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– A moi aussi, ça me fait plaisir. C’eût été trop injuste qu’il soit la seule victime de cette histoire stupide ! Je crois que je vais me sentir mieux à présent...

– Quelles sont vos intentions ?

– Rentrer chez moi, bien sûr !

La voiture où flottait une désagréable odeur d’humidité et de tabac refroidi atteignait la porte Maillot. Les lumières violentes de Luna-Park, le fameux parc d’attractions populaire, brillaient encore, reflétées par la chaussée mouillée comme au bord d’un canal vénitien.

– Je vous l’avoue, mon ami, continua Morosini, j’ai hâte de revoir ma lagune et ma maison ! Ce qui ne veut pas dire que je n’aie plus l’intention d’en bouger. Je vais y attendre des nouvelles de Simon Aronov et le moment de partir pour l’Angleterre afin d’assister à la vente du diamant. Vous devriez venir me voir, Adal ! Vous aimeriez ma maison et la cuisine de ma vieille Cecina.

– Vous me tentez !

– Il ne faut jamais résister à la tentation ! Je sais bien qu’en été nous débordons un peu de touristes et de jeunes mariés, mais vous n’aurez pas à en souffrir. Et puis la grâce de Venise est telle qu’aucun oripeau, aucune foule vulgaire ne saurait l’atteindre. On y est mieux que partout ailleurs pour lécher des blessures...

Oubliant un peu son ami, Morosini avait pensé tout haut. Quand il s’en aperçut, il était trop tard, mais ce fut au bout d’un silence assez long qu’Adalbert demanda doucement :

– Gela fait si mal ?

– Encore assez, oui... mais ça passera !

Il l’espérait de toute sa volonté sans y croire tout à fait. Ses chagrins d’amour avaient la vie dure. Peut-être qu’en ce moment même il adorerait encore le souvenir de Dianora si Anielka n’était venue l’effacer ? Mais qui l’aiderait à oublier Anielka ?

En rentrant chez Mme de Sommières, les deux hommes la trouvèrent dans son jardin d’hiver qu’elle arpentait en faisant sonner les dalles sous sa canne. Assise dans un coin sur une chaise basse,

Marie-Angéline faisait semblant de tricoter et ne sonnait mot, mais au mouvement de ses lèvres il était évident qu’elle priait.

Quand Aldo entra, la vieille dame exhala un soupir de soulagement et courut l’embrasser avec une chaleur qui donnait la mesure de son anxiété :

– Tu es vivant ! souffla-t-elle contre son cou. Merci à Dieu !

Il y avait des larmes dans sa voix mais n’étant pas femme à s’abandonner longtemps à une émotion, elle se reprit vite. S’écartant de lui, elle le tint un instant à bout de bras :

– Tu n’es pas trop détruit ! remarqua-t-elle. Cela veut dire que la jeune femme est sauve ?

– Elle n’a jamais été en danger ! En ce moment, elle regagne tranquillement la maison de son époux.

La marquise ne posa pas de questions, se contentant de scruter avec attention, le beau visage amer et fatigué.

– Et toi, murmura-t-elle, tu pars demain ou à peine plus tard. Ma vieille demeure ne te reverra pas de longtemps, sans doute ?

Une toute petite fêlure dans la voix. Une infime note de mélancolie mais qui toucha Aldo au plus sensible. Ces jours passés ensemble les avaient beaucoup rapprochés. Elle lui était devenue chère et ce fut lui, cette fois, qui la prit dans ses bras, ému de sentir une fragilité insoupçonnable chez cette indomptable vieille dame.

– J’ai passé ici de trop bons moments pour ne pas souhaiter y revenir, dit-il gentiment. Et de toute façon, nous allons nous revoir bientôt. J’espère que vous ne renoncerez pas à votre voyage d’automne à Venise ? Pas avant octobre cependant ! Je devrai, en septembre, me rendre en Angleterre pour une affaire importante, ajouta-t-il avec un coup d’œil en direction de Vidal-Pellicorne qui avait rejoint Marie-Angéline près de la cave à liqueur. Si Adalbert m’accompagne comme il me l’a laissé entendre, je viendrai vous embrasser en passant le chercher.

Un bris cristallin signala que la cousine venait de casser un verre et attira l’attention sur elle. On put voir alors qu’elle était devenue toute rouge mais que ses yeux brillaient de façon insolite.

– Quelle maladroite vous faites, Plan-Crépin ! rugit la marquise, enchantée, au fond, de trouver un dérivatif à son attendrissement. Ces verres appartenaient à défunte Anna Deschamps et sont irremplaçables ! Que vous arrive-t-il encore ?

– Oh ! je suis navrée, s’exclama la coupable qui n’en avait vraiment pas l’air, mais je crains que nous ne soyons absentes en septembre. Ne devons-nous pas répondre à l’invitation de lady Winchester pour... chasser le renard ?

– Est-ce que vous ne perdez pas un peu la tête ? s’étrangla la marquise. Chasser le renard ? Et quoi encore ? Que voulez-vous que je fasse, à mon âge, sur un canasson ? Je ne suis pas cette folle de duchesse d’Uzès, moi !

– Pardonnez-moi ! Il se peut que j’aie confondu ! C’était peut-être la grouse en Ecosse, mais je suis formelle : nous devons être en Grande-Bretagne en septembre. Remarquez, cela ne doit pas empêcher le prince Aldo de passer. Ce serait peut-être amusant de voyager ensemble ?

Cette fois, Mme de Sommières éclata de rire :

– Vos malices sont cousues de fil blanc, ma grande ! fit-elle avec une nuance affectueuse qui n’échappa à personne. Croyez-vous qu’il ait besoin de s’encombrer d’une vieille femme délabrée et d’une vieille fille un peu folle... même si cela vous amuse beaucoup de vous mêler de ses affaires et de galoper sur les gouttières en sa compagnie ? Vous vous contenterez de prier pour lui. Et ça, croyez-moi, ça lui sera utile !

Morosini s’approcha de Marie-Angéline et prit de ses mains le verre de cognac qu’elle venait de servir en tremblant un peu :

– L’aide a été trop intelligente et trop efficace pour être dédaignée, tante Amélie, et j’en serai toujours reconnaissant à Marie-Angéline. Je bois à vous, cousine, ajouta-t-il avec un sourire qui chavira le cœur de son ancienne acolyte. Sait-on jamais ce que l’avenir nous réserve ? Il nous arrivera peut-être encore de courir les aventures ensemble. Je vous écrirai avant de partir. Mais, à présent, je crois que je vais aller me reposer...

Quand il monta dans sa chambre, le premier geste d’Aldo fut d’aller fermer les persiennes. Il ne voulait pas voir se refléter sur la verdure du parc les lumières des fenêtres d’Anielka. Cette page-là devait être tournée et le plus tôt serait le mieux ! Ensuite, il s’assit sur son lit pour consulter l’indicateur des chemins de fer...

Cependant, s’il pensait en avoir fini avec son joli roman polonais, il se trompait.

Le lendemain dans l’après-midi, alors qu’il achevait de boucler ses bagages, Cyprien vint lui annoncer que sir Eric et lady Ferrais demandaient à lui parler et l’attendaient au salon.

– Seigneur ! fit Morosini. Il a osé franchir le seuil de cette maison ? Si tante Amélie l’apprend, elle va vous ordonner de le jeter dehors.