— Armement ?
Alex rit dans le système comm avec ce qui semblait être une allégresse sincère.
— Les armes se réalignent, répondit-il. Dès que Naomi m’aura rebranché le programme de visée, nous serons frais, prêts et précis.
Le timbre de chacun après leur longue approche dans le silence et l’obscurité le rasséréna un peu. Et le fait de voir Naomi s’affairer à l’autre bout de la pièce dissipa une crainte qui l’avait saisi sans même qu’il s’en rende compte.
— Le système de visée devrait être opérationnel, maintenant, transmit la jeune femme.
— Bien reçu, répondit Alex. Télescopes : activés. Radar : activé. Ladar : activé… Merde ! Naomi, vous voyez ça ?
— Je le vois, dit-elle. Capitaine, nous recevons les signatures du moteur d’un vaisseau furtif. En phase préparatoire, lui aussi.
— Nous nous y attendions. Tout le monde reste concentré.
— Une minute, dit Amos.
Sur sa console, Holden fit sortir l’affichage tactique. La station Thoth tournait en un cercle paresseux pendant qu’une tache révélatrice de chaleur au-dessus d’elle s’accentuait jusqu’à dessiner grossièrement la silhouette d’une coque.
— Alex, ça ne ressemble pas à la dernière frégate, dit Holden. Est-ce que le Rossi l’a identifié ?
— Pas encore, chef, mais il y travaille.
— Trente secondes, lâcha Amos.
— Nous percevons une recherche ladar venue de Thoth, intervint Naomi. Des discussions diffusées.
Holden scrutait l’écran tandis que Naomi s’efforçait de s’accorder à la longueur d’onde utilisée par la station pour la cibler. Elle commença à l’arroser avec leur propre système laser pour brouiller les retours.
— Quinze secondes, dit Amos.
— D’accord, attachez vos ceintures, les enfants, fit Alex. Le jus arrive.
Avant même que le pilote ait fini sa phrase, Holden sentit une douzaine de piqûres quand son siège le bourra de drogues pour le garder en vie pendant l’accélération à venir. Sa peau lui parut se tendre et devenir brûlante, et ses testicules cherchèrent à remonter dans son ventre. Alex lui sembla parler au ralenti.
— Cinq… quatre… trois… deux…
Il n’entendit jamais un. Un millier de kilos se posa sur sa poitrine et gronda comme un géant hilare quand le Rossi freina à dix g. Il se dit qu’il sentait ses poumons gratter sa cage thoracique pendant que sa poitrine faisait de son mieux pour s’effondrer sur elle-même. Mais le siège le tenait dans une étreinte adoucie par le gel, et les drogues maintenaient son rythme cardiaque et son activité cérébrale. Il ne perdit pas connaissance. Si la manœuvre devait le tuer, il serait parfaitement éveillé et lucide pour assister à sa fin.
Son casque s’emplit d’un gargouillis et du bruit d’une respiration heurtée, et une partie seulement de ce tout provenait de lui. Amos réussit en partie à jurer avant que ses mâchoires se soudent. Holden ne put entendre le Rossi qui frémissait à cause de son changement de trajectoire, mais il le sentit à travers son siège. L’appareil était solide. Plus solide que n’importe lequel d’entre eux. Ils seraient morts depuis longtemps avant que le vaisseau atteigne assez de g pour s’endommager lui-même.
Quand le soulagement vint, ce fut dans un déferlement tellement inattendu qu’Holden faillit vomir. Les drogues dans son système le lui évitèrent. Il inspira à fond et le cartilage de son sternum se remit en place avec un petit claquement douloureux.
— Vérification, marmonna-t-il.
Sa mâchoire inférieure était douloureuse.
— Système comm en acquisition, répondit aussitôt Alex.
Le système de visée et de communication de la station Thoth arrivait en tête de leur liste de priorités.
— Tout est au vert, dit Amos depuis le pont inférieur.
— Monsieur, fit Naomi sur le ton de l’avertissement.
— Merde, je le vois, maugréa Alex.
