Выбрать главу

— Tout ça est très soudain, dit-il.

— Mais c’est le moment que vous avez attendu toute votre vie, dit Sajaki, élevant le ton. Ne me dites pas que vous hésitez à le saisir, que vous avez peur de ce que vous pourriez trouver.

Sylveste savait qu’il devait prendre une décision avant d’être pénétré par l’absolue étrangeté de cet instant.

— Où pourrions-nous nous retrouver ?

— Hors du bâtiment, répondit Sajaki, avant de lui expliquer qu’ils ne pouvaient courir le risque de se retrouver à l’intérieur, Sajaki ne tenant pas à tomber sur Volyova, sur Khouri, ou même sur la femme de Sylveste. Ils me croient toujours malade, ajouta Sajaki en frottant la membrane qui entourait son poignet blessé. Mais s’ils me trouvent hors de la clinique, ils me feront ce qu’ils ont fait à Hegazi. Alors que, d’ici, je peux arriver à un scaphandre en quelques minutes, sans entrer dans les zones du bâtiment encore capables de repérer ma présence.

— Et moi ?

— Allez jusqu’au plus proche ascenseur. Je ferai en sorte qu’il vous mène à votre scaphandre. Vous n’aurez rien à faire. Le scaphandre s’occupera de tout.

— Sajaki, je…

— Soyez dehors d’ici dix minutes. Votre scaphandre vous emmènera jusqu’à moi. Et je vous recommande d’éviter de réveiller votre femme, ajouta-t-il avec un sourire avant de couper la communication.

Sajaki tint parole : l’ascenseur et le scaphandre savaient exactement où Sylveste devait aller. Il ne rencontra personne en cours de route, et personne n’intervint alors que le scaphandre prenait ses mesures, s’ajustait et l’entourait affectueusement.

Rien n’indiquait que le vaisseau ait seulement remarqué l’ouverture du sas ; et encore moins que Sylveste sortait dans le vide de l’espace.

Volyova fut réveillée en sursaut, tirée de rêves monochromes d’armées d’insectes en furie.

Khouri tapait sur sa porte en poussant des cris, mais Volyova était trop vaseuse pour comprendre ce qu’elle disait. Lorsqu’elle lui ouvrit enfin, elle se retrouva devant le canon de l’arme à plasma gainée de cuir. Khouri hésita une fraction de seconde avant de l’abaisser, comme si elle n’était pas sûre de ce qui l’attendait derrière la porte.

— Qu’y a-t-il ? demanda Volyova.

— C’est Pascale, répondit Khouri, la sueur perlant sur son front, formant des taches graisseuses autour de la crosse de l’arme. Quand elle s’est réveillée, Sylveste n’était plus là.

— Plus là ?

— Il a laissé quelque chose. Elle est assez fumasse, mais elle tenait à ce que je vous le montre.

Khouri laissa peser son arme au bout de sa courroie et pêcha une feuille de papier dans sa poche.

Volyova se frotta les yeux et prit le papier. Le contact tactile activa le message enregistré, et le visage de Sylveste apparut, sombrement découpé sur un fond d’oiseaux entrelacés.

« Je t’ai menti, j’en ai peur, fit le bourdonnement de sa voix montant de la feuille. Je te demande pardon, Pascale. Je comprendrais que tu me détestes, mais j’espère que tu n’en feras rien ; pas après ce que nous avons traversé. Tu m’avais fait promettre de ne pas entrer dans Cerbère, ajouta-t-il d’une voix très basse. Mais je vais y aller, et le temps que tu lises ceci, je serai parti, et beaucoup trop loin pour que vous m’arrêtiez. Je n’ai pas de justification à te fournir, si ce n’est que je dois le faire, et je pense que tu as toujours su que je le ferais, si nous arrivions à nous en approcher suffisamment… (Il s’interrompit, soit pour reprendre son souffle, soit pour réfléchir à ce qu’il allait dire ensuite.) Pascale, tu es seule à avoir deviné ce qui s’était vraiment passé du côté du Voile de Lascaille. Je t’admire vraiment, tu sais. C’est pour ça que je n’ai pas eu peur de t’avouer la vérité. Je te le jure, je t’ai dit ce que je croyais être la vérité ; ce n’était pas un mensonge de plus. Mais cette femme – Khouri – dit qu’elle a été envoyée pour me tuer par quelqu’un qui aurait pu être Karine Lefèvre. »

Le papier respecta un long instant de silence. Puis :

« J’ai réagi comme si je n’en croyais pas un mot, Pascale, et je n’y ai peut-être pas cru sur le coup. Mais il faut que j’apporte le repos à ces fantômes ; je dois me convaincre que rien de tout ça n’a de rapport avec ce qui s’est passé autour du Voile.

