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— Salut, mon vieux, dit Havelock. Ça fait plaisir d’avoir de tes nouvelles. Après ce qui s’est passé avec Shaddid et l’APE, j’ai craint que nous nous retrouvions dans des camps opposés. Je suis heureux de voir que tu t’es tiré avant que ça devienne le merdier absolu.

“Ouais, je suis toujours avec Protogène, et il faut que je te le dise : ces types sont flippants. Bon, j’ai déjà accompli des contrats de sécurité, et je sais voir quand quelqu’un est un dur. Ces types ne sont pas des flics. Ce sont des soldats, des commandos. Tu vois ce que je veux dire ?

“Officiellement, je sais que dalle sur une station de la Ceinture, mais tu sais comment c’est. Je viens de la Terre. Il y a un tas de ces types qui m’ont emmerdé au sujet de Cérès. Parce que je bossais avec des têtes pleines de vide. Ce genre de trucs. Mais vu comme sont les choses ici, il vaut mieux être bien avec ces connards. C’est ce genre de boulot, quoi.

Il y avait une excuse muette dans son expression. Miller comprenait très bien. Le travail dans certaines entreprises ressemblait à un passage par la case prison. Vous adoptiez le point de vue des gens qui vous entouraient. Un Ceinturien pouvait être embauché, mais jamais il ne serait complètement accepté. Comme sur Cérès, parfois il valait mieux regarder ailleurs. Si Havelock avait fait ami-ami avec une flopée de mercenaires venus des planètes intérieures qui occupaient leurs fins de soirées à tabasser les Ceinturiens à la sortie des bars, c’était parce qu’il lui avait fallu agir ainsi.

Mais faire ami-ami avec eux n’impliquait pas qu’il devienne un des leurs.

— Bon, c’est officieux, hein, mais il y a une station pour les opérations secrètes dans la Ceinture. Je n’ai pas entendu qu’elle s’appelait Thoth, mais ce serait très possible. Il y a là-bas une sorte de labo spécialisé dans la recherche et le développement de projets vraiment flippants. Une grosse brochette de scientifiques y bosse, mais ce n’est pas un complexe très important. Je pense que discret est le mot qui convient le mieux. Des défenses automatisées en pagaille, mais pas beaucoup de gardes sur le terrain.

“Pas besoin de te préciser que la divulgation des coordonnées de ce labo reviendrait à me condamner à mort ici. Alors efface ce fichier dès que tu l’auras visionné, et ne nous parlons plus pendant très, très longtemps.

Le fichier était assez réduit. Trois lignes de notations orbitales en texte normal. Miller le transféra dans son terminal et l’effaça du serveur sur Ganymède. Il avait toujours son verre en main, et il le vida d’un trait. La chaleur qui envahit sa poitrine pouvait être due au bourbon aussi bien qu’au sentiment de victoire qu’il éprouvait.

Il alluma la caméra du terminal.

— Merci. Je te suis redevable. Voilà une partie de mon paiement. Ce qui s’est passé sur Éros ? Protogène y était partie prenante, et c’est une très grosse affaire. Si tu as l’occasion de résilier ton contrat avec eux, fais-le. Et s’ils te proposent de te déplacer sur cette station réservée aux opérations secrètes, n’y va pas.

Son expression se figea. Havelock était sans aucun doute le dernier vrai partenaire qu’il ait eu et, aussi triste qu’il soit, ce constat était vrai. Le seul à l’avoir considéré comme un égal. Comme le genre d’inspecteur que Miller s’était imaginé être.

— Fais gaffe à toi, partenaire, dit-il avant de clore le fichier, de le crypter et de l’envoyer.

Au plus profond de son être, il avait la quasi-certitude qu’il ne reparlerait plus jamais à Havelock.

Il transmit une demande de connexion à Holden. Le visage ouvert, charmant et vaguement naïf du capitaine emplit le petit écran du terminal.

— Miller. Tout va bien ?

— Ouais. Super. Mais il faut que je parle à votre copain Fred. Vous pouvez arranger ça ?

Le Terrien fronça les sourcils et acquiesça en même temps.

— Bien sûr. Que se passe-t-il ?

