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Leurs premiers échanges amicaux furent au sujet du modèle choisi, du nombre de mailles, des diminutions et des augmentations. J’en restai perplexe. Elles prirent l’habitude de s’installer dans un bout de la salle. Elles chuchotaient des heures comme des complices.

Agathe, l’hiver, n’occupait pas sa villa. Elle s’était installée dans la chambre 3, à l’autre bout du couloir. Corcel couchait en face de nous.

Il y eut une période de vent qui parut nous isoler dans ses sifflements et la poussière de sable qu’il soulevait. Pendant deux jours, nous ne vîmes personne. Sauf le facteur qui venait porter le courrier des huit ou dix personnes demeurant toute l’année à la plage, et le boulanger.

Agathe faisait les achats deux fois par semaine. Brigitte prit l’habitude d’aller avec elle. Invariablement, Corcel m’appelait pour boire un coup de blanc. Il n’était guère bavard et nous restions de longs moments devant nos verres. Il ne s’étonnait nullement de notre présence. Il ne vivait pleinement que pendant l’été où, quatorze heures durant, il transpirait devant ses fourneaux.

Un soir, Brigitte me déclara qu’Agathe était vraiment une chic fille.

— Nous sommes allées à Sète et elle m’a offert à goûter dans un salon de thé. Tu ne peux pas savoir comme elle est drôle.

Puis :

— D’ailleurs, pour qu’elle ait accepté de nous garder toute l’année dans ces conditions !… Au début, elle était froide. Mais maintenant on est bien copines. Je l’appelle Agathe et elle m’appelle Brigitte. Parfois, pour rire, B.B.

Rien de mieux pour conquérir mon amie. Elle avait toujours eu un certain orgueil à porter le même prénom que Brigitte Bardot et à être aussi blonde qu’elle. Elle avait cependant quelques kilos supplémentaires et personnellement je la préférais ainsi.

Perplexe, je me demandais si Agathe Barnier avait décidé de se servir d’elle pour m’abattre, ou si c’était la solitude qui la faisait agir ainsi. Je restais sur mes gardes et je faisais raconter à Brigitte les après-midis qu’elles passaient ensemble, que ce soit à Sète ou à Agde. Tant que mon amie ne me cachait rien, tout allait pour le mieux.

Une fois, elles rentrèrent tard. Il était plus de neuf heures. Corcel m’avait proposé de dîner. Nous avions mangé un morceau dans la cuisine, et lui était monté se coucher. Enfin, j’avais reconnu le moteur de la fourgonnette.

Pendant qu’Agathe allait mettre la 403 au garage, mon amie était entrée dans la salle.

Elle portait un manteau de tweed ouvert sur une robe fourreau. Je me demandais pourquoi elle s’était habillée de la sorte pour aller faire des commissions.

À sa démarche hésitante, je compris qu’elle avait bu. Elle essaya de m’éviter, mais je m’approchai d’elle.

— Jean-Marc… Je te jure…

Elle empestait l’alcool.

— D’où sortez-vous ?

— Agde… Nous avons rencontré des amis d’Agathe… Ils nous ont payé l’apéritif.

— Tu as vu l’heure ?

— Je ne sais pas… Je ne pouvais pas rentrer seule, hein ?

Je me retenais pour ne pas la gifler, et l’autre restait dans le garage, jouissant certainement de notre scène de ménage. Je comprenais parfaitement son rôle.

— Monte au lit, tu ne tiens pas debout…

— Si… Je veux dire bonsoir à Agathe.

— Monte au lit immédiatement.

Cette fois, la gifle partit. Elle me regarda, les yeux flous, se frottant machinalement la joue.

— Pourquoi ?… Jean-Marc… Je n’ai rien fait de mal, je te jure… C’étaient des copains… Ils étaient corrects…

Elle s’est laissé choir sur une chaise.

— Écoute-moi, Brigitte.

Devant le vide de son regard, je capitulai.

— Quoi ?

— Rien… Monte te coucher… Je dirai à Agathe que tu étais trop fatiguée pour pouvoir l’attendre.