« Tu comprends ça, n’est-ce pas ? Il faut que j’effectue cette dernière démarche, pour faire taire ces fantômes. Je dois peut-être des remerciements à Khouri pour ça. Elle m’a donné une raison d’agir, même si je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie à l’idée de ce qui m’attend. Je ne crois pas qu’elle ou aucun d’entre eux soient mauvais. Et toi non plus, Pascale. Je sais que tu étais convaincue de ce qu’ils t’ont dit, mais ce n’était pas ta faute. Tu as essayé de me dissuader parce que tu m’aimes. Et ce que je faisais – ce que j’allais faire – me faisait d’autant plus de mal que j’avais bien conscience de trahir cet amour.

« Est-ce que ça a un sens pour toi ? Et pourras-tu me pardonner quand je reviendrai ? Ce ne sera pas long, Pascale – pas plus de cinq jours ; peut-être beaucoup moins… (Il marqua une dernière pause et ajouta, en manière de post-scriptum :) J’emmène Calvin avec moi. Il est en moi, à la minute où je te parle. Je ne te mentirai pas : nous sommes arrivés, tous les deux, à un nouvel… équilibre. Je pense qu’il s’est révélé précieux pour moi. »

Sur ces mots, l’image se brouilla et ce fut comme s’il n’y avait jamais rien eu sur le papier.

— Vous savez, dit Khouri, il m’est arrivé, par moments, de le trouver presque sympathique. Mais là, je crois qu’il a pété les plombs.

— Vous dites que Pascale l’a mal pris.

— Mettez-vous à sa place.

— Bah, ça dépend ; il a peut-être raison : elle devait savoir qu’il en arriverait là. Elle aurait mieux fait de réfléchir avant d’épouser ce svinoï.

— Vous pensez qu’il est loin ?

Volyova regarda à nouveau le papier comme si elle espérait trouver, dans ses plis, une dernière information.

— Il a dû être aidé. Nous n’étions pas beaucoup à pouvoir lui apporter notre concours. Il n’y avait plus personne, en réalité, si on exclut Sajaki.

— Nous n’aurions peut-être pas dû l’exclure. Peut-être que ses droggs l’ont guéri plus vite que nous ne pensions.

— Non, répondit Volyova. (Elle tapota sur son bracelet magique.) Je sais où se trouve à tout moment chacun des membres du Triumvirat. Hegazi est toujours dans le sas, et Sajaki à l’infirmerie.

— Ça vous ennuierait que nous vérifiions, juste au cas où ?

Volyova attrapa des vêtements assez chauds pour lui permettre d’aller dans n’importe quelle partie pressurisée du vaisseau sans se retrouver en hypothermie. Elle glissa le lance-aiguilles dans sa ceinture et passa en bandoulière le lourd fusil d’ordonnance que Khouri lui avait rapporté de l’armothèque. C’était un lance-projectiles hyper-performant qui datait du vingt-troisième siècle. Un produit de la première Demarchie européenne, gainé de néoprène noir, aux formes organiques, et qui se tenait à deux mains. Des dragons chinois or et argent, aux yeux de rubis, ornaient ses flancs.

— Pas le moins du monde, répondit-elle.

Ils arrivèrent au sas où Hegazi avait dû les attendre pendant tout ce temps sans rien faire, sinon contempler son propre reflet sur les murs d’acier patiné de la pièce. C’était du moins ce que Volyova imaginait, dans les rares moments où elle lui accordait une pensée. Elle ne le haïssait pas vraiment, elle ne le détestait même pas particulièrement. Il était trop faible pour ça ; trop manifestement incapable de vivre ailleurs que dans l’ombre de Sajaki.