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Holden posa la main sur l’épaule massive du mécanicien.

— Donc vous découvrez comment le virus fonctionne, dit-il. Et ensuite ?

— Ensuite, tout. Des Ceinturiens qui peuvent travailler à l’extérieur d’un vaisseau sans porter de combinaison. Des humains capables de dormir des centaines d’années en continu pendant que leurs vaisseaux colonisateurs atteignent les étoiles. Fini les liens avec les millions d’années d’évolution à l’intérieur d’une atmosphère et une pesanteur de un g, en étant esclaves de l’oxygène et de l’eau. Nous décidons de ce que nous voulons être, et nous nous reprogrammons pour le devenir. C’est ce que la protomolécule nous offre.

Dresden s’était levé en parlant, et l’ardeur du prophète illuminait ses traits.

— Ce que nous faisons représente le meilleur et l’unique espoir de survie pour l’humanité. Lorsque nous nous élancerons dans l’univers, nous ferons face aux dieux.

— Et si nous ne nous élançons pas dans l’univers ? demanda Johnson, l’air pensif.

— Ils ont déjà tiré sur nous avec une arme d’apocalypse, répondit Dresden.

Pendant quelques instants, le silence régna dans la pièce. Holden sentait vaciller ses certitudes. Il détestait chaque étape du raisonnement de Dresden, mais il ne voyait pas comment la démonter. Au plus profond de son être, il savait qu’il y avait là une erreur fatidique, mais il ne trouvait pas les mots pour l’exprimer.

La voix de Naomi le fit tressaillir :

— Est-ce que ça les a convaincus ?

— Je vous demande pardon ? dit Dresden.

— Les scientifiques. Les techniciens. Tous ceux dont vous avez eu besoin pour que la chose se produise. Ce sont eux qui devaient le faire. Eux qui devaient concevoir ces chambres radioactives pour tuer en masse. Donc, et à moins que vous ayez rassemblé tous les tueurs en série du système solaire et que vous leur ayez fait suivre un programme d’études de troisième cycle, comment vous y êtes-vous pris ?

— Nous avons modifié notre équipe scientifique pour l’expurger de toute entrave éthique.

D’un coup, une demi-douzaine de pièces du puzzle se mirent en place dans l’esprit d’Holden.

— Des sociopathes, dit-il. Vous en avez fait des sociopathes.

— Des sociopathes hautement fonctionnels, approuva Dresden, l’air heureux d’expliquer ce point. Et dotés d’une très grande curiosité. Aussi longtemps que nous leur avons fourni des problèmes intéressants à résoudre, ils se sont montrés très satisfaits de leur sort.

— Avec une grosse équipe de sécurité armée de fusils tirant des cartouches antiémeute au cas où ils se montreraient un peu moins satisfaits, dit Johnson.

— Oui, ce genre de choses arrive, admit Dresden en regardant autour de lui, front plissé. Je sais. Vous pensez que c’est monstrueux, mais je suis en train de sauver la race humaine. J’offre les étoiles à l’humanité. Vous désapprouvez ? Très bien. Laissez-moi vous poser une question : Pouvez-vous sauver Éros ? Maintenant.

— Non, répondit Johnson. Mais nous pouvons…

— Perdre toutes les données, l’interrompit Dresden. Vous pouvez vous assurer que chaque homme, chaque femme, chaque enfant mort sur Éros soit mort pour rien.

Le silence s’abattit sur la pièce. Sourcils froncés, Fred restait bras croisés. Holden comprenait le combat intérieur qu’il vivait. Tout ce qu’avait dit Dresden était répugnant, irréel, et avait pourtant beaucoup trop les accents de la vérité.

— Ou bien nous pouvons négocier un prix, reprit Dresden. Vous pouvez suivre votre chemin, et quant à moi je peux…

— Bon, ça suffit, dit Miller.

C’était la première fois qu’il parlait depuis que Dresden avait entamé son discours. Holden se tourna vers lui et vit que son visage s’était figé sur une expression glaciale. Il ne tapotait plus sa cuisse avec le canon de son arme.

Oh, merde.

42

Miller

Dresden ne vit rien venir. Alors même que Miller levait son pistolet, le vice-président de Protogène n’enregistra aucune menace. Tout ce qu’il vit était l’ex-inspecteur tenant dans la main un objet qui se trouvait être une arme. Un chien aurait eu assez d’instinct pour s’en effrayer, mais pas Dresden.

