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Ahmed Crown Niger haussa les sourcils.

— Elle est vivante. Elle souffre de rose faciale aiguë, et ses poumons et ses yeux auront besoin d’un peu de chirurgie. Mais ce n’est pas cela qui m’amène. En vertu du code de district légal, vous êtes tous accusés de violation de propriété privée et de sabotage.

— Qu’est-il arrivé aux autres ? demandai-je.

Il m’ignora.

— Ces charges sont sérieuses, continua-t-il. Vous allez avoir besoin d’avocats. Bon Dieu ! aboya-t-il soudain en se tournant vers le sympathisant. Vous ne pourriez pas leur donner des vêtements ?

Lorsqu’il nous fit de nouveau face, il avait retrouvé son sourire charmeur.

— C’est dur de parler de leurs droits aux gens quand ils sont tout nus, expliqua-t-il.

Trente hommes et femmes armés, autant de représentants des Lit-Vids, la chancelière Connor et le gouverneur Dauble en personne se tenaient dans le grand réfectoire. Connor, Dauble et leur entourage étaient à bonne distance des étudiants récalcitrants. Nous étions en peignoir de bain près des entrées de service, les vingt-huit qui étions montés à la surface avec Gretyl et Sean. Nous étions des criminels pris sur le fait en plein sabotage. Ceux qui étaient restés derrière sous les dômes retranchés avaient également été capturés. Dauble et Connor s’apprêtaient à célébrer leur victoire dans les LitVids à travers la Triade tout entière.

Les Meds de la Presse antique, comme disait mon père. Toutes ces hordes de journalistes des LitVids semblaient surgir du sol dès que quelque chose sentait mauvais. Sur Mars, les reporters étaient coriaces. Ils apprenaient tôt à desserrer les lèvres des familles des MA. Dix des plus hardis – dont plusieurs m’étaient familiers – entouraient avec leurs arbeiters le groupe d’étatistes, enregistrant tout ce qu’ils voyaient et entendaient, leurs images triées et retransmises à chaud aux satcoms.

Diane faisait partie du groupe qui se trouvait à l’autre extrémité de la salle. Elle me fit un signe discret. Je ne voyais pas Sean. Charles était à cinq ou six mètres de moi dans le même groupe. Il paraissait sain et sauf. Quand il me vit, il inclina la tête. Plusieurs membres de son groupe portaient des traces de coups. Certains avaient un membre fracturé. Trois arboraient des plâtres bleus.

Nous ne disions pas un mot. Nous avions la tête basse et l’air misérable. Nous étions les pauvres victimes de l’oppression étatiste.

Dauble s’avança, flanquée de deux de ses conseillers. Un micro lui entourait l’épaule comme un fin serpent.

— Mes amis, cette histoire est allée trop loin. La chancelière Connor a eu la courtoisie de fournir aux familles de ces étudiants…

— Étudiants vidés ! hurla Oliver Peskin non loin de moi.

D’autres reprirent son cri. En chœur, nous hurlâmes :

— Droits contractuels ! Obligations !

Dauble nous écouta, les traits figés en une expression de désapprobation bienveillante. Les cris moururent.

— De fournir à leurs familles toutes les informations voulues sur les raisons de leur arrestation sous l’inculpation de sabotage et sur le lieu de leur détention, acheva-t-elle.

— Où est Gretyl ? hurlai-je, à peine consciente d’avoir ouvert la bouche.

— Où est Sean ? cria quelqu’un d’autre. Où sont Sean et Gretyl ?

— Les avocats de leurs familles sont en route par la voie aérienne. La liaison par train a été coupée par ces étudiants, et nos liaisons satellites sur large bande sont gravement affectées. Ces actes de sabotage…

— Vidage illégal ! glapit un autre étudiant.

— Constituent de lourdes infractions en vertu du code de district et de la nouvelle réglementation de l’État Unifié de Mars.

— Où sont Sean et Gretyl ? hurla Oliver, les cheveux en bataille, la main levée, doigts écartés.