— Je sais où se trouve la station Thoth.

— Vous savez quoi ?

— Eh oui…

— Où diable avez-vous obtenu cette info ?

Miller sourit.

— Si je vous le disais et que ça fuitait, un type bien se ferait descendre. Vous saisissez mieux comment ça fonctionne ?

* * *

Alors qu’en compagnie d’Holden et de Naomi il attendait la venue de Fred, Miller fut frappé par le nombre impressionnant de gens originaires des planètes intérieures qui luttaient contre les planètes intérieures. Ou à tout le moins qui ne combattaient pas pour elles. Fred, supposé être un membre de haut rang de l’APE. Havelock. Les trois quarts de l’équipage du Rossinante. Juliette Mao.

C’était une surprise pour lui, mais aussi, peut-être, une vue réduite de la situation, qu’il appréhendait de la même façon que Shaddid et Protogène. Si deux camps s’affrontaient, et ce fait était indiscutable, il ne s’agissait pas des planètes intérieures contre les Ceinturiens, mais de gens convaincus que c’était une bonne chose de tuer ceux à l’apparence ou aux conceptions différentes des leurs.

Et peut-être que cette analyse ne valait rien non plus. Parce que, si on lui donnait l’occasion de balancer par un sas le scientifique de Protogène, le conseil de direction et ce Dresden, Miller savait qu’il s’en voudrait pendant peut-être une demi-seconde après les avoir tous expédiés dans le vide spatial. Ce qui ne le mettait pas du côté des anges.

— Monsieur Miller. Que puis-je pour vous ?

Fred. Le Terrien de l’APE. Il portait une chemise bleue à col boutonné et un pantalon élégant. Il aurait pu être architecte, ou administrateur de niveau intermédiaire dans n’importe quelle entreprise parfaitement respectable. Miller essaya de l’imaginer en train de coordonner une bataille.

— Si vous parvenez à me convaincre que vous possédez vraiment ce qu’il faut pour neutraliser la station de Protogène, alors je vous révélerai où elle se trouve.

Les sourcils de Fred grimpèrent d’un millimètre sur son front.

— Venez dans mon bureau, dit-il.

Miller le suivit, Holden et Naomi sur ses talons. Quand les portes se furent refermées derrière eux, Fred fut le premier à parler :

— Je ne sais pas avec précision ce que vous voulez de moi. Je n’ai pas pour habitude de rendre publics mes plans de bataille.

— Nous parlons de prendre d’assaut une station entière, répondit Miller. Une installation avec des putains de bonnes défenses et peut-être d’autres vaisseaux comme celui qui a détruit le Canterbury. Sans vouloir vous manquer de respect, c’est une opération un peu trop comac pour une bande d’amateurs comme ceux de l’APE.

— Euh, Miller ? glissa Holden.

L’ex-inspecteur leva une main pour l’interrompre.

— Je peux vous donner les coordonnées de la station Thoth, poursuivit-il. Mais si je le fais et que vous n’avez pas la puissance nécessaire pour mener à bien cette opération, un tas de gens mourront et rien ne sera résolu. Je ne suis pas partant pour cette version.

Fred inclina la tête de côté, comme un chien qui vient de percevoir un son inhabituel. Naomi et Holden échangèrent un regard que Miller ne put interpréter.

— Il s’agit d’une guerre, dit ce dernier. J’ai déjà travaillé avec l’APE, par le passé, et franchement vos gars sont bien meilleurs pour toutes ces petites attaques merdiques de guérilla que pour coordonner un assaut d’envergure. La moitié de ceux qui prétendent parler en votre nom sont des tordus qui sont passés par hasard à côté d’un micro. Je vois que vous avez beaucoup d’argent. Je vois que vous avez un très joli bureau. Ce que je ne vois pas, et ce que j’ai justement besoin de voir, c’est que vous avez ce qu’il faut pour faire mordre la poussière à ces enfoirés. Investir une station entière n’est pas une partie de plaisir, ni un jeu. Je me contrefous du nombre de simulations que vous avez pu effectuer. Là, c’est la réalité. Si je vous apporte mon soutien, je veux savoir que vous êtes capable de maîtriser votre sujet.