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— Peut-être que j’aurai un 20 dans mon prochain bulletin de notes, plaisanta-t-elle tout en écartant son chalumeau avant de se remettre debout.

Holden chercha une repartie aimable à cette remarque, mais n’en trouva pas.

— Désolée, dit-elle en se tournant vers lui. J’apprécie que vous ayez vanté mon travail auprès du chef. Et pour être franche, ça a été un plaisir de travailler sur votre vaisseau. C’est une vraie beauté. Les dégâts qu’il a subis auraient transformé en épave irrécupérable tous les appareils dont nous disposons.

— Il s’en est fallu de peu, même pour nous, répondit-il.

— Je m’en doute.

Elle commença à ranger ses outils. Pendant qu’elle s’affairait, Naomi descendit par l’échelle d’équipage depuis les ponts supérieurs. Sa tenue de travail était alourdie par son matériel d’électricienne.

— Comment ça se passe, là-haut ? s’enquit Holden.

— On en est à quatre-vingt-dix pour cent, plus ou moins.

Elle traversa la coquerie, ouvrit le réfrigérateur et prit une bouteille de jus de fruits pour elle, et une autre qu’elle lança à Sam. Celle-ci attrapa le cadeau au vol, d’une seule main, et le brandit en une imitation de toast.

— Naomi, dit-elle avant d’avaler la moitié de sa boisson.

— Sammy, répondit Naomi en souriant.

Toutes deux s’étaient bien entendues dès le premier instant, et à présent Naomi passait beaucoup de temps avec Sam et ses collègues de Tycho. Holden rechignait à le reconnaître, mais il regrettait de ne plus être l’unique lien social de la jeune femme. Quand il devait bien l’admettre, comme maintenant, il se faisait l’impression d’être un sale type.

— Golgo comp in rec, ce soir ? dit Sam après avoir vidé sa bouteille.

— Tu penses que ces lourdauds du C7 n’en ont pas assez de se faire ramasser ? répondit Naomi.

Pour Holden, elles parlaient selon un code incompréhensible.

— On peut rater le premier coup, proposa Sam. Les harponner comme il faut avant d’y aller à la masse et de leur flanquer une déculottée.

— Ça me va, dit Naomi. On se retrouve à huit heures, donc.

Elle fit tomber sa bouteille vide dans le recycleur et se mit à gravir l’échelle. Avant de disparaître, elle adressa un signe de la main à Holden.

— À plus, chef.

— Combien de temps encore ? demanda le Terrien à Sam.

Elle avait fini de ranger ses outils.

— Bah, deux ou trois jours, pour fignoler. Votre vaisseau pourrait très certainement voler dès maintenant, si vous ne vous souciez pas de l’esthétique et de ce qui n’est pas essentiel.

— Merci encore, dit-il.

Il lui tendit la main et elle la serra en pivotant. Elle avait la poigne ferme, et la paume calleuse.

— Et j’espère que vous ferez des serpillières de ces lourdauds du C7.

Elle eut un sourire carnassier.

— Ça ne fait aucun doute.

* * *

Par l’intermédiaire de Fred Johnson, l’APE avait fourni des appartements à l’équipage pendant le temps de la rénovation du Rossi, et depuis quelques semaines celui d’Holden était presque devenu un foyer pour lui. Tycho ne manquait pas d’argent, et les autorités semblaient en dépenser beaucoup pour ses employés. Holden avait trois pièces pour lui seul, avec une baignoire et un coin cuisine personnel. Sur la plupart des autres stations, il aurait fallu être gouverneur pour profiter d’un tel luxe. Ici, il avait l’impression que c’était la norme pour les cadres dirigeants.

Il mit sa combinaison crasseuse dans le panier à linge sale et prépara du café frais avant de passer sous la douche. Une douche chaque soir, après le travail : un autre luxe presque impensable. Il aurait été facile de se laisser distraire, de commencer à considérer cette période de réparation du vaisseau et cet appartement confortable comme étant la normalité, et non un interlude. Il ne pouvait pas se laisser aller à ce genre d’idée.

L’assaut de la Terre sur Mars occupait une grande place aux infos. Si les dômes martiens étaient encore intacts, deux averses de météores avaient constellé de cratères les flancs du mont Olympe. La Terre affirmait qu’il s’agissait de débris de Deimos, Mars, que c’était une menace et une provocation intentionnelles. Les vaisseaux martiens revenant des géantes gazeuses fonçaient à vitesse maximale vers les planètes intérieures. Chaque jour, chaque heure rapprochait l’humanité du moment où la Terre devrait chercher l’anéantissement de Mars, ou replier ses forces. Selon la rhétorique de l’APE, quel que soit le vainqueur il se retournerait ensuite contre elle. Holden avait simplement aidé Fred Johnson à commettre ce qui serait vu comme étant le plus grand acte de piraterie dans toute l’histoire de la Ceinture.

Et dans le même temps un million et demi de personnes mouraient sur Éros. Il repensa aux vidéos montrant ce qui arrivait aux occupants de la station, et il frissonna malgré la tiédeur de la douche.

Oh, et les extraterrestres. Des aliens qui avaient tenté de s’emparer de la Terre, deux milliards d’années plus tôt, et avaient échoué parce que Saturne s’était interposé. Il ne faut pas oublier les extraterrestres. Son cerveau se refusait toujours à accepter cette réalité, et continuait de prétendre qu’ils n’existaient pas.

Il prit une serviette et alluma l’écran mural dans le salon pendant qu’il se séchait. L’air charriait les odeurs concurrentes du café, de l’humidité venue de la douche et de ce parfum discret d’herbe et de fleur que Tycho diffusait dans toutes les résidences. Il mit les infos, mais on n’y faisait que spéculer sur la guerre sans offrir aucune révélation inédite. Il passa sur un jeu de compétition aux règles incompréhensibles qui mettait en scène des participants au comportement à la limite du psychotique. Il sauta à quelques émissions qui devaient être des comédies, car les acteurs s’interrompaient fréquemment en attendant des rires.

Quand sa mâchoire commença à devenir douloureuse, il se rendit compte qu’il grinçait des dents depuis déjà longtemps. Il éteignit l’écran et lança la télécommande sur le lit, dans la chambre adjacente. Il se ceignit de la serviette et s’écroula sur le canapé au moment précis où le carillon de l’entrée faisait entendre son tintement.

— Quoi ? hurla-t-il à pleins poumons.

Pas de réponse. L’insonorisation était excellente, sur Tycho. Il alla jusqu’à la porte, arrangeant la serviette en chemin pour préserver au mieux sa pudeur, et ouvrit d’un geste sec.

C’était Miller. Il portait un costume gris fripé sans doute rapporté de Cérès, et tournait entre ses mains ce feutre ridicule.

— Holden, salut, je…, commença-t-il, mais le Terrien l’interrompit :

— Qu’est-ce que vous voulez ? Et vous êtes vraiment planté là, devant ma porte, avec votre chapeau dans les mains ?

L’inspecteur sourit, puis remit son couvre-chef sur son crâne.

— Voyez-vous, je me suis toujours demandé ce que ça signifiait.

— Maintenant, vous savez, répliqua Holden.

— Vous auriez une minute ?

Holden se figea un instant, toisa son visiteur efflanqué. Mais il ne tarda pas à renoncer. Il pesait certainement vingt kilos de plus que Miller, mais il était impossible d’intimider en le regardant de haut quelqu’un qui vous dépassait d’une bonne tête.

— Ça va, entrez, dit-il en tournant les talons et en se dirigeant vers sa chambre. Laissez-moi le temps de m’habiller. Il y a du café frais.