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— C’est demain que nous nous séparons ? m’a-t-elle demandé avec un sourire aimable.

Je n’ai pas répondu et me suis contenté de sourire.

— Nous réglerons nos comptes tout à l’heure. Venez jusqu’à mon bureau à cinq heures.

J’inclinai la tête. Brigitte qui lisait dans un coin se leva et vint me rejoindre.

— Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Que c’était ce soir que nous réglions nos comptes.

Je jouais doucement. Brigitte a joint les mains dans un geste que je jugeais mélodramatique.

— C’est de la folie !… Tu sais, je crois qu’il sera temps de répondre à Santy que nous acceptons.

Je continuais de sourire.

— En lui expliquant que sa lettre ne nous est pas parvenue tout de suite.

— Inutile !

Cette fois, elle a compris vite. Son visage a exprimé une rage animale avant de se transformer en masque douloureux.

— Tu as fait ça ?

— Oui.

— Quand ?

— Le soir-même où nous avons reçu sa lettre. La mienne est partie grâce à l’obligeance d’une des serveuses qui rentrait au village.

— Jean-Marc ?

Je l’ai regardée. Deux larmes brillaient dans ses yeux et elle m’a fait énormément de peine. Il y avait des moments où je découvrais combien elle m’était chère.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne voulais aucune porte de sortie. Quand le loup ou le sanglier est acculé, il fait front et se défend. C’est ce que je voulais.

— Déjà la chambre ?

— La chambre, puis le travail. Santy comprendra qu’il est inutile d’insister ou de nous proposer autre chose.

— Tu l’auras vexé.

— J’ai été sec. C’est tout.

Soudain, elle s’est éloignée vers le bar. Pour me faire de la peine, elle a commandé un alcool. Un cognac ou un armagnac. J’ai simplement entendu le « gnac » rageur. Elle l’a bu d’un trait, en a exigé un autre. Dans la ceinture de sa robe, elle a pris un billet de mille et l’a posé sur le comptoir.

À cinq heures, je tapais à la porte du bureau d’Agathe Barnier.

Elle faisait semblant de compulser des papiers et m’a fait asseoir en me demandant quelques secondes. Je n’étais pas dupe. De mon fauteuil très bas, je voyais ses jambes, fort belles, sous la table de travail.

— Bien. Alors, monsieur Sauvel, votre contrat se termine ce soir. Vous partez demain ?

J’ai hoché la tête, ce qui ne voulait rien dire. Elle a continué.

— Trente-et-un jours à huit mille francs, cela fait deux cent quarante-huit mille francs.

Son sourire se figea.

— Mais je ne vous donnerai que deux cent quarante mille. Un soir, votre femme n’a pu faire son numéro de déshabillage et de plus elle est trop fréquemment au bar. Paul a des faiblesses pour elle. Je suis obligée d’avoir l’œil partout.

Cette mesquinerie me facilitait bien la besogne.

— Je vous fais un chèque bancaire, postal, ou je vous donne cette somme ?

— Je préfère l’argent.

Elle a ouvert un tiroir et en a sorti une liasse. Je l’ai comptée avec soin, tout y était.

— Vous avez un autre engagement ? a-t-elle demandé avec une certaine miellosité.

C’est alors que je l’ai regardée bien en face en souriant.

— Non.

— Vous en espérez un ?

— Pas du tout. J’en ai refusé encore un vendredi.

Ses sourcils se froncèrent.

— Vous prenez des vacances ?

— Oui, c’est quelque chose comme ça.

— Midi ? Montagne ?

— Ici !

Elle allait embraser une cigarette mais oublia de le faire et la flamme la brûla.

— Chez vous.

Agathe sourit.

— Vous voulez prendre pension ? Vous connaissez le tarif pour septembre ? Dix-huit cents. Je vous ferai un prix si vous restez le mois.

Moi aussi j’ai allumé une cigarette mais sans trembler.

— Gratis ! ai-je lâché.

— Comment ?

J’ai pris l’air agacé.

— Nous restons gratis. Et pour plus d’un mois. Peut-être pour des années.

Elle aussi me prit pour un fou. J’ajoutai très vite :

— Parce que je pourrais bien vous dénoncer. Je n’en ai pas envie. Vous non plus ? Je le comprends fort bien. Avoir assassiné son mari aussi habilement et se voir découverte ? Quelle déception !

CHAPITRE III

Agathe Barnier a tendu la main vers la porte.

— Vous avez votre argent. Je vous donne une heure pour quitter mon établissement.

— Vous feriez mieux de m’écouter durant cinq minutes. Si, au bout de ce laps de temps, vous persistez à me faire quitter les lieux, les circonstances pourront en être graves pour vous.

C’est une femme de tête. Elle a réfléchi quelques secondes et je crois que la curiosité l’a finalement emporté.

— Je vous écoute.

J’ai quitté le fauteuil pour une chaise. Je n’aime pas me trouver assis plus bas que mon interlocuteur.

— Dans le pays, tout le monde sait que depuis longtemps vous trompiez votre mari et que vous attendiez sa mort avec impatience. Je fais erreur ?

Elle n’a pas essayé d’ergoter.

— Non.

— Vous êtes franche. Donc, personne ne serait étonné si vous étiez accusée de l’avoir assassiné. Vous avez mauvais caractère. Vous vous êtes attiré des inimitiés terribles, Pire, certaines personnes vous haïssent. Il y a deux mois que je suis à votre service, et j’ai eu le temps de faire ma petite enquête.

Elle alluma une cigarette au bout de l’autre qu’elle écrasa avec soin.

— C’est votre cas ?

Cette question me fut posée avec une sorte d’avidité.

— Non. Je me méfie de vous, simplement, et à partir de cet instant plus que jamais.

— Je ne vois pas comment vous pouvez me charger d’un crime que je n’ai pas commis.

Je me contentai de murmurer :

— En êtes-vous vraiment certaine ?

Cette fois, je l’inquiétais.

— Vous savez bien que mon mari est mort d’une cirrhose avec hémorragie interne ?

— Il pouvait encore vivre des mois. Peut-être des années.

— Allons donc, le docteur attendait la fin d’une journée à l’autre et s’étonnait de sa résistance.

Je triomphai.

— Voilà… Il s’étonnait de sa résistance, seulement dans la nuit du vingt-et-un juillet votre mari est mort. Voulez-vous que je vous dise pourquoi ?

Elle avait beau hausser les épaules, je savais que j’avais accroché son attention, sa méfiance. Déjà elle aiguisait ses propres armes pour la riposte.

— Parce que vous l’avez empoisonné, et que si jamais on ordonnait l’autopsie, on découvrirait que son organisme était bourré d’arsenic. Vous savez que des années durant ; on peut en retrouver les traces ? Jusque dans les cheveux et même dans les cendres s’il vous prenait l’envie de le faire incinérer. Ne me dites pas que la terre contient toujours une certaine quantité de ce poison. Cela ne tient pas dans le cas de votre mari. Puisqu’il repose dans un caveau scellé.

Plus tard, je devais me rendre compte qu’elle était d’une intelligence supérieure. Elle m’en donna une preuve immédiate en comprenant ce qui avait pu se passer.

— C’est vous ?

— Évidemment.

— Comment avez-vous fait ?

— La garde-malade rentrait chaque soir à huit heures au village. Votre mari avait des nuits relativement calmes, et comme son état paraissait se prolonger indéfiniment, vous préfériez rester seule avec lui. Peut-être même avez-vous eu cette idée avant moi.