez savoir à l’individu qui a tenté de sonoriser mon bureau qu’il mérite un zéro pointé, dit-il d’un ton sévère. Y a des cas où l’incompétence confine à l’injurieux.

— Je n’y manquerai pas, souffla № 2 d’une voix faible, presque inaudible.

Il semblait tout à coup avoir vieilli de huit jours.

* * *

Rameau fila un vieux coup de savate dans la porte.

Elle lui revint dans le nez à la vitesse de l’éclair.

— Merde, grogna le policier.

Il sortit un kleenex.

— C’est quoi ? demanda le jeune homme.

— Toi, ta gueule, dit Rameau.

Il s’adossa à la porte. Il se tamponnait le tarin, mais sans paraître s’en soucier démesurément.

— Vos collègues viennent de sortir, annonça le jeune homme.

— Quels collègues ?

— Les types de l’anti-terroriste. NE M’APPROCHEZ PAS !

— On se calme, dit Rameau.

— C’est pas moi, m’sieur. J'vous jure que c’est pas moi.

— C’est pas toi QUOI ?

— Le Pub Renault.

— M’énerve pas, prévint Rameau. Si tu m’énerves, je baffe. Tu voudrais quand même pas que je baffe ?

— Non, m’sieur.

Rameau examina le kleenex taché de son sang. Il le replia avec soin. Chacun de ses gestes était lourd de menaces. Il s’approcha. Le jeune homme commença à monter au mur. Rameau le rattrapa par la cheville gauche.

— Je vous INTERDIS de me toucher, glapit l’ablette de calcif.

Rameau tira d’un coup sec.

— Qui ?

— Mais j’en sais rien, moi.

— QUI ? rugit Rameau.

Derrière le kleenex, ce qu’on apercevait de son visage avait quelque chose de proprement terrifiant. Le jeune homme abandonna son mur. Il prit la précaution de se mettre un avant-bras devant la face.

— Aucune idée.

— C’est pas vous. T’as rien entendu chez les autres ?

— Non.

— T’es toujours branché ?

— Ouais.

— C’est comment ?

— Calmos. J'vous jure. Ils étaient tous en vacances.

— C’est ça. Tu abuses de ma faiblesse physique.

— Mais non.

— Mais si. (Rameau soupira lourdement. Consulta sa montre en examinant le mouchoir avec ressentiment. Il avait horreur de saigner du nez. Il avait horreur d’être défiguré. Il se sentait littéralement défiguré.) Tu as toujours mon numéro de fil ?

— Ouais, ouais, dit le jeune homme.

— Pavoise pas, merdeux, prévint le policier. Tu restes le suspect № 1.

— C’est pas juste.

— Bon, je me casse. Essaie pas de te tirer, t’aurais la corde au cou avant de passer la porte d’Orléans. Si vous préparez quelque chose, tu sais comment il faut faire.

— Oui, m’sieur.

Le jeune homme baissa un peu l’avant-bras :

— Si vous me permettez de vous reconduire…

— Te casse pas le cul, grogna Rameau d’une voix sombre. Je connais le chemin.

* * *

Il s’affala dans la voiture. Cul de Plomb lui adressa un coup d’œil bourré d’ironie satisfaite.

— Ça va, ça va, dit Rameau. Démarrez, mon petit.

— Je savais bien qu’un jour vous tomberiez sur un bec. J’aurais seulement aimé que ce jour-là, le bec vous arrache les yeux à l’aide d’une pince à escargots. C’est eux ?

— C’est pas eux.

— En êtes-vous si sûr ?

— Il avait un accent de sincérité qui ne trompe pas, dit Rameau avec une maussaderie évidente. Démarrez…

— C’est ce que je fais, s’insurgea-t-elle.

Elle avait le front et le haut des joues empourprés.

— Vous devriez peut-être desserrer le frein à main, suggéra le policier.

Il se palpait avec précaution le tubercule nasal.

La voiture partit comme une bombe, précipitant le passager au fond du siège en cuir.

Rameau soupira, mais faiblement.

— Où on va ? cria la femme dans le rugissement soudain assourdissant des chevaux déchaînés.

— Tout droit, hurla-t-il.

— Où ça ?

Une cocotte-minute leur fonçait dessus, juste dans l’axe du long capot félin. Le flic dedans gesticulait comme un sémaphore pris de folie.

— À gauche, à gauche. À GAUCHE, fit Rameau en se couvrant les yeux de la main.

La bombe partit de travers. Son cul carré frôla l’objet, le flic en bleu frôla l’apoplexie et Rameau l’aperçut un court instant entre ses doigts disjoints, qui s’étreignait à pleine main la poche de poitrine gauche de la vareuse d’uniforme.

— Mmmmf, fit-il.

— C’est vous qui m’aviez dit tout droit, observa Cul de Plomb non sans aigreur. C’est vous qui m’avez induite en erreur, gnome infect.

— Direction, chez Sammy, articula le policier.

Il donnait l’impression d’avoir eu les cordes vocales passées à la brosse métallique.

* * *

— C’est pas toi, Sammy ?

— Je suis un respectable homme d’affaires. Ces soupçons gratuits ne grandissent d’ailleurs pas ceux-là même qui les nourrissent. Il se trouve que vos amis de l'anti-terroriste sortent d’ici à l’instant et je me suis évertué…