— Miller ! s’écria Holden de très loin. Non !

Presser la détente était simple. Un déclic doux, le recul du métal dans sa main gantée, puis deux fois de plus. La tête de Dresden fut rejetée en arrière, dans un nuage de sang. Un grand écran en fut éclaboussé au point que le défilement des données en fut occulté. Miller s’approcha, tira deux autres balles dans la poitrine de sa victime, parut réfléchir un instant et rengaina son arme.

Un silence stupéfait régnait dans la pièce. Les soldats de l’APE s’entre regardaient ou dévisageaient Miller. Déroutés par cette violence soudaine, même après la ruée de l’assaut. Naomi et Amos s’étaient tournés vers Holden, et celui-ci considérait le cadavre. Le visage blessé d’Holden n’était plus qu’un masque de fureur, d’indignation, peut-être même de désespoir. Miller pouvait le comprendre. Le Terrien ne s’était toujours pas accoutumé à l’idée de faire ce qui était pourtant évident. À une époque, Miller avait éprouvé certaines difficultés pour franchir le pas, lui aussi.

Seul Fred ne semblait pas nerveux, ni ébranlé. Il ne souriait pas, ne s’était pas crispé non plus, et il ne détournait pas le regard.

— Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? s’exclama enfin Holden à travers son nez bouché par le sang. Vous l’avez abattu de sang-froid !

— Ouais.

Le capitaine secoua la tête d’un air abasourdi.

— Et un procès ? Et la justice ? Vous décidez, et c’est comme ça ?

— Je suis flic, dit Miller, surpris du ton d’excuse qui perçait dans sa voix.

— Est-ce que vous êtes encore humain, seulement ?

— Très bien, messieurs, trancha sèchement Johnson. Le spectacle est terminé. Remettons-nous au travail. Je veux l’équipe de décryptage ici au plus tôt. Nous avons des prisonniers à évacuer et une station entière à démonter.

Le regard d’Holden passa du colonel à Miller, puis à Dresden. La fureur tétanisait presque sa mâchoire.

— Eh, Miller, réussit-il à dire.

— Ouais ? répondit l’ex-policier à mi-voix, se doutant de ce qui allait suivre.

— Trouvez-vous un autre taxi pour rentrer à la maison, lâcha le capitaine du Rossinante.

Il tourna les talons et sortit à grands pas de la pièce, suivi de son équipage. Miller les regarda s’éloigner. Le regret lui serra un peu le cœur, mais il n’y avait rien qu’il puisse faire pour changer les choses. Le trou dans la cloison parut les avaler. Il se tourna vers Fred.

— Vous prenez en stop ?

— Vous portez nos couleurs, répondit le colonel. Nous pouvons vous amener jusqu’à Tycho.

— J’apprécie le geste, dit Miller, qui ajouta, après deux secondes de silence : Vous saviez qu’il fallait le faire.

Johnson ne répondit pas. Il n’y avait rien à dire.

* * *

La station Thoth était blessée, mais pas morte. Pas encore. La nouvelle d’une équipe de sociopathes se répandit rapidement, et les forces de l’APE prirent l’avertissement au sérieux. La phase d’occupation et de contrôle dura quarante heures au lieu des vingt qu’elle aurait demandées avec des prisonniers ordinaires. Avec des humains. Miller participa comme il le put.

Les garçons de l’APE étaient pleins de bonnes intentions, mais dans leur grande majorité ils n’avaient encore jamais eu à gérer des populations captives. Ils ne savaient pas comment menotter quelqu’un à un poignet et un coude de façon que cette personne ne puisse pas tenter de les étrangler. Ils ignoraient comment neutraliser quelqu’un avec une longueur de corde passée autour de son cou afin que le prisonnier ne puisse pas s’étouffer jusqu’à en mourir, par accident ou intentionnellement. La moitié d’entre eux ne savaient même pas comment fouiller un suspect. Miller connaissait toutes ces techniques comme si c’était un jeu auquel il se serait adonné depuis l’enfance. En cinq heures il découvrit vingt couteaux dissimulés sur les membres de l’équipe scientifique. Il agissait sans presque réfléchir.