Выбрать главу

Corcel m’avait promis le secret au sujet de la deux-chevaux et j’allai la remiser dans le garage qu’il louait dans une villa inhabitée.

Brigitte vint au-devant de moi.

— Tu étais allé te promener ?

— Oui… J’ai marché le long de la mer.

La petite garce souriait tendrement. Agathe sortit de sa cuisine. Son visage était aimable.

— Nous nous sommes bien tenues, Jean-Marc. Brigitte n’a pris que de la menthe à l’eau. Méfiez-vous, ça rend amoureux !

Deux complices. Voilà ce que j’avais fait. J’avalai la couleuvre et souris à mon tour.

— On mange ?

Le comble, c’est qu’Agathe nous offrit le Champagne. Et elle invita Corcel. Et ce fut une excellente soirée où on raconta de bonnes blagues un peu osées, et où Brigitte commença de raconter ses souvenirs. Il a fallu que je l’interrompe gentiment et l’entraîne vers notre chambre.

Là, son enthousiasme ne tomba pas immédiatement.

— Quelle chic fille, hein ? Quand je pense que nous pourrions être à Toulouse.

Stoïque, je fis chorus. Mais c’est avec dégoût que je fis l’amour avec une femme que les attouchements discrets de monsieur Henri avaient survoltée.

Le lendemain, les deux nouvelles amies restèrent à la maison. La journée se passa de façon excellente. Brigitte tricota une bonne partie du pull-over.

Deux jours plus tard, elles partaient pour Sète. À nouveau, j’empruntai la deux-chevaux de Corcel. Il faisait très beau et presque chaud.

Cette fois, elles ne firent pas d’achats mais se dirigèrent immédiatement vers un établissement à l’entrée de la ville, La Vigie. C’était un restaurant-boîte de nuit, avec plage privée en été.

J’ai vu arriver mes deux « amis » Fred et Henri dans une jolie D.S. corail et ivoire. Décidément, ils se rencontraient souvent. Henri devait beaucoup miser sur l’anatomie rondelette de mon amie. J’éprouve, en me rappelant ces faits, une sorte d’ironie mais, à cette époque-là, je piquais d’affreuses crises de rage solitaire.

Au culot, je suis entré dans le bar. J’étais certain qu’ils étaient sur la terrasse. Ils ne pouvaient me voir et j’ai bu une bière à la sauvette. Henri se penchait tendrement sur Brigitte et lui murmurait je ne sais quoi. Un tourne-disque diffusait des airs tendres. Ils buvaient des scotches à l’eau. Le barman prépara une seconde tournée devant moi.

Cette fois, je suis rentré bien avant elles.

Et le soir, la même comédie s’est déroulée devant un homme aux yeux froids et aux sourires crispés. Champagne en moins évidemment. Mais une fois au lit, j’ai fait semblant de m’endormir immédiatement malgré les soupirs de Brigitte.

Pendant une semaine, elles sont allées une fois à Béziers, une fois à Sète et une fois à Agde. Je les ai suivies chaque fois. Mais je ne suis pas retourné jouer au poker avec M. Henri.

Au bout de cette semaine-là, Agathe m’a demandé ce que j’avais. Elle me trouvait une sale tête.

— Vous êtes certain de ne pas être malade ?

Avec un humour féroce, j’ai répondu :

— Peut-être que Brigitte m’empoisonne lentement à l’arsenic.

Pour détruire sa sérénité, il fallait bien autre chose.

— Pourtant, l’air de la mer en hiver devrait vous faire le plus grand bien. Et aussi le repos.

Nous étions seuls sur la terrasse. Elle portait un gros pull-over qui moulait sa poitrine et un pantalon. Sa féminité était plus sobre que celle de Brigitte, mais avec un élément pervers.

— C’est Brigitte qui vous fatigue ? demanda-t-elle d’un ton moqueur. Mais l’ironie cachait une certaine curiosité malsaine.

— Jalouse ?

— Peut-être… Le veuvage est une bien dure épreuve.

