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Comme si nous nous rencontrions pour la première fois, nous nous regardâmes tous les cinq, en faisant les présentations lorsque c’était nécessaire. Nous ne nous connaissions que vaguement. Il y avait Felicia Overgard, qui fréquentait la même école que moi quand nous étions petites. Elle avait un an de moins et était deux classes derrière moi. Je ne connaissais pas bien Oliver Peskin, qui me précédait d’une année et faisait des études d’agro. Quant à Tom Callin et Chao Ming Jung, je les avais vus pour la première fois dans le dôme retranché.

Le petit garde détourna les yeux. C’était quelqu’un de bizarre. Il nous menaçait d’un pistolet à fléchettes mais avait honte de nous voir nus. Il indiqua les sacs à vapeur dans la salle de toilette.

— Je ne sais pas si vous avez des poux, dit-il, mais vous ne sentez pas la rose.

Les sacs à vapeur n’avaient pas été rechargés ni filtrés depuis un bon moment, et la douche n’améliora pas beaucoup notre odeur. L’eau ne suffisait pas à nous débarrasser du sable collant. Nous étions tous couverts de plaques roses ou orangées. Demain, nous aurions de vilaines marques partout.

Trois heures passèrent, sans que nous ayons appris grand-chose. Les gardes restaient en combinaison pour éviter la poussière. Ils avaient retiré toute marque distinctive et refusaient de nous dire leurs noms. Le sympathisant étatiste devenait de plus en plus sombre à mesure que les heures passaient. Puis il se mit à tripoter nerveusement son fusil. Il fit mine, en sifflotant, de le démonter puis de le réassembler. Finalement, son ardoise bourdonna et il répondit.

Après quelques grognements d’assentiment, il fit sortir sa collègue de la chambre. Je me demandais ce qu’ils allaient faire quand elle serait partie.

Ils n’étaient quand même pas stupides à ce point.

Avec mes camarades, nous échangeâmes quelques mots à voix basse. Nous n’avions plus aussi peur. Nous ne pensions plus que nous allions être exécutés sommairement. Mais le sentiment d’isolement que nous éprouvions maintenant devenait insupportable. Transis de froid, nous retombâmes dans le silence.

Le chauffage était réglé au minimum, et nous n’avions toujours pas de vêtements. Les trois garçons en souffraient plus que Felicia et moi.

— Il fait froid, ici, dis-je au sympathisant.

Il semblait d’accord, mais ne fit rien.

— Assez froid pour nous rendre malades, renchérit Oliver.

— C’est vrai, fit le sympathisant.

— Il faudrait leur trouver quelque chose à se mettre, déclara le Caribéen.

— Non, refusa le sympathisant.

— Pourquoi ? demanda Chao.

Felicia avait renoncé à se couvrir avec ses mains.

— Vous nous avez causé pas mal d’ennuis. Pourquoi vous ferions-nous une faveur ?

— Ce sont des êtres humains, mon vieux, lui dit le Caribéen.

Il n’était pas très vieux, douze ou treize ans au maximum. Sans doute venait-il d’immigrer. Son accent antillais était encore très fort.

Le sympathisant secoua la tête en plissant les yeux d’un air hésitant.

C’est gagné, me dis-je. Avec des rigolos pareils, les étatistes n’ont pas une seule chance. Mais je n’étais pas tout à fait convaincue.

Nous passâmes dix heures dans ce dortoir, nus et transis, à nous gratter frénétiquement.

Je dormis un peu et rêvai d’arbres si hauts qu’ils n’entraient sous aucun dôme. Ils plongeaient leurs racines, sans protection, dans le sol rouge de Mars. C’étaient les séquoias des sables gluants, hauts de plus de cent mètres, et ils étaient entretenus par des enfants nus. J’avais déjà fait ce rêve. Il me donnait un immense sentiment de bien-être. Puis je me rappelai que j’étais prisonnière.

