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Ta place est auprès de moi, dit-elle.

Dès que ce sera terminé, pensa-t-il. Il était vrai qu’il repoussait la conclusion de cette affaire. D’abord trouver Julie, ensuite la venger, et maintenant détruire le projet qui lui avait volé la vie. Mais quand ce serait fait, il pourrait lâcher les rênes.

Il lui restait seulement cette dernière étape à accomplir.

Vingt minutes plus tard, l’alarme générale retentit. Trente minutes plus tard, les moteurs s’allumèrent, le plaquant au gel d’accélération dans un écrasement qui allait durer treize jours sous gravité démultipliée, avec des pauses à gravité normale toutes les quatre heures, pour les fonctions biologiques. Et quand ils en auraient fini, l’équipage de bons à rien mal entraînés manipulerait des mines à charge nucléaire capables de les anéantir si l’un d’eux commettait une erreur.

Mais, au moins, Julie serait là. Pas réellement, mais quand même là.

Rêver ne faisait pas de mal.

47

Holden

Même le goût de cellulose humide des œufs brouillés reconstitués artificiellement ne réussit pas à dissiper le halo de douce autosatisfaction qui nimbait l’esprit d’Holden. Il fourra les faux œufs dans sa bouche en essayant de ne pas sourire. Assis à sa gauche à la table de la coquerie, Amos se goinfrait avec un enthousiasme bruyant. À la droite du capitaine, Alex repoussait la substance molle dans son assiette à l’aide d’un bout de toast tout aussi contrefait. En face de lui, Naomi buvait à petites gorgées une tasse de thé et l’épiait sous la cascade de ses cheveux. Il se retint de lui lancer un clin d’œil.

Ils avaient discuté de la meilleure manière d’annoncer la nouvelle aux autres, mais n’étaient pas parvenus à un consensus. Il détestait les cachotteries, et garder secrète l’évolution de leurs rapports lui paraissait les rendre sales, ou honteux. Ses parents l’avaient élevé dans la croyance que le sexe était un domaine appartenant au privé, non parce qu’il était source de gêne envers autrui, mais parce qu’il ressortissait au domaine intime. Avec cinq pères et trois mères, les arrangements pour savoir qui couchait avec qui étaient toujours facteurs de complexité chez lui, mais les discussions abordant ce sujet ne lui avaient jamais été cachées. Cette expérience lui avait laissé une aversion profonde pour toute dissimulation concernant ses propres activités dans ce domaine.

De son côté, Naomi estimait qu’ils ne devaient rien faire qui soit susceptible de mettre en péril l’équilibre fragile qu’ils avaient tous trouvé, et Holden avait tendance à faire confiance aux instincts de la jeune femme. Elle possédait une perception de la dynamique de groupe qui lui faisait souvent défaut. En conséquence et pour l’instant, il s’alignait sur sa position.

Par ailleurs il aurait eu l’impression de se vanter de ses exploits sexuels, ce qui pour lui aurait été indécent.

D’un ton volontairement neutre et professionnel, il dit :

— Naomi, vous pouvez me passer le poivre ?

Amos releva vivement la tête et lâcha sa fourchette qui tomba en claquant sur la table.

— Bordel de merde, vous l’avez fait !

— Euh…, fit Holden. Quoi ?

— Il y avait un truc bizarre depuis notre retour sur le Rossi, et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Mais c’est ça ! Vous avez fini par jouer au papa et à la maman, tous les deux !

Le capitaine dévisagea le mécanicien et cligna deux fois des yeux, sans trop savoir quoi dire. Du regard il sollicita le soutien de Naomi, mais elle avait baissé la tête et ses cheveux masquaient complètement son visage. Il nota que ses épaules étaient secouées par les spasmes d’une hilarité muette.

— Bordel, chef, dit encore Amos avec un grand sourire. Ça vous aura quand même pris foutrement longtemps. Si elle m’avait allumé comme ça, j’aurais plongé sans hésiter dans ce merdier.

À l’expression abasourdie d’Alex, il était évident qu’il n’avait pas eu la même intuition qu’Amos.

— Euh…, marmonna-t-il. Oh.

Naomi cessa de rire et essuya les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.

— Démasqués, souffla-t-elle.

— Écoutez. Les gars, il est important que vous le sachiez, ça n’affecte en rien notre…, commença Holden.

Mais Amos l’interrompit d’un reniflement ironique.

— Eh, Alex, dit le mécanicien.

— Ouais ? répondit ce dernier.

— Le second se tape le capitaine. Est-ce que ça va faire de toi un pilote minable ?

— Je ne crois pas, non, répondit Alex en souriant et en exagérant son accent.

— Et ce qui est curieux, c’est que je ne ressens pas le besoin de jouer le mécano lourdingue.

Holden fit un nouvel essai :

— Je pense qu’il est important que…

— Chef ? continua Amos. Dites-vous que personne n’en a rien à braire, que ça ne nous empêchera pas de faire notre boulot. Profitez au maximum, surtout que nous serons sûrement tous morts d’ici quelques jours, de toute façon.

Naomi se remit à rire.

— Bon, dit-elle, tout le monde sait que je ne fais ça que pour avoir une promotion. Oh, attendez, c’est vrai : je suis déjà second. Eh, est-ce que je peux être capitaine, maintenant ?

— Non, répondit Holden en riant à son tour. C’est un boulot de merde. Jamais je ne te demanderais de le prendre.

Naomi grimaça. Tu vois ? Je n’ai pas toujours raison. Il lança un coup d’œil à Alex. Le pilote le regardait avec une affection sincère. Il était visiblement heureux que Naomi et le Terrien soient ensemble. Tout paraissait aller pour le mieux.

* * *

Éros tournait comme une toupie en forme de pomme de terre, son épaisse peau de pierre dissimulant les horreurs grouillant à l’intérieur. Alex les amena assez près pour qu’ils puissent effectuer un scan approfondi de la station. L’astéroïde grossit sur l’écran d’Holden jusqu’à ce qu’il semble assez proche pour être touché du doigt. À l’autre poste d’ops, Naomi balayait la surface avec le ladar à la recherche de tout ce qui pourrait constituer un danger pour les équipages des transports venus de Tycho, encore à quelques jours de voyage. Sur l’affichage tactique d’Holden, le vaisseau scientifique de la Flotte des Nations unies flanqué de son unité d’escorte continuait de faire cracher ses moteurs dans une manœuvre de freinage en direction d’Éros.

— Ils ne parlent toujours pas ? demanda Holden.

Naomi secoua la tête, tapota son écran et relaya les informations relatives au système comm vers le poste de travail du capitaine.

— Non, dit-elle. Mais ils nous voient. Leur signal radar nous cadre depuis deux heures déjà.

Holden pianota de ses doigts sur l’accoudoir de son siège et réfléchit aux choix qui s’offraient à lui. Il était possible que les modifications de la coque du Rossi effectuées sur Tycho trompent le logiciel d’identification de la corvette terrienne. Ou bien ils ignoraient simplement le Rossi parce qu’ils le prenaient pour un transport de gaz traînant par là. Mais le Rossi n’avait pas de transpondeur, ce qui le rendait illégal quelle que soit sa configuration visuelle. Que la corvette ne mette pas en garde un vaisseau non identifié le rendait nerveux. La Ceinture et les planètes intérieures étaient engagées dans une guerre ouverte, or un appareil ceinturien sans identification s’attardait près d’Éros alors que deux unités terriennes se dirigeaient justement vers l’astéroïde. Il était impensable qu’un capitaine n’ayant même qu’un demi-cerveau ignore cette situation.