Ce cynisme volontaire entre nous finissait par me plaire. Il nous faisait presque complices et je me demande encore si, lorsque je les voyais ensemble, elle et Brigitte, je n’étais pas envieux de leur intimité.

Ce jour-là, je compris nettement que je désirais Agathe. Je m’empressai de cacher au plus profond de moi ce sentiment. Pourtant, j’aurais voulus aller jusqu’au bout de la haine, jusqu’à sa possession charnelle.

Nous étions à la mi-décembre. Les événements devaient se précipiter.

Et j’eus la preuve que mon propre machiavélisme n’était rien à côté de celui de cette femme.

Le vingt-quatre décembre…

CHAPITRE VI

Entre la veille de Noël et le premier janvier, chaque année, Agathe organisait une série de réveillons qui avaient beaucoup de succès dans la région. Les chambres étaient retenues à l’avance et l’établissement, pendant quelques jours, fonctionnait à plein rendement avant la fermeture de janvier et février.

Pour l’occasion, elle engageait le petit ensemble de l’été renforcé d’un saxophone. J’étais d’accord pour me mettre au piano.

Le premier incident fut provoqué par Brigitte. À quelques jours de là, elle m’annonça qu’elle chanterait. Je n’y voyais aucun inconvénient.

— Je pourrais aussi faire un ou deux numéros de strip. Je sais que cela ferait plaisir à Agathe.

J’ai bondi.

— Je te le défends !

Tout de suite elle s’est rebiffée.

— De quel droit ? Agathe fait beaucoup de choses pour nous et c’est une façon de lui montrer que nous ne sommes pas des ingrats.

— En te foutant à poil ! ai-je ricané. Drôle de façon en effet.

Sèchement, elle m’a demandé.

— Tu ne veux pas ?

— Non.

— Eh bien, n’en parlons plus.

Je ne la reconnaissais pas. J’aurais dû la prendre dans mes bras, lui demander pour quoi elle avait changé. Mais mon amour-propre s’y opposa. J’aurais dû même boucler les valises, la prendre par le bras et foutre le camp. Ce n’était pas l’envie qui m’en manquait, mais j’imaginais le triomphe d’Agathe Barnier.

Le premier réveillon fut celui du vingt-quatre décembre évidemment. À partir de neuf heures du soir, la salle était pleine et l’atmosphère s’échauffa vite. À minuit, il régnait une folle ambiance. Des flots de serpentins coulaient des lumières et, tout autour de l’orchestre, formaient une tonnelle au milieu de laquelle nous nous trouvions. Nous jouions sans arrêt et la sueur coulait de nos fronts. Nous étions en chemise blanche.

De temps en temps, Brigitte venait brailler une chanson entraînante que toute la salle reprenait en hurlant. Puis elle disparaissait dans le fond, et je supposais qu’elle aidait Agathe à la cuisine. Les trois serveuses habituelles étaient mobilisées, de même que Paul le barman. De son bar, il m’adressait de brefs regards scrutateurs et ce type commençait à me taper sur les nerfs.

Toutes les heures, il nous apportait de quoi nous rafraîchir, surtout de la bière ou des jus de fruits. À minuit, il se faufila jusqu’à moi.

— Ça va ?

— Bien, fis-je sèchement.

— J’ai vu que votre amie était en pleine forme.

— Comment le savez-vous ? Elle ne fait pas de strip-tease ce soir.

Il a mis du temps pour comprendre ma lourde plaisanterie, puis s’est esclaffé.

— Oui, bien sûr, elle est trop occupée. Tout de suite, je n’ai pas fait attention à ces paroles. Je la savais avec Agathe. Il devait y avoir beaucoup de travail à la cuisine. Puisque que ça lui faisait plaisir de se rendre utile, je la laissais faire.

À partir de minuit, on commença de servir à manger. Un peu de calme s’établit, mais il ne dura guère. Les gens avaient déjà trop bu pour rester tranquilles. Une des serveuses, nous apporta des sandwiches. Cette fille m’avait toujours fait comprendre qu’elle me trouvait à son goût. Nous avons bavardé amicalement pendant un court entracte.