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— Et merde…, souffla Alex.

Le Rossinante fit un écart de côté si brutal qu’Holden se cassa le nez contre l’intérieur de son casque. Les voyants orange d’alerte se mirent à tournoyer sur toutes les cloisons, mais comme le vaisseau ne contenait pas d’air Holden eut la chance de ne pas entendre hurler les alarmes. Son affichage tactique vacilla, s’éteignit et se ralluma une seconde plus tard. Quand il revint, le missile et la torpille, ainsi qu’Ennemi 2, avaient disparu. Ennemi 1 continuait de foncer sur eux par l’arrière.

— Dommages ? cria-t-il en espérant que le système comm fonctionnait toujours.

— Dommages graves à la coque externe, répondit Naomi. Quatre propulseurs de manœuvre hors service. Un CDR ne répond plus. Nous avons aussi perdu la réserve d’O2, et le sas équipage a l’air d’une plaque de scories volcaniques.

— Pourquoi sommes-nous encore vivants, alors ? demanda Holden tout en parcourant le rapport des dommages avant de basculer sur la caméra d’Amos.

— Le missile ne nous a pas touchés, expliqua Alex. Les CDR l’ont eu, mais il était très près. L’ogive a explosé et nous a salement arrosés.

Le mécanicien ne semblait pas bouger.

— Amos ! s’écria Holden. Au rapport !

— Ouais, ouais, je suis toujours là, chef. Je continue de m’accrocher, juste au cas où nous serions encore brinquebalés comme ça vient d’arriver. Je crois m’être pété une côte contre un des étais de la coque, mais je suis attaché. C’est une putain de bonne chose que je me sois magné avec ce bout de tuyau, quand même.

Holden ne prit pas le temps de répondre. Il revint à son affichage tactique et observa Ennemi 1 qui se rapprochait rapidement. Il avait déjà utilisé ses missiles, mais à courte distance il risquait de les hacher menu avec son canon.

— Alex, vous pouvez nous faire virer et trouver une solution de tir sur ce chasseur ?

— J’y travaille. On n’a plus beaucoup de manœuvrabilité, répondit le pilote.

Le Rossi se mit à tourner dans une série d’embardées.

Holden se cala sur un des télescopes et zooma sur le chasseur. De près, le bout du canon semblait aussi grand qu’un couloir de Cérès, et braqué directement sur lui.

— Alex…

— Je suis dessus, chef, mais le Rossi a souffert.

Le canon d’Ennemi 1 se préparait à tirer.

— Alex, bousillez-le. Bousillez-le !

— Torpille larguée, lâcha le pilote.

La corvette tressaillit.

La console d’Holden passa automatiquement de la vue générale à la vue tactique. La torpille du Rossi atteignit le chasseur presque au moment où il ouvrait le feu. L’affichage montra les projectiles sous la forme de petits points rouges se déplaçant trop vite pour être suivis par l’œil humain.

— Tir enne… cria-t-il.

Le Rossinante se disloqua autour de lui.

* * *

Holden reprit connaissance.

L’intérieur du vaisseau était empli de débris en suspension et de copeaux de métal surchauffés dont l’ensemble ressemblait à un déluge d’étincelles vu au ralenti. En l’absence d’air, ils ricochaient contre les cloisons et dérivaient en se refroidissant peu à peu, telles des lucioles paresseuses. Il avait le vague souvenir d’un coin de moniteur mural se détachant et allant rebondir contre trois cloisons dans le coup de billard le plus élaboré du monde, avant de venir le frapper juste sous le sternum. Il baissa les yeux et vit que le petit morceau d’écran flottait à quelques centimètres devant lui, mais il n’y avait pas d’entaille dans sa combinaison. Il ressentait une douleur au point d’impact.

Le siège face à la console des ops, à côté de celui de Naomi, était percé d’un trou, et du gel vert s’en échappait lentement en petites billes qui s’éloignaient dans l’apesanteur ambiante. Holden examina l’orifice dans le siège, puis celui qui lui correspondait, dans la cloison de l’autre côté de la pièce, et il se rendit compte que le projectile était passé à quelques centimètres de la jambe de Naomi. Un frisson le parcourut, le laissant nauséeux.

— Qu’est-ce que c’était, bordel ? demanda Amos avec calme. Et si on évitait de recommencer ce genre de truc ?

— Alex ? dit Holden.

— Toujours là, chef, répondit le pilote, d’une voix étonnamment posée.

— Mon panneau de contrôle est mort, l’informa le Terrien. Est-ce que nous avons abattu ce fils de pute ?

— Ouais, chef, on l’a eu. Une demi-douzaine de ses tirs ont touché le Rossi en plein. Apparemment ils nous ont transpercés de l’avant à l’arrière. Le maillage anti-éclats qui enveloppe les cloisons a bien rempli son rôle et empêché la diffusion d’éclats de projectiles, pas vrai ?

Sa voix commençait à trembloter. Il avait voulu dire : Nous devrions tous être morts.

— Ouvrez un canal avec Fred, Naomi, ordonna Holden.

Elle ne bougea pas.

— Naomi ?

— D’accord. Fred, dit-elle en pianotant sur son écran.

Le casque d’Holden s’emplit de parasites pendant une seconde, puis il entendit la voix de Johnson :

— Ici le Guy Molinari. Heureux que vous soyez toujours en vie, les gars.

— Bien reçu. À vous de jouer. Prévenez-nous quand nous pourrons nous traîner jusqu’à un des quais de la station.

— Compris, répondit le colonel. Nous allons vous trouver un joli coin où vous poser. Fred, terminé.

Holden déboucla le harnais de son siège et se laissa monter en flottant mollement vers le plafond.

Allez, Miller. À votre tour.

40

Miller

— Oï, Pampaw, dit l’enfant dans le siège anti-crash à droite de Miller. Joint pété, et toi bang, hein ?

La tenue de combat renforcée qu’il portait était gris-vert, avec des jointures articulées à pression aux articulations et des bandes en travers des plaques frontales, là où un couteau ou une salve de fléchettes avait entamé la finition. Derrière la visière, le gamin avait peut-être quinze ans. Ses gestes trahissaient une jeunesse passée dans des combinaisons pressurisées, et son discours était du pur créole de la Ceinture.

— Ouais, dit Miller en levant son bras. Je viens de passer par une période assez remuante. Mais ça va bien.

— Bien, c’est aussi bien que mieux, dit le garçon. Mais tu t’en tiens au foca, et neto tu peux passer l’air ailleurs, hein ?

Personne sur Mars ou sur Terre n’aurait la moindre idée de ce que tu racontes, pensa Miller. Merde, la moitié des gens sur Cérès seraient gênés par un accent aussi prononcé. Pas étonnant que ça ne les gêne pas de vous tuer.

— Ça me va, dit-il. Tu passes en premier, et j’essayerai d’empêcher qu’on te tire dans le dos.

Le gamin lui sourit. Miller en avait vu des milliers comme lui. Des garçons qui se débattaient dans les affres de l’adolescence, assumant la pulsion normale à cet âge de prendre des risques et d’impressionner les filles, mais dans le même temps ils vivaient dans la Ceinture, là où une mauvaise décision pouvait signifier la mort. Il en avait vu des milliers. Il en avait arrêté des centaines. Il en avait vu quelques-uns finir dans des sacs antiradiations.

Il se pencha en avant pour regarder les longues rangées de sièges anti-crash qui couraient dans les entrailles du Guy Molinari. Il estimait leur nombre entre quatre-vingt-dix et cent. D’ici à l’heure du dîner, il y avait donc des chances pour qu’il en voie mourir deux douzaines de plus.