Holden ordonna à sa console de se caler sur celle de Naomi afin de voir ce qu’elle regardait. Sur l’écran de la jeune femme, le Rossi avait compris pourquoi il était dans l’incapacité d’identifier le vaisseau furtif.
Il y avait deux appareils, pas une seule grosse frégate disgracieuse autour de laquelle ils auraient pu virevolter à courte distance tout en la mettant en pièces. Non, ç’aurait été trop facile. C’était deux unités beaucoup plus petites qui conservaient une formation serrée pour tromper les senseurs ennemis. Et à présent elles activaient leurs moteurs et se séparaient.
D’accord, se dit Holden. Nouveau plan.
— Alex, attirez leur attention, ordonna-t-il. On ne peut pas les laisser se mettre en chasse du Molinari.
— Bien reçu, répondit le pilote.
Le Terrien sentit le Rossi frémir quand Alex tira une torpille sur un des deux vaisseaux. Ceux-ci, plus petits, modifiaient rapidement leur vitesse et leur course, et la torpille avait été tirée en hâte et selon un angle difficile. Elle n’atteindrait pas son but, mais le Rossi serait considéré par tous comme une menace, maintenant. C’était donc un coup réussi.
Les deux appareils ennemis s’éloignèrent dans des directions opposées et à pleine puissance, en semant des leurres antiradars et des brouillages laser derrière eux. La torpille partit en zigzag avant de suivre une trajectoire molle dans une direction aléatoire.
— Naomi, Alex, une idée de ce que nous affrontons ? demanda Holden.
— Le Rossi ne les a toujours pas identifiés, monsieur, répondit Naomi.
— Leur coque est d’un dessin inédit, ajouta Alex. Mais ils se déplacent comme des intercepteurs rapides. Pour l’armement, je dirais deux torpilles ventrales et un canon monté sur la quille de fuselage.
Plus rapides et plus manœuvrables que le Rossi, donc, mais ils ne pourraient tirer que dans une seule direction.
— Alex, virez pour…
L’ordre d’Holden fut interrompu quand le Rossinante trembla de toute son infrastructure et effectua un bond latéral, ce qui repoussa le capitaine sur le côté. Les sangles de son harnais s’enfoncèrent douloureusement dans ses côtes.
— Nous sommes touchés ! s’exclamèrent en même temps Amos et Alex.
— La station nous a pris pour cible avec une sorte de canon lourd, rapporta Naomi.
— Dommages ? fit Holden.
— Il nous a traversés sans bavure, capitaine, dit Amos. La coquerie et l’atelier de la salle des machines. On a quelques voyants orange allumés, mais rien qui nous tuera.
Rien qui nous tuera était une formule agréable à entendre, mais Holden éprouva du regret pour sa cafetière.
— Alex, dit-il, oubliez les appareils et dégommez-moi cet appareillage comm.
— Compris, répondit le pilote.
Le Rossi fit une embardée quand il modifia sa trajectoire et chercha à acquérir sa cible.
— Naomi, dès que le premier de ces chasseurs arrive pour attaquer, balancez-lui le faisceau laser comm en pleine face, puissance maxi, et commencez à disséminer les leurres antiradars.
— Bien, monsieur.
Le laser suffirait peut-être à dérégler son système de visée pendant quelques secondes.
— La station ouvre le bal avec ses CDR, dit Alex. On risque d’être un peu secoués.
Holden délaissa l’écran de Naomi pour se caler sur celui du pilote. Sa console fourmillait de milliers de points lumineux se déplaçant rapidement, avec en arrière-plan la station Thoth qui tournait sur elle-même. Le détecteur de menaces soulignait le point d’impact des salves des canons de défense rapprochée par une lumière intense sur l’affichage tête haute d’Alex. Le tout allait incroyablement vite, mais au moins avec le système qui illuminait chaque projectile le pilote voyait précisément la provenance et la trajectoire des tirs. Il réagit avec un savoir-faire consommé, en s’écartant avec des déplacements vifs qui forçaient le ciblage automatisé des canons de défense rapprochée à des réajustements constants.