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Il n’attendit pas de réponse. Il referma la porte derrière lui et s’assit sur le lit. Depuis leur retour sur Tycho, Miller et lui n’avaient pas échangé plus d’une douzaine de mots. Il savait très bien qu’ils ne pouvaient pas en rester là, quand bien même il l’aurait préféré. Il devait au moins à cet homme la conversation durant laquelle il lui dirait d’aller au diable.

Il passa un pantalon en coton épais et un pull-over, coiffa ses cheveux humides d’une main pressée, et retourna dans le salon. Une chope fumante à la main, Miller était assis sur son canapé.

— Le café est bon, commenta-t-il.

— Allez, je vous écoute, répliqua Holden en prenant place dans le fauteuil face à son visiteur.

Miller but une gorgée avant de dire :

— Eh bien…

— Vous allez m’expliquer que vous avez très bien fait de loger une balle en plein visage d’un homme désarmé, et que je suis trop naïf pour le comprendre, c’est bien ça ?

— De fait…

— Je vous l’ai déjà dit, coupa Holden, surpris de sentir une chaleur soudaine monter à ses joues. Je ne veux plus de ces conneries de juge, jury et bourreau, vous l’avez déjà fait, de toute façon.

— Oui.

Cette simple réponse affirmative prit le capitaine au dépourvu.

— Mais pourquoi ?

Miller but encore un peu de café avant de poser sa chope. Il porta une main à son chapeau, l’ôta et le jeta à côté de lui. Enfin il se laissa aller en arrière, contre le dossier du canapé.

— Il allait s’en tirer.

— Pardon ? Vous avez raté l’épisode où il a tout avoué ?

— Ce n’étaient pas des aveux. Il se vantait de ces horreurs. Il était intouchable, et il le savait. Trop d’argent en jeu. Trop de pouvoir.

— Conneries. Personne ne fait tuer un million et demi de personnes sans payer.

— Des gens s’en tirent sans payer tout le temps. Ils sont coupables à cent pour cent, mais quelque chose se met en travers de leur juste condamnation. Une preuve. La politique. Pendant un temps, j’ai eu une équipière du nom de Muss. Quand la Terre s’est retirée de Cérès…

— Stop, dit Holden. Ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas vous entendre raconter une fois de plus comment le fait d’être flic vous a rendu plus sage et plus profond et plus capable d’affronter la réalité en ce qui concerne l’humanité. De ce que je vois, ça vous a surtout brisé. D’accord ?

— Ouais, d’accord.

— Dresden et ses copains chez Protogène pensaient qu’ils avaient le droit de choisir qui vit et qui meurt. Ça ne vous rappelle rien ? Et ne me dites pas que cette fois c’est différent, parce c’est ce qu’on dit tout le temps dans ces situations. Et c’est faux.

— Ce n’était pas une question de vengeance, dit Miller avec un peu trop de conviction.

— Oh, vraiment ? Ce n’était pas en rapport avec cette fille de l’hôtel ? Julie Mao ?

— L’arrestation de Dresden, oui. Son exécution…

Miller soupira, se leva et alla jusqu’à la porte qu’il ouvrit. Il se retourna. Une expression de souffrance crue imprégnait ses traits.

— Il allait nous convaincre, dit-il. Tout ce laïus sur les étoiles devenant à notre portée, et la nécessité de nous protéger de ce qui a envoyé cette chose vers la Terre. J’ai commencé à penser qu’il risquait de s’en sortir. Peut-être qu’il y avait trop en jeu pour les simples notions de bien et de mal. Je ne dis pas qu’il m’a convaincu. Mais il m’a fait penser que, peut-être… Vous saisissez ? Peut-être…

— Et c’est pour cette raison que vous l’avez abattu.

— Ouais.

Holden soupira, croisa les bras et s’adossa contre le mur près de la porte.

— Amos dit de vous que vous êtes droit, déclara Miller. Vous savez ça ?