Un sourire béat étira sa bouche. Je remarquai qu’elle n’avait plus de rouge à lèvres.

J’ai fouillé les poches de son manteau et j’ai trouvé son mouchoir tout taché de rouge. Brigitte me regardait avec des yeux de chien battu.

— Je te jure… Je ne voulais pas… En nous quittant… Ils ont voulu nous embrasser… Je croyais sur la joue et puis… Cet imbécile !

— Monte te coucher…

— Jean-Marc, je te jure que je n’ai pas voulu… Il m’a forcée à ce que je l’embrasse… Non, il m’a embrassée, lui… Tu me comprends, hein ?

— Tu es ivre. Va au lit.

— Jean-Marc, tu ne m’en veux pas ?

Je l’ai prise par un bras et je l’ai entraînée vers l’escalier. Elle gémissait que je lui faisais mal, que je ne voulais pas la croire.

Dans notre chambre, je l’ai poussée vers la glace du lavabo.

— Regarde-toi.

Elle a fait une drôle de grimace puis s’est mise à pleurer doucement. Je lui ai ôté son manteau de tweed. Je l’ai fait pivoter pour ouvrir la fermeture-éclair de sa robe-fourreau.

Mais ce n’était pas la peine.

Quelqu’un l’avait défaite à ma place.

CHAPITRE V

Agathe était dans la cuisine. Elle plaçait un morceau de viande froide dans une assiette. Je refermai la porte derrière moi.

Comme si je n’étais pas là, elle s’installa à table, commença de manger avec appétit.

— Félicitations ! fis-je. Pour un premier coup, c’est un coup de maître.

— Comment ?

Son œil noir pétillait de méchanceté joyeuse.

— Vous vous saoulez la gueule, vous faites la foire avec des hommes, c’est vraiment complet !

— Pardon ?

Elle se leva.

— Je vous fais remarquer que je ne suis pas ivre. Votre amie n’est pas sortable, c’est tout. Elle s’est mise à boire et à se montrer d’une coquetterie provocante avec les hommes que j’ai rencontrés. Ce sont des amis. Heureusement, car elle ne serait peut-être pas revenue.

Ainsi, elle l’avait fait boire, l’avait présentée à des individus certainement peu recommandables.

— C’est un avertissement ?

Sans se départir de son calme, elle s’est servi un verre de pelure d’oignon et l’a bu d’un trait. Elle supporte admirablement le vin, l’alcool. Mais j’étais certain qu’elle n’avait rien pris avec Brigitte.

— Pourquoi un avertissement ? Votre amie se plaît en ma compagnie. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu’elle sorte avec moi, mais vous devriez lui recommander de mieux se tenir. Elle est trop exubérante.

Je ne savais que penser. Il me faudrait questionner Brigitte quand elle serait à jeun. J’avais horreur de jouer à l’inquisiteur et je savais qu’elle me répondrait de mauvaise grâce.

— Si vous ne voulez pas qu’elle me suive, c’est entièrement votre droit. Ne croyez pas que j’en ferai une maladie. Mais dites-le lui, vous.

J’ai cherché à lui faire peur.

— Méfiez-vous. Je vous ai recommandé de ne pas vous attaquer à elle. Elle est trop vulnérable et vous le savez.

Nous sommes revenus dans la salle et, dans la poche de son manteau, elle a pris ses cigarettes.

— Vous disposez d’une arme contre moi. Mais souvenez-vous qu’elle ne peut servir qu’une fois.

Elle me narguait.

— Si nous sommes obligés dé partir, ai-je ajouté, pour une raison ou pour une autre, vous le regretterez profondément.

— Pourquoi partiriez-vous ? La nourriture est bonne, le logement aussi. Votre amie peut satisfaire à peu de frais son penchant pour la boisson. Achetez-lui une cage. J’ai remarqué qu’elle avait le feu quelque part. Heureusement que j’étais avec elle ce soir. Je me demande ce qu’elle aurait fait toute seule.