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Les troupes de l’APE progressèrent lentement, d’un niveau, puis elles atteignirent le suivant, et celui d’après. Les galeries donnaient sur de grandes places aussi claires et spacieuses que des cours de prison, tandis que les hommes de Protogène occupaient les miradors. Les couloirs transversaux étaient verrouillés : la sécurité des lieux cherchait à les diriger vers une situation où ils seraient pris sous des tirs croisés.

Ce stratagème échoua. Les forces de l’APE enfoncèrent les portes, se mirent à couvert dans des pièces où s’étalait la richesse, entre des salles de cours et des ateliers de fabrication. Par deux fois, des civils sans tenue renforcée, toujours à leur poste de travail malgré l’assaut en cours, les attaquèrent dès leur entrée. Les hommes de l’APE les abattirent. Une partie du cerveau de Miller – celle qui appartenait toujours à un policier, et non à un soldat – l’accepta mal. C’étaient des civils. Pour lui, leur exécution était une réaction totalement disproportionnée. Mais Julie lui murmura alors en esprit : Personne n’est innocent, ici, et il ne put qu’être d’accord avec elle.

Le centre des opérations était situé en haut du premier tiers du puits de gravité de la station, et il se révéla mieux défendu que tout ce qu’ils avaient déjà vu. Dirigés par la voix omnisciente de Johnson, Miller et cinq autres s’abritèrent dans l’entrée d’un étroit couloir de service. Là, ils assurèrent un tir de neutralisation qui balaya la galerie principale menant au centre, dans le but de riposter à toute contre-attaque éventuelle. Miller vérifia son fusil d’assaut et fut étonné du nombre de munitions qui lui restaient.

— , Pampaw, dit le garçon à côté de lui, et Miller sourit en reconnaissant la voix de Diogo derrière la visière. Quelle journée, passa ?

— J’ai connu pire, dit Miller.

Il voulut gratter son coude blessé, mais les plaques renforçant sa tenue l’empêchèrent de satisfaire pleinement ce désir.

— Beccas tu ? demanda Diogo.

— Non, ça va. C’est juste… cet endroit. Je ne pige pas. On dirait une station thermale, et le tout est construit comme une prison.

Les mains du garçon s’agitèrent pour poser une question muette, et il secoua le poing en réponse, tout en ordonnant ses pensées avant de parler.

— Il n’y a que de longues galeries dégagées et des couloirs verrouillés sur les côtés. Si je voulais construire une installation comme celle-ci, je préférerais…

L’air chanta, et Diogo s’écroula, sa tête rebondissant violemment en arrière quand elle heurta le sol. Avec un cri de surprise, Miller se retourna. Derrière eux, dans le couloir, deux silhouettes en uniforme de Protogène s’abaissèrent. Quelque chose siffla à son oreille gauche. Quelque chose d’autre ricocha sur la plaque pectorale de sa tenue renforcée martienne, avec la puissance d’un coup de massue. Il ne pensa même pas à braquer son fusil d’assaut : l’arme crachait déjà en direction des assaillants, comme si elle était une extension de sa volonté. Les trois autres soldats de l’APE pivotèrent pour se joindre à lui.

— Reculez ! aboya-t-il. Continuez de surveillez cette putain de galerie principale ! Je m’occupe de ça.

Stupide, se dit-il. C’est stupide de se faire prendre ainsi à revers. Stupide de s’arrêter et de bavarder en plein milieu d’une fusillade. Il aurait dû s’en douter, et maintenant, parce qu’il s’était laissé distraire, le garçon était…

En train de rire ?

Diogo se rassit, pointa son propre fusil d’assaut et arrosa le couloir. Il se remit debout en chancelant un peu, puis poussa un cri de joie digne d’un gamin qui vient de terminer un tour de manège très excitant. Une large traînée d’une sorte de pâte blanche sirupeuse s’étirait de sa clavicule à la partie droite de sa visière. Derrière celle-ci, il souriait. Miller grimaça.

— Pourquoi utilisent-ils des projectiles de neutralisation pour la foule ? dit-il, autant pour lui-même que pour le garçon. Ils pensent que c’est une émeute ?

— Équipes avancées, lui dit Johnson au creux de l’oreille, préparez-vous. Nous faisons mouvement à cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Allez !

Nous ne savons pas vers quoi nous nous précipitons, songea-t-il en se joignant à la ruée vers l’autre extrémité de la galerie et leur cible finale. Une large rampe s’élevait jusqu’à des portes anti-souffle recouvertes d’un placage imitant le grain du bois. Il y eut une explosion dans leur dos, mais il garda la tête baissée et ne regarda pas en arrière. La pression des corps dans leurs tenues renforcées qui se bousculaient devint plus forte, et il trébucha sur quelque chose de mou. Un cadavre vêtu de l’uniforme de Protogène.

— Faites-nous un peu de place ! cria une femme à l’avant.

Il se dirigea vers elle en jouant du coude et de l’épaule pour fendre la foule de soldats. La voix de la femme retentit une seconde fois.

— Quel est le problème ? lui lança-t-il.

— Je ne peux pas découper cette saloperie avec tous ces abrutis qui me poussent, dit-elle en brandissant un chalumeau à l’embout qui blanchissait déjà.

Il saisit aussitôt la situation. Il passa son arme à la bretelle, agrippa les deux hommes les plus proches, les secoua jusqu’à ce qu’ils lui prêtent attention, et colla ses épaules aux leurs.

— Il faut donner un peu d’air aux techniciens, dit-il.

Ensemble ils marchèrent sur leurs propres camarades pour les forcer à reculer. Combien de batailles, dans toute l’histoire, ont été perdues dans des moments comme celui-ci ? se demanda-t-il. La victoire à portée de main, et puis les troupes alliées se marchent dessus. Derrière lui le chalumeau siffla, et la chaleur exerça une pression sur son dos aussi réelle que celle d’une main, malgré sa tenue renforcée.

Au bord de la foule, les armes automatiques claquèrent et grincèrent.

— Comment ça se passe ? cria Miller sans se retourner.

La femme ne répondit pas. Il parut s’écouler des heures, même si l’attente ne dura guère plus de cinq minutes. La brume dégagée par le métal surchauffé et le plastique vaporisé emplit l’air.

Le chalumeau s’éteignit avec un bruit sec. Par-dessus son épaule, Miller vit la cloison s’affaisser et bouger. La technicienne inséra un vérin fin comme une carte de crédit dans l’interstice entre deux plaques, l’activa et recula. Autour d’eux toute la station grogna quand un nouvel ensemble de pressions et de tensions remodela le métal. La cloison céda et s’ouvrit.

— Allons-y ! s’écria Miller.

Il rentra la tête dans les épaules et s’élança dans le passage, gravit au pas de course une rampe moquettée et surgit dans le centre des opérations. Devant leurs ordinateurs, à leurs postes de travail, une douzaine d’hommes et de femmes levèrent sur lui des yeux agrandis par la peur.

— Vous êtes en état d’arrestation ! tonna Miller tandis que les soldats de l’APE se déployaient autour de lui. Enfin, vous ne l’êtes pas, mais… Oh, et puis merde : Mains sur la tête et éloignez-vous de vos postes !

L’un d’eux soupira. Il était aussi grand qu’un Ceinturien mais avec la corpulence plus dense d’un homme ayant grandi dans la pesanteur. Il portait un costume bien coupé, lin et soie écrue, sans les plis et les marques que laissent les heures passées devant un écran.