— Il se prend pour le mauvais garçon de l’histoire parce qu’il a fait quelques trucs dont il a honte, il y a longtemps, expliqua le Terrien. Il n’a pas toujours confiance en lui-même, mais le fait qu’il s’interroge me prouve que ce n’est pas un mauvais type.

— Ouais, commença Miller, mais Holden ne le laissa pas poursuivre :

— Il examine son âme, il voit les taches qui la souillent, et il veut les nettoyer. Mais vous ? Vous, vous dites “c’est comme ça”, et vous passez à autre chose.

— Dresden était…

— Il ne s’agit pas de Dresden. Il s’agit de vous. Je ne peux pas vous faire assez confiance pour vous laisser en compagnie des gens qui m’importent.

Holden regarda fixement Miller, guettant une réponse, mais l’ex-policier hocha simplement la tête. Il remit son chapeau et s’éloigna dans le couloir en courbe légère. Il ne se retourna pas.

Holden referma la porte de l’appartement. Il essaya de se détendre, mais il se sentait irrité, avec les nerfs à fleur de peau. Sans l’aide de Miller, jamais il n’aurait réussi à quitter Éros. Le constat était évident : lui faire la leçon n’était pas la solution. Cela lui semblait insuffisant.

La vérité, c’était que cet homme lui donnait la chair de poule chaque fois qu’ils se retrouvaient dans la même pièce. L’ex-flic était pareil à un chien imprévisible qui pouvait vous lécher la main ou vous mordre le mollet.

Il envisagea d’appeler Fred Johnson pour le mettre en garde. Ce fut Naomi qu’il contacta.

— Salut, répondit-elle à la deuxième sonnerie, et en fond sonore il perçut le brouhaha joyeux et alimenté par l’alcool d’un bar.

— Naomi, dit-il avant de faire silence et de chercher une excuse pour cet appel, excuse qu’il ne trouva pas. Miller était ici, il y a un instant, fit-il platement.

— Ouais, il nous a coincés tout à l’heure, Amos et moi. Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Je ne sais pas, avoua-t-il, soudain las. Faire ses adieux, peut-être.

— Vous faites quoi, là ? demanda-t-elle. Vous voulez qu’on se voie ?

— Oui. Oui, je veux qu’on se voie.

* * *

Dans un premier temps, Holden ne reconnut pas l’établissement, mais après avoir commandé un scotch à un serveur faisant preuve d’une amabilité toute professionnelle, il se rendit compte que c’était là qu’il avait regardé Naomi chanter en karaoké une chanson punk ceinturienne, ce qui lui parut remonter à des siècles plus tôt. Elle arriva et se laissa tomber sur la banquette face à lui dans le box, juste au moment où on lui apportait sa consommation. Le serveur l’interrogea du regard.

— Euh, non, dit-elle en agitant les mains dans sa direction. J’ai déjà eu ma dose, ce soir. Juste un peu d’eau, merci.

Tandis que le serveur s’éclipsait, Holden dit :

— Comment s’est passé votre, euh… Qu’est-ce que le Golgo, exactement, au fait ? Et comment ça s’est passé ?

— Un jeu à la mode ici, dit Naomi qui prit le verre d’eau que le serveur réapparu lui présentait et en but la moitié d’un coup. Un genre de mélange entre les fléchettes et le football. Je n’avais encore jamais vu ça, mais il semblerait que je sois plutôt douée. Nous avons gagné.

— Bravo. Merci d’être venue. Je sais qu’il est tard, mais cette histoire avec Miller m’a mis les nerfs en pelote.

— Il voudrait que vous lui accordiez l’absolution, je crois.

— Parce que je suis “droit”, dit-il avec un petit rire sarcastique.

— C’est ce que vous êtes, répondit-elle sans aucune ironie. Je veux dire : le terme est un peu fort, mais vous êtes la personne que je connais à qui il s’applique le mieux.

— J’ai tout foiré, lâcha-t-il avant de pouvoir se reprendre. Tous ceux qui ont essayé de nous aider, ou que nous avons essayé d’aider, tous sont morts de façon horrible. Toute cette saloperie de guerre. Et le commandant McDowell, et Becca, et Ade. Et Shed…