Des gardes s’avancèrent vers lui en nous bousculant sans ménagement. Ils le saisirent par les bras. Connor fit un pas en avant et leva la main. Ahmed Crown Niger ordonna aux gardes de le lâcher. Oliver se dégagea d’un mouvement d’épaule et se retourna pour nous sourire triomphalement.

Toute cette confusion semblait laisser Dauble indifférente.

— Les auteurs de ces actes seront poursuivis avec toute la rigueur de la loi, déclara-t-elle.

— Où sont Sean et Gretyl ? hurlèrent de nouveau plusieurs étudiants.

— Sean est mort ! Gretyl est morte ! s’écria une voix aiguë et éraillée.

L’effet sur nous fut immédiat. Nous fûmes électrisés.

— Qui nous dira la vérité ? Qui la connaît ? crièrent plusieurs voix.

Un mouvement de foule agita les étudiants contenus par les gardes.

— Personne n’est mort, déclara Dauble, soudain moins assurée.

— Qu’on nous montre Sean !

Dauble alla échanger quelques mots avec ses conseillers, puis revint nous faire face.

— Sean Dickinson est à l’infirmerie de l’université. Il souffre de blessures auto-infligées. Nous faisons tout notre possible pour qu’il se rétablisse rapidement. Gretyl Laughton est également hospitalisée après s’être volontairement exposée à l’atmosphère.

Les journalistes n’étaient pas au courant. Leur intérêt s’éveilla immédiatement. Tous les regards se tournèrent vers Dauble.

— Comment les étudiants ont-ils été blessés ? demanda une journaliste en pointant son micro sur elle.

— Ce ne sont que des blessures mineures.

— Infligées par les gardes ?

— Non, intervint Connor.

— Est-il vrai que les gardes étaient armés depuis le début ? Même avant les sabotages ? demanda un autre journaliste.

— Nous redoutions des violences, répondit Dauble. Ces étudiants nous ont donné raison.

— Mais les gardes ne font pas partie des forces de police autorisées à porter des armes. Comment justifiez-vous cela en vertu de la charte de district ?

— Justifiez tout le reste ! cria Diane.

— Je ne comprends pas très bien votre attitude, nous dit Dauble au bout de quelques instants de réflexion sous le regard des caméras LitVids en direct. Vous sabotez des installations vitales…

— C’est faux ! cria un étudiant.

— Vous enfreignez tous les règlements de cette université, et vous avez maintenant recours, en désespoir de cause, au suicide. Quel genre de Martiens êtes-vous donc ? Vos parents approuvent-ils ces actes de traîtrise et de lâcheté ?

Les traits de Dauble se tordirent en une expression à mi-chemin entre l’exaspération et la sollicitude parentales.

— Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? Par qui avez-vous été élevés ? Par des bandits ?

La réunion prit brutalement fin. Dauble et son entourage se retirèrent, suivis par les journalistes. Lorsque certains d’entre eux essayèrent de nous parler, ils furent éjectés sans cérémonie du réfectoire.

Très maladroit et stupide de leur part, ça, me dis-je.

La faim me rendait un peu faible. Nous n’avions rien pris depuis vingt-quatre heures. Le personnel de l’université, mal à l’aise, nous apporta des bols de pâte instantanée sur des plateaux. Ces nanos nutritives n’avaient aucune saveur, mais nous firent l’effet d’une manne céleste. On nous avait distribué des nattes et des couvertures. Les vents, paraît-il, s’étaient levés, et les nuages de poussière empêchaient les navettes d’atterrir ou de décoller. Ni avocats ni parents n’avaient encore pu venir nous voir.

Nous avions été répartis en nouveaux groupes de six, chacun sous la responsabilité de deux gardes. Ils nous empêchaient de communiquer d’un groupe à l’autre et nous forcèrent tant et si bien à nous éloigner les uns des autres que nous occupâmes bientôt tout le réfectoire. Oliver, considéré comme une forte tête activiste, faisait partie en même temps que Diane d’un groupe de prétendus meneurs. Charles était dans un autre groupe à une vingtaine de mètres du mien.