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— Antony, vous avez intérêt à la boucler, lâcha Holden.

Il fut surpris lui-même de cet éclat soudain. Dresden parut déçu.

Ce salopard n’avait aucun droit d’être à l’aise. Condescendant. Holden voulait qu’il soit terrifié, qu’il implore pour qu’on l’épargne, et non qu’il laisse transparaître cette moquerie derrière son discours étudié.

— Amos, s’il m’adresse encore la parole sans qu’on l’ait autorisé à le faire, brisez-lui la mâchoire.

— Avec plaisir, chef, dit le mécanicien qui s’avança d’un pas.

Dresden sourit d’un air suffisant devant la menace de ce poing énorme crispé, mais s’abstint de tout commentaire.

— Que savons-nous ? dit Holden à l’attention de Johnson.

— Nous savons que les données récoltées sur Éros sont transmises ici, et nous savons que cet enfoiré dirige les opérations. Nous en apprendrons plus dès que nous aurons démonté pièce par pièce tout ce complexe.

Holden se tourna de nouveau vers Dresden. Il considéra l’Européen au port aristocratique, avec son physique sculpté par les exercices physiques, sa coupe de cheveux sans doute onéreuse. Même à présent, entouré d’hommes en armes, il arrivait à donner l’impression d’être aux commandes. Holden l’imaginait très bien jetant un coup d’œil négligent à sa montre et se demandant combien de son précieux temps cette intrusion allait encore lui faire perdre.

— J’ai une question à lui poser, dit Holden.

— Allez-y, répondit Johnson. Vous avez bien gagné ce droit.

— Pourquoi ? demanda le capitaine. Je veux savoir pourquoi.

Le sourire de Dresden prit une nuance presque compatissante, et il enfouit les mains dans ses poches avec autant de décontraction qu’un homme parlant de sport dans un bar sur les quais.

— “Pourquoi”, voilà une grande question, dit-il. Parce que Dieu voulait qu’il en soit ainsi ? Ou peut-être que vous voudrez bien être un peu plus précis ?

— Pourquoi Éros ?

— Eh bien, Jim…

— Vous pouvez m’appeler capitaine Holden. Je suis le type qui a trouvé votre vaisseau perdu, et j’ai vu la vidéo de Phœbé. Je sais ce qu’est la protomolécule.

— Vraiment ! dit Dresden dont le sourire devint un tout petit peu moins artificiel. Je vous dois des remerciements pour nous avoir apporté l’agent viral sur Éros. La perte de l’Anubis allait retarder notre agenda de plusieurs mois. La découverte du corps infecté déjà présent dans la station a été un cadeau du ciel.

Je le savais, songea Holden. Je le savais. À voix haute, il répéta :

— Pourquoi ?

— Vous connaissez la nature de l’agent, dit Dresden, déstabilisé pour la première fois depuis l’arrivée d’Holden. Je ne vois pas trop ce que je peux vous dire de plus. C’est la chose la plus importante qui soit jamais arrivée à la race humaine. C’est en même temps la preuve que nous ne sommes pas seuls dans l’univers, et notre passeport pour nous affranchir des limitations qui nous enchaînent à nos petites bulles de roche et d’air.

— Vous ne me répondez pas, insista Holden en détestant la façon dont son nez cassé donnait des accents quelque peu comiques à sa voix alors qu’il aurait voulu paraître menaçant. Je veux savoir pourquoi vous avez tué un million et demi de personnes.

Fred s’éclaircit la voix, mais il se garda d’intervenir autrement. Le regard de Dresden glissa vers le colonel, puis revint se fixer sur Holden.

— Je vous réponds, capitaine. Un million et demi de personnes, ça ne représente pas grand-chose. Ce avec quoi nous travaillons ici est bien plus grand que ça.

Il alla s’asseoir sur une chaise, en prenant soin de remonter légèrement les jambes de son pantalon en croisant les genoux, afin de ne pas déformer le tissu.

— Vous connaissez bien l’histoire de Gengis Khan ? dit-il.

— Quoi ? firent Holden et Fred presque à l’unisson.

Les traits rigides, Miller se contenta de dévisager Dresden tout en tapotant sa cuisse avec le canon de son arme.

— Gengis Khan. Selon certains historiens, il aurait tué ou déplacé un quart de la population humaine totale pendant sa conquête, déclara Dresden. Il l’a fait pour créer un empire qui s’est désagrégé peu de temps après sa mort. À l’échelle actuelle, ça équivaudrait à tuer près de dix milliards de personnes pour affecter une génération, une génération et demie. Éros n’est même pas une erreur d’arrondi, en comparaison.

— Vous ne vous en souciez vraiment pas, dit Johnson d’un ton posé.

— Et contrairement à Khan, nous n’agissons pas ainsi pour construire un empire éphémère. Je sais ce que vous pensez. Que nous tentons de grossir notre rôle. De nous emparer du pouvoir.

— Et ce n’est pas ce que vous voulez ? demanda Holden.

— Bien sûr que si, répliqua sèchement Dresden. Mais vous voyez trop petit. Construire le plus grand empire que l’humanité ait jamais connu, c’est comme bâtir la plus grande fourmilière du monde. C’est insignifiant. Quelque part dans cet univers, il y a une civilisation qui a conçu la protomolécule et l’a lancée vers nous il y a plus de deux milliards d’années. Quand ils l’ont fait, ces êtres étaient déjà des dieux. Que sont-ils devenus, depuis ? Avec une avance supplémentaire sur nous de deux milliards d’années ?

Holden l’écoutait avec un sentiment croissant d’effroi. Ce discours lui avait l’air déjà prononcé. Peut-être même à maintes reprises. Et il avait fonctionné. Il avait convaincu des gens puissants. C’était pour cette raison que Protogène disposait de vaisseaux furtifs construits dans les chantiers terriens, et d’un soutien apparemment illimité en coulisse.

— Nous avons énormément de retard à rattraper, messieurs, poursuivit Dresden. Mais par chance nous disposons de l’outil de notre ennemi pour y parvenir.

— Rattraper ? dit un soldat sur la gauche d’Holden.

Dresden regarda l’homme et sourit.

— La protomolécule peut altérer l’organisme hôte au niveau moléculaire. Elle peut créer à toute vitesse des changements génétiques. Pas seulement l’ADN, mais aussi tout reproducteur stable, par mitose. Mais ce n’est qu’une machine. Elle ne pense pas. Elle suit des instructions. Si nous découvrons comment modifier cette programmation, alors nous pourrons devenir les artisans de ce changement.

— Si c’était censé balayer toute vie de la surface de la Terre et la remplacer par ce que souhaitent les concepteurs de la protomolécule, pourquoi l’avoir lâchée ?

— Excellente question, dit Dresden, et il leva l’index comme un professeur d’université s’apprêtant à faire un cours magistral. La protomolécule ne se présente pas avec un manuel d’utilisation. En fait, jamais encore nous n’avions été en situation de l’observer pendant qu’elle accomplit son programme. Elle a besoin d’une biomasse significative avant de développer une puissance de traitement qui lui permette d’accomplir ses instructions. Quelles qu’elles soient.

Il désigna les écrans envahis par les données autour d’eux.

— Nous allons étudier son mode de fonctionnement. Pour voir ce qu’elle a l’intention de faire. Et, nous l’espérons, apprendre comment modifier ce programme en cours de route.

— Vous pourriez faire ça avec une cuve de bactéries, fit remarquer Holden.

— Je ne suis pas intéressé par la modification des bactéries, répondit Dresden.

— Bordel, vous êtes complètement siphonné, grommela Amos en faisant un autre pas vers Dresden.