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— Faites ce qu’ils disent, ordonna-t-il aux autres.

Il avait l’air irrité, mais en aucun cas effrayé.

Les yeux de Miller s’étrécirent.

— Monsieur Dresden ?

L’homme en costume haussa un sourcil au dessin travaillé, hésita une seconde, puis acquiesça.

— Nous vous cherchions, dit Miller.

* * *

Johnson entra dans le centre des opérations du même pas que si l’endroit lui avait appartenu. Avec un port d’épaules plus martial et une certaine raideur dans le tronc, l’ingénieur en chef de la station Tycho avait été remplacé par le colonel. Il survola la salle du regard, puis décocha un regard interrogateur à un des techniciens chevronnés de l’APE.

— Tout est verrouillé, monsieur, répondit l’autre. La station est à vous.

Miller n’avait presque jamais été présent pour assister au moment où un homme connaissait l’absolution. C’était une situation si totalement intime qu’elle approchait le spirituel. Des dizaines d’années plus tôt, cet homme – alors plus jeune, plus vigoureux, sans trace de gris dans les cheveux – avait enlevé une station spatiale en pataugeant jusqu’aux genoux dans le sang et les tripes des Ceinturiens, et Miller nota la décrispation presque imperceptible de sa mâchoire, l’expansion de la poitrine qui démontrait que son fardeau s’était allégé. Il n’avait peut-être pas disparu, mais c’était presque cela. Et c’était plus que ce que bien des gens accomplissaient en toute une existence.

Il se demanda ce qu’il ressentirait, s’il avait un jour l’occasion de faire la même expérience.

— Miller ? dit Fred. J’ai cru comprendre que vous aviez quelqu’un à qui nous aimerions parler.

Dresden déplia son grand corps de son siège et se leva, sans prêter attention aux armes de poing et aux fusils d’assaut alentour, comme si ces choses ne le concernaient pas.

— Colonel Johnson, j’aurais dû m’attendre à ce que quelqu’un de votre calibre soit derrière cette opération. Je m’appelle Dresden.

Il tendit à Fred une carte de visite d’un noir mat. Johnson la prit comme par réflexe, mais n’y jeta pas même un coup d’œil.

— C’est vous le responsable de tout ça ?

Dresden eut un sourire glacial et regarda autour de lui avant de répondre.

— Je dirais que vous êtes responsable d’au moins une partie de tout ça. Vous venez de tuer un certain nombre de personnes qui ne faisaient que leur travail. Mais peut-être que nous pourrions nous dispenser de ces accusations morales pour nous intéresser à ce qui compte réellement ?

Le sourire de Fred atteignit ses yeux.

— Et qu’est-ce qui compte réellement ?

— Les termes de la négociation. Vous êtes un homme d’expérience. Vous comprenez que votre victoire ici vous place dans une position intenable. Protogène est l’une des entreprises les plus puissantes de la Terre. L’APE l’a attaquée, et plus longtemps vous voudrez garder cet endroit sous votre contrôle, plus les représailles seront sévères.

— Ah, c’est comme ça ?

— Bien sûr, dit Dresden en réfutant le ton cassant de Johnson d’un geste nonchalant de la main.

Miller réprima une grimace. Cet homme ne comprenait manifestement pas ce qui se passait.

— Vous avez vos otages. Nous sommes là. Nous pouvons attendre que la Terre envoie quelques dizaines de vaisseaux de guerre et négocie pendant que vous regarderez leurs canons, ou nous pouvons mettre un terme à cette situation maintenant.

— Vous me demandez… combien d’argent je veux pour me replier avec mes hommes et vider les lieux, dit Johnson.

— Si c’est l’argent qui vous intéresse, approuva Dresden avec une moue d’ennui. Ou des armes. L’adoption de certains engagements légaux. Des médicaments. Quoi que ce soit dont vous avez besoin pour poursuivre votre petite guerre et régler rapidement la situation actuelle.

— Je sais ce que vous avez fait sur Éros, déclara le colonel avec calme.

Dresden ricana. Miller en eut la chair de poule.

— Monsieur Johnson, dit-il, personne ne sait ce que nous avons fait sur Éros. Et chaque minute passée à jouer à votre petit jeu est une minute que je pourrais consacrer de façon plus profitable ailleurs. Je peux vous affirmer qu’en ce moment vous êtes dans la meilleure position que vous connaîtrez pour négocier. Vous n’auriez aucun intérêt à faire traîner les choses.

— Et vous proposez ?

Dresden écarta les mains.

— Tout ce que vous voudrez, avec l’amnistie en prime. Tant que ça vous fera sortir d’ici et nous permettra de nous remettre au travail. Nous sommes gagnants tous les deux.

Fred rit. D’un rire forcé.

— Soyons clairs, dit-il. Vous me donnerez tous les royaumes de la Terre si je m’incline et que j’accomplis un acte de dévotion envers vous ?

Dresden parut interloqué.

— Je ne connais pas ce à quoi vous faites référence.

41

Holden

Le Rossinante se posa sur la station Thoth dans les derniers soubresauts de ses propulseurs de manœuvre. Holden sentit les pinces d’arrimage qui saisissaient la coque avec un bruit sourd, et la gravité revint à un tiers de g à peine. La détonation proche d’une ogive à plasma avait arraché la porte extérieure de l’écoutille pour l’équipage et submergé le compartiment de gaz surchauffé, ce qui l’avait clos hermétiquement de façon très efficace. Cela signifiait qu’ils devraient passer par le sas de la soute situé à l’arrière du vaisseau, et rejoindre la station en marchant dans le vide spatial.

Ce n’était pas un problème : ils portaient toujours leurs combinaisons pressurisées. Le Rossi était maintenant percé de tant de trous que le système de recyclage de l’air ne pouvait pas compenser. Par ailleurs leur réserve embarquée d’O2 avait été projetée dans l’espace par la même explosion qui avait mis le sas hors service.

Alex descendit du cockpit, le visage dissimulé par son casque, mais son ventre reconnaissable entre tous même dans sa combinaison. Naomi termina le verrouillage de son poste et mit hors tension le vaisseau avant de rejoindre le pilote, et tous trois descendirent par l’échelle d’équipage à l’arrière du vaisseau. C’était là qu’Amos les attendait, occupé à fixer un kit de propulsion sur sa combinaison et à le charger d’azote comprimé qu’il transvasait d’un réservoir. Il affirma à Holden que la puissance du petit propulseur suffirait à contrer la rotation de la station et leur permettrait d’atteindre un sas d’accès.

Personne ne fit de commentaire. Holden s’était attendu à des plaisanteries. Mais le piteux état du Rossi semblait inciter les autres au silence. Peut-être à une forme de respect.

Holden prit appui contre la paroi de la soute et ferma les yeux. Les seuls sons qu’il pouvait percevoir étaient le sifflement régulier de son alimentation en air et les parasites discrets du système comm. Il ne sentait plus rien à travers son nez cassé et presque bouché par le sang coagulé, et sa bouche était emplie d’un goût métallique. Mais même ainsi il ne put réfréner le sourire qui lui venait aux lèvres.

Ils avaient gagné. Ils avaient foncé droit sur Protogène, ils avaient encaissé tout ce que ces salopards malfaisants pouvaient leur balancer, et ils les avaient fait saigner du nez. À cet instant même les soldats de l’APE déferlaient dans la station et abattaient les gens qui avaient contribué à la mort d’Éros.

Holden décida qu’il supportait très bien son absence de regret pour ces victimes. La complexité morale de la situation avait largement dépassé sa capacité d’analyse, et il préférait se détendre dans le halo tiède de la victoire.