Le Caribéen me toucha l’épaule. Je roulai de côté sur le mince tapis de sol. Il détourna les yeux devant ma nudité et serra les lèvres.

— Je voulais que vous sachiez une chose, me dit-il. Je ne pense pas tout à fait comme eux. Dans mon cœur, je suis un vrai Martien. C’est mon premier poste ici, vous comprenez ?

Je regardai autour de moi. Le sympathisant n’était pas là.

— Trouvez-nous des vêtements, lui dis-je.

— Vous avez fait sauter les voies. Ces gens-là ne sont pas contents du tout. Je vous dis ça pour que vous ne pensiez pas que je marche avec eux quand ça va chier. Ils n’arrêtent pas d’aller et venir dans les galeries. Je crois qu’ils sont morts de trouille.

De quoi pouvaient-ils avoir peur ? Les LitVids s’étaient-ils emparés du cas de Gretyl – qu’elle soit blessée ou morte – pour grossir notre cause ?

— Pouvez-vous faire parvenir un message à mes parents ?

— L’autre, Rick, est parti, fit le Caribéen en secouant la tête. Il est allé retrouver les autres. Je suis tout seul ici.

— Qu’est-il arrivé à Gretyl ?

Il secoua de nouveau la tête.

— J’ai pas entendu parler d’elle. Le peu que j’ai vu, ça m’a rendu malade. Tout le monde est dingue, ici. Pourquoi elle a fait ça ?

— Pour prouver quelque chose.

— Et ça valait la peine de risquer sa vie ? fit le Caribéen en fronçant les sourcils. Tout ça, c’est de la petite histoire. Personne n’est important. Sur la Terre…

Le sang me monta à la tête.

— Écoutez, nous ne sommes ici que depuis un siècle terrestre, et je sais que notre histoire n’est rien, comparée à celle de la Terre, mais vous êtes un Martien, à présent, ne l’oubliez pas. Il s’agit d’une affaire de corruption et de magouilles politiques. Si vous voulez mon avis, ils marchent la main dans la main avec la Terre. Allez tous au diable !

Tu as vraiment l’air engagée, me dis-je. Quelques mauvais traitements pouvaient réaliser des merveilles.

J’avais réveillé les autres en élevant la voix. Felicia se redressa.

— Il n’a pas d’arme, fit-elle observer.

Oliver et Chao se mirent précautionneusement debout et s’époussetèrent les fesses, les muscles tendus, comme s’ils envisageaient de sauter sur le type.

Le Caribéen prit un air encore plus abject et misérable.

— Ne faites pas de connerie, dit-il, les bras écartés, la tête ballante.

La porte s’ouvrit à ce moment-là. Le sympathisant entra. Le Caribéen et lui échangèrent des regards. Le Caribéen secoua la tête en murmurant :

— Oh, putain.

Derrière le sympathisant entra un type aux cheveux noirs coupés court, vêtu d’une luxueuse redingote verte, serrée à la taille, dernier cri.

— Nous sommes détenus ici contre notre gré, accusa immédiatement Oliver.

— En état d’arrestation, fit l’homme à la redingote verte d’une voix joviale.

— Depuis plus de vingt-quatre heures. Nous exigeons d’être relâchés, insista Oliver en croisant les bras.

L’homme à la redingote sourit devant tant de présomption littéralement sans voile.

— Je m’appelle Ahmed Crown Niger, nous dit-il avec un accent pointu martien qui voulait imiter celui de la Terre et que l’on entendait rarement dans les MA. (Je présumai qu’il venait de Lal Qila ou d’une autre station indépendante du même genre. C’était peut-être un musulman.) Je représente les intérêts de l’État dans cette université, poursuivit-il. Je passe de salle en salle pour relever vos noms. J’ai besoin des coordonnées de votre famille et de votre MA. Il me faut aussi le nom de la personne que vous souhaitez contacter dans l’heure qui vient.

— Qu’est devenue Gretyl ? demandai-je.