Выбрать главу

Ils avaient discuté de l’opportunité de diffuser ce message. Thoth était une station secrète, elle n’utiliserait donc que des senseurs passifs. Et le scanning radar et ladar omnidirectionnel les illuminerait comme un sapin de Noël. Avec son réacteur éteint, le Rossinante atteindrait peut-être la station sans être repéré. Mais s’ils étaient repérés pour une raison ou une autre, Fred avait estimé que leur présence semblerait probablement assez suspecte pour déclencher une contre-attaque immédiate. Aussi, plutôt que d’opter pour une approche en catimini, ils avaient décidé de faire du bruit et de compter sur la confusion engendrée pour les aider.

Avec un peu de chance, les systèmes de sécurité de la station Thoth les scanneraient, verraient qu’ils étaient en fait un gros morceau de métal apparemment inerte qui suivait un vecteur unique, et ils les ignoreraient assez longtemps pour les laisser s’approcher. À grande distance, les systèmes de défense de la station risquaient d’être trop puissants pour le Rossi. Mais à courte distance la manœuvrabilité de la corvette devrait lui permettre de louvoyer tout autour de la station et de la tailler en pièces. L’histoire du conteneur à l’abandon qui leur servait de couverture avait pour seul but de leur faire gagner du temps, pendant que les équipes de sécurité de la station essayaient de comprendre ce qui se passait.

Fred et par extension tous les participants à l’assaut pariaient sur le fait que la station n’ouvrirait pas le feu avant d’avoir la certitude absolue qu’elle était attaquée. Protogène s’était donné beaucoup de mal pour cacher son labo de recherches dans la Ceinture. Dès qu’ils auraient lancé leur premier missile, leur anonymat serait perdu à jamais. Avec la guerre en cours, les moniteurs relèveraient la trace des moteurs et on se demanderait ce qui se passait. Tirer avec une arme serait le dernier recours de la station Thoth.

En théorie.

Dans la solitude de la bulle d’air contenue dans son casque, Holden savait que, s’ils se trompaient, il n’aurait jamais le temps de s’en rendre compte. Le Rossi volait en aveugle. Tout contact radio était coupé. Alex avait une montre mécanique à affichage fluorescent, et un programme mémorisé à la seconde près. Puisqu’ils ne pouvaient surclasser Thoth avec leur haute technologie, ils s’en approchaient en utilisant la technologie la plus rudimentaire dont ils disposaient. S’ils avaient mal évalué la situation et que la station ouvrait le feu sur eux, le Rossi serait pulvérisé sans aucun avertissement. Autrefois, Holden était sorti avec une bouddhiste qui lui avait expliqué que la mort était simplement un état différent, et que les gens avaient peur uniquement de l’inconnu qui s’étendait au-delà de cette transition. La mort sans prévenir était préférable, car elle évitait toute peur.

Il lui semblait avoir maintenant trouvé l’argument contraire.

Pour s’occuper l’esprit, il réétudia le plan. Quand ils seraient presque assez près de la station Thoth pour cracher dessus, Alex activerait le réacteur et effectuerait une manœuvre de freinage à près de dix g. Le Guy Molinari se mettrait à diffuser des parasites radio et un brouillage laser en direction de la station afin de dérégler ses systèmes de visée pendant les quelques instants nécessaires au Rossi pour se caler sur un vecteur d’attaque. La corvette prendrait alors pour cible les défenses de la station et mettrait hors d’état tout ce qui risquait de constituer une menace pour le Molinari, pendant que le cargo se plaçait de façon à pénétrer l’enveloppe de la station et à larguer ses troupes d’assaut.

Ce plan était truffé de défaillances.

Si la station décidait de tirer trop tôt, par simple mesure de sécurité, le Rossi risquait l’anéantissement avant même le début des combats. Que le système de visée de la station parvienne à percer le brouillage et le voile de parasites émis par le Molinari, et l’ennemi risquait d’ouvrir le feu avant que le Rossi soit en position. Et même si cette première phase se déroulait sans aucune anicroche, restait le problème inhérent au fait que les troupes d’assaut devraient s’ouvrir un chemin à l’intérieur de la station en investissant couloir par couloir jusqu’au centre névralgique de l’installation, afin d’en prendre le contrôle. Les meilleurs Marines des planètes intérieures eux-mêmes étaient terrifiés à la perspective de devoir ouvrir une brèche dans ces conditions, et pour d’excellentes raisons. Une progression dans des couloirs métalliques inconnus, sans possibilité de se mettre à couvert, alors que l’ennemi pouvait être en embuscade à chaque intersection, était la tactique la plus sûre pour essuyer des pertes sévères. Dans les simulations que la Flotte terrestre multipliait à l’entraînement, Holden n’avait jamais vu les commandos s’en sortir avec moins de soixante pour cent de pertes. Et l’on parlait là de Marines des planètes intérieures qui bénéficiaient d’années de formation et d’un équipement de pointe, pas des cow-boys de l’APE munis de ce qu’ils avaient pu trouver au dernier moment.

Mais ce n’était même pas cela qui inquiétait le plus Holden.

Ce qui l’angoissait surtout, c’était la vaste zone légèrement moins froide que l’espace située à quelques dizaines de mètres seulement à la verticale de la station Thoth. Le Molinari l’avait repérée et les avait informés de cette découverte juste avant de les laisser aller. Ayant déjà vu des vaisseaux furtifs, personne à bord du Rossi ne doutait que c’en était un autre.

L’affrontement serait difficile, même à une distance assez courte pour que l’ennemi perde la plupart de ses avantages. Mais Holden n’était pas impatient de devoir esquiver simultanément les torpilles tirées par une frégate. Alex lui avait affirmé qu’en s’approchant suffisamment de la station ils dissuaderaient la frégate de les prendre pour cible, de crainte pour elle d’endommager Thoth, et que la manœuvrabilité supérieure de la corvette compenserait plus que largement les atouts d’un vaisseau plus lourd et mieux armé. Les frégates furtives étaient une arme stratégique, pas tactique, avait dit le pilote. Holden s’était abstenu de demander : Alors pourquoi en ont-ils une ici ?

Holden voulut consulter les données affichées à son poignet, et il poussa un grognement de frustration dans l’obscurité profonde où baignait le pont des ops. Tous les systèmes de sa combinaison étaient coupés, chronomètres comme éclairage. Le seul toujours actif était celui assurant la circulation interne de l’air, parce qu’il était entièrement mécanique. Si quelque chose le mettait en panne, aucun témoin d’alerte ne s’allumerait, il étoufferait et mourrait.

Il balaya du regard la pièce enténébrée et maugréa :

— Allez, combien de temps encore ?

Comme en réponse, les lumières se mirent à clignoter un peu partout. Il y eut une explosion de parasites dans son casque, puis la voix traînante d’Alex annonça :

— Réseau interne de comm réactivé.

— Réacteur ? fit-il.

— Deux minutes, répondit Amos depuis la salle des machines.

— Ordinateur principal ?

— Encore trente secondes pour conclure la phase de réinitialisation, dit Naomi.

Elle lui adressa un signe de l’autre côté du pont des ops. L’éclairage était déjà suffisant pour qu’ils s’aperçoivent.