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— Alors il faut vous en débarrasser.

— Et comment m’y prendrais-je ? rétorqua Johnson. Même si nous truffions le tout de charges nucléaires, comment avoir l’assurance absolue qu’aucune parcelle de cette chose ne pourrait pas atteindre une colonie ou un puits de gravité ? Faire exploser la station serait comme éparpiller le duvet d’un pissenlit dans le vent.

Miller n’avait jamais vu de pissenlit, mais il comprenait le problème. La plus infime portion de cette substance qui avait envahi Éros suffirait à réitérer le phénomène. Et cette substance s’épanouissait avec la radioactivité. Griller la station avec des charges nucléaires risquait fort de précipiter le développement de cette horreur au lieu de l’anéantir. Pour avoir la certitude que la protomolécule présente sur Éros ne se propage pas ailleurs, il fallait qu’ils réduisent à l’état d’atomes dissociés tout ce qui constituait la station…

— Oh, fit Miller.

— Oh ?

— Ouais. Ça ne va pas vous plaire.

— Allez-y.

— D’accord. C’est vous qui êtes demandeur. Il faut précipiter Éros dans le soleil.

— Dans le soleil…, répéta Fred. Avez-vous la moindre idée de la masse dont nous parlons ?

D’un mouvement de tête, Miller désigna la grande surface de la baie, le chantier de construction au-delà, et le Nauvoo.

— Ce géant possède des moteurs énormes, dit-il. Envoyez quelques appareils rapides jusqu’à la station, pour vous assurer que personne ne puisse y aborder. Ensuite précipitez le Nauvoo contre Éros, et propulsez l’astéroïde en direction du soleil.

Les yeux de Johnson se voilèrent pendant qu’il envisageait cette solution, calculait et soupesait.

— Il faut s’assurer que personne n’atteigne la station avant qu’elle heurte la couronne solaire. Ce sera difficile, mais Mars et la Terre sont l’un comme l’autre plus soucieux d’empêcher le camp adverse d’accéder à Éros que d’y accéder eux-mêmes.

Je suis désolé de ne pas pouvoir faire mieux, Julie, pensa-t-il. Mais ce seront des funérailles grandioses.

La respiration de Johnson se fit plus lente et plus profonde, et son regard s’égara comme s’il lisait dans l’air quelque chose que lui seul pouvait voir. Miller patienta, malgré le silence qui devenait pesant. Il s’écoula presque une minute avant que le colonel souffle bruyamment.

— Les Mormons vont très mal le prendre, lâcha-t-il.

45

Holden

Naomi parlait pendant son sommeil. C’était une des dizaines de particularités qu’Holden ignorait sur elle avant cette nuit. Même s’ils avaient souvent dormi dans des sièges anti-crash séparés de seulement quelques dizaines de centimètres, il ne l’avait jamais remarqué. À présent, avec la tête de la jeune femme posée sur sa poitrine nue, il sentait les mouvements de ses lèvres et le souffle doux et modulé qui accompagnait ses paroles. En revanche, il n’arrivait pas à saisir ce qu’elle disait.

Elle avait également une cicatrice dans le dos, juste au-dessus de la fesse gauche. Longue de sept centimètres environ, elle avait les bords dentelés d’une déchirure plutôt que d’une coupure. Elle n’était pas adepte des bagarres de bar, ce devait donc être un souvenir de travail. Peut-être avait-elle voulu se glisser dans un espace trop étroit de la salle des machines, alors que le vaisseau se lançait dans une manœuvre inattendue. Un chirurgien esthétique compétent aurait pu faire disparaître cette marque disgracieuse en une seule séance. Qu’elle n’ait pas pris cette peine et que visiblement cela ne la préoccupe pas constituait un autre aspect de sa personnalité qu’il avait découvert cette nuit.

Elle cessa de murmurer et se passa la langue sur les lèvres à plusieurs reprises, avant de dire :

— Soif.

Holden glissa précautionneusement pour s’écarter d’elle et se dirigea vers la cuisine, conscient qu’il cédait à l’obséquiosité accompagnant toujours les premiers émois avec un nouvel amour. Pendant les deux semaines à venir, il serait incapable de ne pas complaire au moindre désir que Naomi exprimerait. Chez certains hommes, c’était un comportement presque génétique, comme si leur ADN les poussait à s’assurer que cette première fois n’était pas un pur concours de circonstances.

La disposition de sa chambre était différente de la sienne, ce qui le rendit maladroit dans l’obscurité. Il tâtonna un bon moment dans le coin cuisine avant de trouver un verre. Quand il l’eut rempli et fut revenu auprès d’elle, la jeune femme était assise dans le lit, le drap ramassé sur ses jambes. À sa vue, à demi nue dans la pénombre de la pièce, il eut une érection aussi subite qu’embarrassante.

Le regard de Naomi détailla son corps, s’attarda au niveau de sa taille, puis sur le verre d’eau.

— C’est pour moi ? dit-elle.

Ne sachant pas avec certitude de quoi elle parlait, il répondit simplement par l’affirmative.

* * *

— Tu dors ?

Naomi avait la joue posée sur le ventre d’Holden, et sa respiration était lente et profonde, mais à la grande surprise du Terrien elle répondit aussitôt :

— Non.

— On pourrait parler ?

Elle roula sur elle-même et se redressa jusqu’à ce que son visage soit près du sien sur l’oreiller. Ses cheveux retombaient sur ses yeux, et de la main il les repoussa, dans un mouvement si intime et possessif qu’il dut déglutir pour chasser le nœud se formant dans sa gorge.

— Est-ce que tu envisagerais les choses sérieusement avec moi ? demanda-t-elle, les yeux mi-clos.

— Oui, dit-il, et il déposa un baiser sur son front.

— Mon dernier amant, c’était il y a plus d’un an. Je suis une serial monogame, donc, en ce qui me concerne, c’est un contrat d’exclusivité jusqu’à que l’un de nous deux décide que ça ne l’est plus. Pour peu que tu préviennes un peu à l’avance de ta décision de mettre fin au contrat, je ne t’en voudrai pas. Je suis ouverte à l’idée que notre relation dépasse l’aspect sexuel, mais d’après mon expérience ça viendra tout seul, si ça doit venir. J’ai des ovules stockés sur Europe et Luna, au cas où tu voudrais savoir.

Elle se dressa sur un coude, et son visage domina celui d’Holden.

— Est-ce que j’ai fait le tour du sujet ?

— Non, répondit-il. Mais je suis d’accord avec les conditions.

Elle se laissa retomber sur le dos et poussa un long soupir de satisfaction.

— Bien.

Il aurait aimé la serrer dans ses bras, mais comme il était brûlant et en sueur il se contenta de lui prendre la main. Il voulait lui dire que pour lui c’était réellement important, que c’était déjà plus qu’une relation sexuelle, mais toutes les phrases qui se bousculaient dans sa tête lui semblaient immédiatement sonner faux, ou être trop larmoyantes.

— Merci, dit-il simplement.

Mais déjà elle ronflait paisiblement.

* * *

Le matin venu, ils refirent l’amour. Après une longue nuit sans avoir dormi assez, leurs ébats tournèrent plus à l’effort qu’à la détente pour Holden, mais il y trouva aussi du plaisir, comme si un rapport moins torride signifiait quelque chose de différent, de plus amusant et doux que ce qu’ils avaient déjà connu ensemble. Ensuite il alla dans la cuisine, fit du café et le rapporta dans la chambre sur un plateau. Ils burent sans parler, et une partie de la timidité qu’ils avaient évitée la nuit précédente s’imposa alors dans l’éclairage artificiel qui baignait la pièce.